Gabrielle Cournoyer
L’influence de l’implication judiciaire sur le rétablissement des enfants victimes
Il est intéressant de se pencher sur l’avancée des droits des victimes, notamment dans la mesure où celles-ci participent de plus en plus aux procédures judiciaires. Cette participation peut inclure : être interviewé par les autorités, être invité à comparaître devant le tribunal. Toutefois, le système judiciaire peut être difficile pour les victimes qui y participent. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est des enfants victimes ou témoins d’actes criminels, puisqu’ils sont particulièrement vulnérables dû à leur jeune âge. Leur implication peut donc avoir des conséquences sur leur santé mentale ainsi que sur leur perception du système judiciaire. C’est pourquoi il est important de considérer les façons dont il est possible de diminuer les effets indésirables de celle-ci pour le bien-être des enfants.
Conséquences négatives sur la santé mentale et les émotions
Plusieurs études[1] sur les conséquences liées à la participation des enfants victimes de crimes lors de procédures judiciaires[2] ont noté que plusieurs caractéristiques de ces démarches peuvent entraîner une victimisation secondaire de ces enfants[3]. Les enfants ayant déjà été traumatisés par un crime subissent une deuxième perturbation émotionnelle due à leur implication dans le système judiciaire[4]. Celle-ci se produit notamment lors du témoignage des victimes qui est généralement une expérience éprouvante pour elles[5] ou lorsqu’elles se retrouvent face à leur agresseur, ce qui est souvent requis par le processus judiciaire[6].
D’autres circonstances peuvent également nuire à la santé psychologique d’un enfant victime. Par exemple, le fait de rencontrer beaucoup de délais lors d’un procès ainsi que les entrevues à répétition peuvent ralentir la récupération émotionnelle. De plus, lorsque l’accusé est acquitté, il est plus difficile pour les victimes de se remettre des traumatismes qu’ils ont vécus puisque la reconnaissance est un élément important à la réparation des victimes[7].
Finalement, un facteur important à considérer lorsqu’il est question des conséquences de l’implication des enfants dans le système judiciaire est leur âge. Effectivement, les traumatismes vécus à un jeune âge sont particulièrement délétères et considérant qu’être impliqué dans un processus légal peut représenter un trauma, il est possible d’en conclure que plus une victime est jeune, plus son implication peut être néfaste à sa santé mentale. De plus, les jeunes enfants ainsi que les adolescents n’ont souvent pas les connaissances nécessaires afin de comprendre le processus pénal ainsi que le vocabulaire utilisé par les acteurs de celui-ci, ce qui peut mener à une augmentation du niveau d’anxiété de la jeune victime. D’un autre côté, lorsque l’enfant victime en question comprend sa situation, ceci peut entraîner une augmentation de son stress puisque celle-ci est en mesure d’en saisir la gravité[8].
Conséquence positive sur la santé mentale et les émotions
Il existe aussi des études qui démontrent que le fait d’être impliqué dans le processus judiciaire peut avoir des conséquences positives sur un enfant victime de crime. Effectivement, cette action peut avoir un effet d’empowerment pour les enfants[9]. Les victimes ressentent souvent le besoin de rapporter leur expérience, d’être entendues, de faire reconnaître leurs abus et que leurs expériences soient validées[10], ce que le témoignage peut accomplir. Il est donc possible d’observer un paradoxe puisque le fait de témoigner ou de ne pas témoigner peut entraîner des conséquences positives et négatives à long terme[11]. En d’autres mots, il peut être bénéfique pour les enfants de participer au processus judiciaire s’il est adapté à ceux-ci selon certaines mesures qui seront présentées plus loin.
Conséquences sur les perceptions des victimes du système judiciaire
Il est également intéressant de considérer l’impact de la participation des jeunes victimes dans le processus judiciaire sur leur attitude face à celui-ci, puisque l’expérience des victimes peut jouer un rôle sur leur perception de la justice et ainsi influencer la volonté d’une victime de se réengager dans le système[12]. Le facteur ayant généralement le plus d’importance est celui du verdict du procès dans lequel l’enfant est impliqué puisqu’il est important pour les enfants que l’accusé soit reconnu coupable et qu’il reçoive une peine[13].
D’un autre côté, comme il a été mentionné précédemment, les enfants éprouvent souvent une crainte envers le témoignage, surtout lorsqu’il est fait devant l’accusé en question. Ceci peut donc se traduire en sentiments plutôt négatifs envers le système judiciaire[14]. Par contre, il a aussi été observé, que dans des cas où le verdict est un acquittement, les enfants qui ont eu la chance de témoigner en cour ont une meilleure attitude envers le système judiciaire que les enfants qui n’ont pas pu le faire puisque cela leur apporte un sentiment de justice[15].
Par ailleurs, lorsqu’un enfant a subi un abus plus sévère, celui-ci éprouve typiquement des sentiments plus négatifs envers le système judiciaire[16]. Le fait de participer à de nombreuses entrevues répétitives, plutôt qu’à un nombre plus restreint, peut détériorer l’opinion de l’enfant envers le système[17]. Finalement, l’âge de l’enfant a également un impact sur l’attitude de celui-ci puisqu’en général les adolescents sont traités plus sévèrement par le représentant juridique de la défense que les enfants plus jeunes[18].
Comment limiter les conséquences négatives pour les enfants victimes
À la lumière des conséquences possibles sur la santé mentale, les émotions ainsi que la perception du système de justice de l’implication dans des démarches judiciaires chez les enfants victimes de crimes, il est intéressant de mieux comprendre comment limiter les effets indésirables possibles. La littérature sur la victimisation secondaire des enfants a permis l’élaboration de guides établissant des mesures permettant de faciliter le témoignage des enfants. Par exemple, le groupe International Association of Prosecutors et le groupe International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy ont créé le Model Guidelines for the Effective Prosecution of Crimes Against Children qui, comme le titre l’annonce, établit des lignes directrices pour la poursuite des crimes contre les enfants. Malheureusement, il n’y a pas de force exécutoire qui oblige la communauté légale à se conformer à ce type de guide. Des études proposent des mesures permettant d’améliorer l’expérience des enfants, mais il n’est pas garanti que les jeunes pourront en bénéficier.
Certaines des mesures qui ressortent de la littérature indiquent qu’il est important pour un enfant de détenir un bon soutien. Celui-ci peut servir à le familiariser avec le processus judiciaire, ce qui est en ligne avec la justice réparatrice informationnelle qui permettrait non seulement de diminuer les risques de victimisation secondaire, mais aussi de favoriser sa perception de la justice. Ce soutien inclut également les services psychologiques qui permettraient de rencontrer les besoins médicaux des victimes et de leur donner un sens de soutien et d’encouragement [19], ainsi qu’un soutien moral de la part d’un parent ou d’un titulaire pour n’en nommer que quelques-uns[20]. Il est même parfois possible de fournir le soutien d’un animal qualifié pour diminuer l’anxiété chez des victimes comme cela a été le cas pour une enfant victime d’agression sexuelle à New York ou même d’adapter les salles pour la réception d’enfants témoins afin de minimiser les impacts néfastes sur la santé des jeunes.
De plus, puisque l’aspect répétitif du processus judiciaire accentue les conséquences négatives, il est suggéré de limiter le nombre de témoignages et d’entrevues. Par contre, une étude[21] démontre que malgré certaines tentatives, ces efforts n’ont pas eu d’impact significatif pour les victimes. Cette solution demeure à retravailler. Par ailleurs, puisque dans la majorité des cas, faire face à l’accusé représente un traumatisme pour les enfants, il est essentiel de minimiser le contact avec l’accusé durant le témoignage. Par exemple, dans certains pays, comme les États-Unis et les pays scandinaves, il a été possible de diminuer le nombre d’apparitions en cour d’un enfant par le biais de télévisions en circuit fermé,[22] mais ceci n’est pas réellement disponible pour tous.
Comme il a été mentionné précédemment, les services disponibles pour les victimes ne sont pas systématiquement appliqués à tous. Il est souvent nécessaire d’en faire la demande et d’aller chercher soi-même de l’aide. Ce sont d’ailleurs souvent des organisations non gouvernementales qui sont mises en place afin de répondre aux divers besoins des victimes. Celles-ci ne sont pas nombreuses, et celles qui donnent un soutien spécialisé pour les enfants le sont encore moins. Dans le cas des enfants victimes, il est sous-entendu que c’est un parent ou une autorité parentale qui a la responsabilité d’aller chercher cette aide, mais il n’y a pas de garantie que ceux-ci feront les démarches nécessaires afin de rendre l’expérience de l’enfant la moins contraignante possible. De plus, malgré qu’un soutien soit offert aux parents également, ils ne sont pas tous aptes à offrir le meilleur soutien émotionnel à leur enfant durant cette expérience, ce qui peut être très néfaste pour sa santé mentale et détériorer son image de la justice. L’obtention de services de réparation pour les enfants victimes dépend donc de la volonté ou de la capacité du parent à faire les démarches nécessaires pour son enfant. Il serait donc intéressant de trouver des solutions adaptées aux enfants qui n’ont pas le support nécessaire de la part de leurs parents afin qu’ils ne tombent pas dans les failles du système.
En conclusion, l’implication d’un enfant victime dans le système judiciaire peut entraîner des conséquences importantes sur ses émotions et sa santé mentale. Plusieurs facteurs comme le fait de témoigner, la présence face à face avec l’accusé, les délais, le verdict ainsi que l’âge de l’enfant peuvent contribuer à la victimisation secondaire de celui-ci et ainsi exacerber l’impact du crime initial. D’un autre côté, cette implication peut également offrir des conséquences positives pour l’enfant victime dans la mesure où elle peut apporter un effet d’empowerment et donner un sentiment de reconnaissance de l’abus que la jeune victime a subi. De plus, il est également intéressant de comprendre comment les facteurs comme le verdict, le témoignage, la gravité d’un crime ainsi que l’âge de l’enfant ont également un impact sur sa perception du système judiciaire. Plusieurs études élaborent des moyens de minimiser les impacts négatifs de l’implication des enfants dans le système judiciaire sur leur santé mentale et sur leur attitude face à ce système, mais il existe peu de recherche permettant de savoir dans quelle mesure ces différents services sont bien appliqués et efficaces[23]. Il faut donc se demander comment bien mettre en œuvre ces différentes mesures pour le bénéfice du plus grand nombre d’enfants possible.
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Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.
[1] Goodman, G. S., Quas, J. A., Bulkley, J., & Shapiro, C. (1999). Innovations for child witnesses: A national survey. Psychology, Public Policy, and Law, 5, 255–281.
[2] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 394.
[3] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 394.
[4] (Ben-Arieh, A., & Windman, V. (2007). Secondary Victimization of Children in Israel and the Child’s Perspective. International Review of Victimology. 14, 321-336.
[5] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 398.
[6] Ibid, 395.
[7] Ibid, 401.
[8] Ibid, 402.
[9] Ibid, 401.
[10] Parsons, J., & Bergin, T. (2010). The Impact of Criminal Justice Involvement on Victims’ Mental Health. Journal of Traumatic Stress, 23(2), 182.
[11]Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 401.
[12] Ibid, 403.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Tyler, T. R., (2006). Restorative Justice and Procedural Justice : Dealing with Rule Breaking, Journal of Social Issues, 62(2), 320.
[16] Quas, J. A., Goodman, G. S., Ghetti, S., Alexander, K. W., Edelstein, R., Redlich, A. D., & Jones, D. P. H. (2005). Childhood sexual assault victims: Long-term outcomes after testifying in criminal court. Monographs of the Society for Research in Child Development, 70(2), 8.
[17] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 405.
[18] Ibid.
[19] Wemmers J-A. M. (2014). The healing role of reparation. dans: Wemmers, J-A. M. (ed) Reparations for Victims of Crimes against Humanity. The healing role of reparation. London and New York: Routledge, 230.
[20] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 407.
[21] Cross, T. P., Jones, L. M., Walsh, W. A., Simone, M., & Kolko, D. (2007). Child forensic
interviewing in Children’s Advocacy Centers: Empirical data on a practice model.
Child Abuse & Neglect, 10, 1031–1052.
[22] Quas, J. A., & Goodman, G. S. (2012). Consequences of criminal court involvement for child victims. Psychology, Public Policy, and Law, 18(3), 407.
[23] Ibid.