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La poursuite des crimes internationaux : rencontre d’experts sur la collaboration entre les autorités nationales chargées des poursuites et les organisations non-gouvernementales (Partie III)

Silviana Iulia Cocan

Silviana Cocan est candidate au doctorat en droit à l’Université Laval en cotutelle avec l’Université de Bordeaux, en France. Elle écrit présentement une thèse sur le dialogue entre les juridictions et quasi-juridictions protégeant les droits humains. Plus spécifiquement, elle étudie le dialogue judiciaire en lien avec la prohibition de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ses intérêts de recherche sont le droit international public, les droits humains ainsi que le droit international pénal et humanitaire. Silviana participe à la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval. 

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Nom de famille: 
Cocan
Prénom: 
Silviana Iulia

Joseph Rikhof

Joseph Rikhof possède un BCL, de l’Université de Nijmegen (Pays-Bas); un baccalauréat en droit (LL.B.) de l’Université McGill; un diplôme en droit aérien et spatial de l’Université McGill; ainsi qu’un doctorat du Irish Center for Human Rights.

Joseph Rikhof donne le cours de droit pénal international à l’Université d’Ottawa. Il etait avocat principal et gestionnaire du droit à la Section des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre du ministère de la Justice du Canada. Il a été professionnel invité à la Cour pénale internationale en 2005 tout en agissant aussi comme conseiller principal et conseiller en politique auprès de la Section des crimes de guerre contemporains du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration entre 1998 et 2002.

Son domaine d’expertise est le droit qui traite du crime organisé, du terrorisme, des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, particulièrement dans le contexte du droit de l’immigration et des réfugiés. Il a rédigé plus de 40 articles ainsi que son premier livre intitulé The Criminal Refugee: The Treatment of Asylum Seekers with a Criminal Background in International and Domestic Law, portant sur les intérêts de recherche susmentionnés, et il a donné des conférences sur ces thèmes partout dans le monde. De plus, Joseph Rikhof a cosigné avec Robert Currie le livre International and Transnational Criminal Law, deuxième édition, et il est membre du corps professoral de l’Institut Philippe Kirsch.

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Nom de famille: 
Rikhof
Prénom: 
Joseph

Érick Sullivan

Érick Sullivan est avocat, directeur adjoint de la Clinique de droit international pénal et humanitaire (Clinique), coordonnateur du Partenariat canadien pour la justice internationale (PCJI), co-éditeur du blogue Quid Justitiae et membre du Conseil d’administration du Conseil canadien de droit international.

Détenteur d’un baccalauréat en droit (2009), il a été recruté en 2010 par la Clinique comme auxiliaire puis nommé au poste de directeur adjoint en 2012. À ce titre, il a été impliqué dans plus d’une cinquantaine de projets proposés par des organisations internationales, des organisations non gouvernementales (ONG), des État set des avocats touchant à plusieurs domaines du droit. À ces occasions, il a notamment codirigé une cartographie des droits humains réalisée par Avocats sans frontières Canada au soutien de la Commission Vérité et Réconciliation malienne.

Depuis 2010, il a supervisé les recherches de plus de 300 étudiants et révisé des centaines de travaux. Il a aussi contribué de différentes manières à de nombreux événements scientifiques, comme le séminaire sur la collaboration entre les autorités nationales et les ONG visant à traduire en justice les responsables de crimes internationaux, qu’il a co-organisé en mars 2018 à Ottawa.

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Nom de famille: 
Sullivan
Prénom: 
Érick
14 June 2018

Ce billet de blogue fait suite aux deux premières publications ayant respectivement détaillé les concepts et cadres juridiques applicables à l’investigation des crimes internationaux (en anglais et en espagnol) ainsi que la nécessité de mettre en œuvre une politique d’investigation et des principes de coopération et de collaboration (en anglais et en espagnol). Puisqu’il s’agit d’une publication conjointe, la même version est disponible en français (hyperlien) sur Quid Justitiae et en anglais (hyperlien) sur PKI Global Justice Journal.

Partie III : La documentation des éléments de preuve

Dans le processus de documentation des crimes internationaux, il est nécessaire de définir un plan d’investigation et de se doter d’une équipe solide et multidisciplinaire (A), afin de pouvoir collecter des informations et des preuves (B) en vue de leur analyse (C).

A.L’établissement d’une stratégie d’enquête

Dans l’établissement d’un plan d’investigation, des recherches préliminaires doivent être effectuées afin d’élaborer une stratégie écrite, fondée sur des considérations générales visant à prioriser les crimes internationaux dans la recherche d’informations avant de commencer une recherche et une analyse approfondies (First responders, pp. 6-9; v. égal. p. 15). À ce stade initial, les risques devraient être évalués de façon globale, à travers un large spectre d’acteurs, incluant les victimes, les témoins et les investigateurs non officiels, et en tenant compte de l’exigence de sécuriser les informations recueillies (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 37-43). Une fois l’analyse des risques effectuée, des mesures appropriées, garantissant la sécurité, devraient être planifiées conformément aux risques initialement identifiés (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 43-45). Il est également essentiel de déterminer le degré de fiabilité des autres acteurs, notamment des autorités locales, des forces de police et autres personnes travaillant dans le même secteur, mais aussi des membres de l’équipe d’investigation tels que les interprètes et les intermédiaires, ainsi que des victimes et des témoins (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 45-48). Étant donné l’importance et les enjeux de la collecte d’informations, une coopération effective dépend nécessairement de l’établissement préalable de relations de confiance.

Une autre préoccupation majeure est la formation et la responsabilisation des membres de l’équipe. Ils devraient, autant que possible, démontrer un niveau suffisant de compétences et d’aptitudes dans le recueil d’informations et avoir une connaissance des éléments constitutifs des crimes internationaux (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 48-49). Lorsqu’ils travaillent avec les enfants, les investigateurs non officiels devraient avoir une formation spécifique relative à leurs vulnérabilités et facultés, employer des techniques appropriées pour l’âge de l’enfant et avoir de l’expérience dans l’interaction avec mineurs montrant les signes d’un trauma (Handbook on Civil Society Documentation, p. 49; v. égal. International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, pp. 29-30).

En ce qui concerne les interprètes, il faut garder à l’esprit qu’une investigation réussie dépend de la faculté des interprètes à faciliter la communication, notamment en suivant des principes directeurs durant la conduite des entrevues (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 52-53). Ainsi, ils devraient être psychologiquement préparés aux témoignages auxquels ils pourraient être confrontés, démontrer une sensibilité culturelle et une connaissance de la culture locale et des communautés concernées (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 49-51; v. égal. International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, pp. 38-39).

La composition de l’équipe de documentation des informations est particulièrement importante en ce qui concerne les crimes de violence sexuelle ou sexistes puisqu’une équipe solide peut aider les victimes et les témoins à se sentir en confiance (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 111-112). Ils seront plus à même de s’ouvrir et de parler de leurs expériences avec des personnes de même genre, âge ou nationalité, d’autant plus lorsque ces crimes ont été commis à l’encontre d’hommes ou de garçons. Ces éléments doivent être pris en compte au moment de la constitution de l’équipe sur la base de la diversité en incluant des enquêteurs, des analystes, des procureurs, des interprètes, des traducteurs et des cadres dirigeants (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 49-55: des principes directeurs destinés aux interprètes et intermédiaires; Guidelines – MRM on grave violations against children in armed conflict, pp. 10-15: le mécanisme de surveillance et de signalement des crimes commis contre les enfants dans les conflits armés présente des spécificités en ce qui concerne les acteurs responsables de sa mise en oeuvre. A l’échelle nationale, il s’agit des Représentants du Secrétaire-général désignés dans le pays et les coordinateurs résidents; l’équipe spéciale de pays et les coprésidents; le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), les missions politiques et de maintien de la paix ainsi que d’autres entités onusiennes; les ONG locales et internationales; les gouvernements nationaux qui jouent un rôle important et la communauté des donateurs qui fournit les ressources appropriées. Au niveau global, plusieurs acteurs sont impliqués comme par exemple le Secrétaire-Général des Nations Unies; le Représentant spécial du Secrétaire-General sur les enfants et les conflits armés; l’UNICEF et d’autres agences des Nations Unies; ou encore le Conseil de Sécurité). Également, au-delà de la diversité, d’autres critères sont déterminants comme les antécédents, le genre, l’âge, la nationalité, l’ethnie, la religion, la langue et les compétences (Investigating CRSGBV against men and boys, p. 5 et pp. 10-11; Handbook on Civil society documentation, p. 48: la formation et la responsabilisation des membres de l’équipe d’investigation exigent un niveau approprié de compétences dans le domaine de collecte d’informations relatives aux crimes internationaux, conformément à des standards prédéfinis (pour les investigateurs non officiels, interprètes, analystes, etc.); pp. 49-55 : des principes spécifiques s’appliquent aux interprètes et intermédiaires; pp. 55-59 : assurer la logistique de l’enquête implique la garantie d’un équipement et d’une expertise appropriés car il est primordial d’arriver préparé pour recueillir de l’information sur une scène de crime). L’usage d’interprètes est incontournable puisqu’ils jouent un rôle clé dans le recueil d’informations en faisant partie d’une équipe de praticiens. Ainsi, ils doivent disposer des compétences appropriées non seulement dans le domaine de l’interprétation mais aussi dans le travail avec les victimes, survivants et témoins de violences sexuelles, et lorsque cela est pertinent, avec les enfants (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, pp. 134-135). Dans le processus de documentation, l’identification des victimes et des témoins implique souvent d’avoir recours à des intermédiaires. Ils jouent un rôle central puisqu’ils peuvent aider les praticiens à identifier et à faire le lien avec les membres d’une communauté, surmonter les barrières sociales et culturelles, identifier et entrer en contact avec les victimes potentielles et autres témoins (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 131; pp. 133-134: sur les risques associés à l’usage d’intermédiaires et la nécessité de mettre en place une liste de contrôle avant toute collaboration). Bien qu’ils puissent être des interlocuteurs efficaces entre les membres de l’équipe et ceux d’une communauté, une attention particulière doit être accordée pour assurer leur impartialité (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 53-55).

Enfin, il est important de planifier et de préparer en détail la logistique liée à la documentation afin de ne pas rater des occasions et de compromettre le recueil d’informations et de preuves. L’établissement de la logistique implique par exemple de connaitre la région où a lieu la mission, cartographier des points de repère essentiels, être auto-suffisant, prévoir un équipement de base, établir les moyens de communication avec les autres membres de l’équipe, déterminer comment les sources seront protégées ou encore garantir des moyens de financement appropriés pour la collecte d’informations (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 56-59). Une politique d’enquête de violations flagrantes doit expressément prioriser les violences sexuelles liées au contexte d’un conflit et celles fondées sur le genre comme les actes dirigés à l’encontre des hommes et des garçons et d’autres identités de genre ou sexuelles, autrement il y a un risque que ces actes échappent à l’attention des investigateurs ou soient ignorés (Investigating CRSGBV against men and boys, p. 5; v. p. 4 pour la définition de la politique d’investigation aux niveaux micro et macro).

B.La collecte d’informations et de preuves

Un élément essentiel dans la collecte d’informations et de preuves à l’égard de crimes internationaux est de pouvoir fournir une assistance lorsque ces éléments pourraient surgir sans qu’une autorité d’investigation professionnelle soit immédiatement disponible pour l’enquête et qu’il existe un risque que l’information ou la preuve soit endommagée ou perdue. Dans de telles situations, les premiers intervenants devraient suivre un protocole spécifique dans le processus de documentation afin de préserver les informations ou les preuves et d’optimiser leur valeur probante (Field Guide for Civil Society Documentation, pt. 2). D’autres principes axés sur la performance et sur les responsabilités pratiques pourraient inclure des règles sur la manière de gérer des fonds, le personnel et des ressources, des principes sur le partage d’informations, la bonne gouvernance, tout en intégrant des mécanismes internes de traitement des plaintes (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 138).

Au regard de la jurisprudence des cours et tribunaux nationaux et internationaux, les déclarations des victimes et des témoins sont les moyens de preuve privilégiés dans le cadre de la violence sexuelle (Means of proof of SGBV crimes, pp. 23-38: les moyens de preuve de l’esclavage sexuel; pp. 58-66 : les moyens de preuve de la prostitution forcée; pp. 70-78 : les moyens de preuve des grossesses forcées; pp. 80-86 : les moyens de preuve des stérilisations forcées; pp. 88-96 : les moyens de preuve d’autres formes de violence sexuelle d’une gravité comparable; pp. 98-104 : les moyens de preuve du génocide à travers les mesures imposées pour contrôler les naissances). C’est pour cela qu’il est particulièrement important de définir des standards dans la conduite des entrevues, la priorité étant toujours le respect du principe d’innocuité et d’éviter la re-traumatisation. En effet, il existe des stratégies et des techniques spécifiques adaptées aux crimes de violence sexuelle liés à un conflit (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, pp. 161-186) ou en lien avec ces crimes dirigés à l’encontre des hommes et des garçons (Investigating CRSGBV against men and boys, pp. 12-14). Recueillir des informations de la part des victimes et des témoins nécessite de suivre des lignes directrices sur la manière de conduire des entrevues et en sachant quelles questions doivent être posées (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 96-108; Field guide for Civil Society Documentation, pt. 6: informations testimoniales).

Recueillir des données sur les blessures psychologiques est un domaine sensible qu’il convient de traiter avec prudence. Le Protocole d’Istanbul fournit des directives sur les points communs qui doivent être pris en considération dans les observations relatives à l’état psychologique de la victime durant l’entrevue (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 108-110; United Nations Office of the High Commissioner for Human Rights, Manual on the Effective Investigation and Documentation of Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment of Punishment (Protocole d’Instanbul), HR/P/PT/8/Rev.1 (2004), §§ 240, 275, 291).

En documentant la violence sexuelle et sexiste, le but est de minimiser le risque de préjudice aux victimes, aux témoins et à tout individu qui pourrait être affecté par l’investigation, tout en maximisant leur valeur probante et en tant que preuve des informations recueillies (Handbook on Civil Society Documentation, p. 111). Il est difficile de collecter des informations sur de tels crimes puisqu’ils sont souvent peu signalés, peu de preuves sont disponibles et la collecte d’éléments repose principalement sur la participation des victimes et des témoins. Les acteurs de la société civile tels que les professionnels des services de santé, les travailleurs sociaux, humanitaires ou ceux travaillant dans le domaine des droits humains jouent un rôle essentiel en tant que premiers intervenants pouvant recueillir des informations dans le cadre de leurs activités ordinaires sur le terrain ou lors de missions spécifiques, même s’il faut garder à l’esprit que l’investigation doit demeurer l’affaire des experts et des professionnels lorsque cela est possible (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 110-115; v. égal. International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 109 : sur la manière de procéder à une entrevue avec les victimes de violences sexuelles et sexistes liées à un conflit).

En raison de l’extrême vulnérabilité des mineurs, le principe de ne pas nuire devrait guider tous les aspects du processus de collecte d’informations. Toute entrevue ou interaction avec des mineurs devrait rester exceptionnelle en raison du risque important de re-traumatisation et de causer une détresse psychologique. Il faut éviter d’avoir des entrevues avec de jeunes enfants ou des mineurs qui ont été victimes de violences sexuelles et sexistes. D’autres moyens d’enquête devraient être privilégiés ou, le cas échéant, les efforts devraient être concentrés sur la recherche d’experts ayant l’habitude de travailler avec de telles victimes. Par ailleurs, en relevant des éléments de preuve de la part des mineurs, au moins un parent, un gardien ou toute autre personne de confiance devrait être présente tout au long du processus. Lorsque les mineurs plus âgés expriment leurs préoccupations ou présentent des signes moindres de trauma, les investigateurs non officiels peuvent intervenir si cela s’avère nécessaire et conformément aux principes préétablis applicables à la documentation, tout en gardant toujours à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 115-116).

L’information documentaire relève de plusieurs catégories (International Protocol on the Documentation of sexual violence in conflict, p. 65) et inclut tous les documents imprimés, pouvant émaner d’instances étatiques ou corporatives; des lettres écrites par les gouvernements, des comptes rendus de réunions de représentants d’une compagnie ou d’un État, des rapports médicaux, des images imprimées, des registres, agendas ou journaux (Handbook on Civil Society Documentation, p. 60; p. 61 explique comment l’information peut être utilisée à l’encontre des auteurs de crimes graves et comment optimiser la valeur probante; p. 62 détaille les éléments pris en considération par les juges lorsqu’ils examinent une information documentaire, à savoir l’origine, le contenu, la corroboration, la véracité, le volontarisme et la fiabilité; v. égal. Field guide for Civil Society Documentation, pt. 4: information documentaire). L’information sur support électronique fait également partie de l’information documentaire et peut prendre plusieurs formes comme les métadonnées, l’enregistrement audio ou vidéo d’un témoignage, les photographies numériques, la documentation vidéo, les courriels et la communication en réseau, les messages textes, les publications sur les médias sociaux ou les plateformes de diffusion de l’actualité (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 69-75). La réalisation de photographies ou d’images enregistrées sur support vidéo obéit à des exigences particulières afin de garantir leur valeur probante (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 75-79; Field guide for Civil Society Documentation, pt. 16: photographies ou images en mouvement). Il existe également des principes directeurs s’appliquant à la documentation et à l’enregistrement des éléments d’une scène de crime (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 79-84; Field guide for Civil Society Documentation, pt. 14: les mesures à mettre en place pour sécuriser une scène de crime).

De manière plus spécifique, la collecte d’informations auprès de sources en libre accès soulève la question de la fiabilité. Les sources en libre accès contiennent des informations publiques, digitales ou analogues, disponibles en ligne ou sur d’autres supports et ne nécessitent pas un mandat ou l’emploi de mesures coercitives ou illégales pour être recueillies. Il s’agit notamment des informations disponibles sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou YouTube (Using Open Source Information, p. 7; v. égal. pp. 7-8 pour plus de détails et autres définitions). Ainsi, la détermination de standards doit être en fonction de l’exigence de fiabilité, en gardant à l’esprit que cet aspect particulier doit être analysé au regard du contexte global ou au regard d’autres informations ou preuves disponibles, tout en tenant compte de plusieurs facteurs pouvant affecter la fiabilité des sources comme l’origine, le but, le contexte et les éléments externes et internes de fiabilité (Using Open Source Information, p. 5). Aux côtés des principes d’investigation et des principes généraux définis précédemment, des principes spécifiques sont applicables aux sources en libre accès comme la préservation de l’information, la vérification et la mise en place de procédures d’authentification, la transparence des méthodes utilisées dans la collecte d’informations, le respect de la légalité au regard de la juridiction compétente, la garantie de l’objectivité et le respect de l’égalité des armes en incluant des éléments tant incriminants qu’exonératoires (Using Open Source Information, pp. 8-12 pour des détails et autres principes applicables aux sources en libre accès; v. p. 13 : recommandations spécifiques).

Les examens médicaux des victimes et toute autre enquête médicolégale nécessitent des infrastructures appropriées et un recours à des professionnels faisant preuve d’une expertise pertinente. Ces actes nécessitent l’accord des victimes et la prise en compte de leurs préoccupations relatives à la confidentialité ou à la sécurité (Investigating CRSGBV against men and boys, p. 14). Quant aux informations médicolégales (Handbook on Civil Society Documentation, p. 84; v. égal. Field guide for Civil Society Documentation, pt. 5: informations physiques et médicolégales), la collecte de données relatives aux dommages corporels est un domaine délicat pour les enquêteurs non officiels. Il serait préférable qu’un médecin intervienne, mais en raison du principe de confidentialité qui s’applique à la relation entre un médecin et son patient, les informations recueillies ne pourraient pas être partagées. Les dommages corporels pourraient également être documentés par un expert judiciaire dans la perspective de recueillir des informations et des preuves en cas d’enquêtes plus approfondies ou de procédures judiciaires.  Ainsi, en l’absence d’un médecin ou d’un expert judiciaire, les enquêteurs non officiels sont habilités à faire simplement des observations visuelles sur les blessures physiques de la victime (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 85-86; p. 86 sur les différents dommages corporels qui peuvent être observés et décrits ainsi que sur les actes que pourraient accomplir les enquêteurs non officiels).

Lorsque cela est possible, seuls les experts professionnels spécialisés devraient manipuler les informations médicolégales puisqu’ils sont les seuls à disposer de l’équipement et des compétences requis. Les preuves et les informations relatives aux blessures physiques doivent être correctement recueillies, maniées, emballées, étiquetées et gardées en sécurité afin de prévenir leur contamination, leur altération ou leur perte puisque de tels échantillons et objets sont particulièrement fragiles (comme les fluides corporels tels que le sang, le liquide séminal, les cheveux, les fibres, etc.). Ainsi, les enquêteurs non officiels peuvent seulement faire un inventaire des vêtements de la victime qui pourraient être une source d’informations significatives pour les investigateurs officiels. Les vêtements devraient être retirés l’un après l’autre et à peine pliés, être placés dans un sac en plastique ou en papier afin de prévenir toute contamination venant de l’environnement extérieur (Handbook on Civil Society Documentation, pp. 87-88; Field guide for Civil Society Documentation, pt. 17: sur la documentation des dommages corporels).

Plus particulièrement, en ce qui concerne la collecte d’informations médicolégales de violences sexuelles et sexistes, il est indispensable de fournir des soins et un appui appropriés aux victimes après avoir obtenu leur consentement éclairé, conformément au principe de ne pas nuire. Étant donné l’état physique et psychologique, ainsi que la vulnérabilité des victimes de ces crimes qui font face à un risque important de trauma ou de re-traumatisation, tout premier intervenant devrait immédiatement les référer à des professionnels médicaux ou psychosociaux. Ainsi, la collecte d’informations ou d’éléments de preuve physiques et médicolégaux des crimes de violence sexuelle ou basés sur le genre devrait être laissée à des professionnels médicaux, tandis que les enquêteurs non officiels devraient seulement prendre des photographies de la scène de crime et d’autres objets pertinents, après avoir obtenu le consentement de la victime et sans prélever aucun échantillon organique d’éléments médicolégaux (Handbook on Civil Society Documentation, p. 88; pp. 89-92 : sur la manière de recueillir des informations et des preuves provenant de corps humains; pp. 92-96 : sur la manière de collecter et de préserver des informations relatives aux objets fabriqués par l’homme tels que de l’armement, des armes à feu, des vêtements, etc.).

C.L’analyse des preuves et des informations

L’analyse des éléments de preuve et des informations est importante dans la constitution d’un dossier pour déclencher d’éventuelles poursuites. D’un point de vue technique, les praticiens tels que les enquêteurs non officiels de crimes internationaux devraient avoir une connaissance de base en matière d’analyse des preuves et des compétences dans l’organisation, l’évaluation et le renforcement de la valeur des informations recueillies. Plus particulièrement, en ce qui concerne la violence sexuelle, l’analyse des preuves et des informations implique une vérification minutieuse en plusieurs étapes au regard d’une liste de contrôle. Premièrement, il est nécessaire d’évaluer la crédibilité et la validité des informations recueillies. La crédibilité renvoie à la source de l’information et sa fiabilité, tandis que la validité se réfère à l’exactitude de celle-ci et sa véracité. De manière générale, en recueillant des témoignages, mais surtout en ce qui concerne la violence sexuelle, les investigateurs non officiels seront les premiers à devoir évaluer ces témoignages, alors que la détermination de la fiabilité d’autres types d’information pourrait impliquer une expertise judiciaire ou des compétences plus spécifiques. Une fois le processus d’évaluation accompli, tout type d’information, testimoniale, physique, documentaire ou digitale pourrait potentiellement être classée au regard d’une grille d’analyse des preuves identifiant l’information comme vague, médiocre, importante, fiable, corroborante. Lorsque cela est possible, les éléments de preuve recueillis peuvent également être qualifiés comme incriminants ou exonératoires et comme soutenant ou contredisant d’autres informations collectées (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 215).

Par la suite, tout élément d’information devrait être analysé au regard des éléments constitutifs des crimes internationaux. Les praticiens procédant à la collecte d’information sur ce type de crimes doivent garder à l’esprit que pour établir un crime ou une violation à l’égard du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou du droit international pénal, tous les éléments constitutifs doivent être réunis. Cela implique une évaluation du contexte global, des situations et des évènements pertinents avant d’identifier d’éventuels actes illicites et lesquels d’entre eux pourraient être prouvés, le cas échéant (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 213). Dès lors, une connaissance de base des éléments des crimes est indispensable puisqu’il faut établir les éléments de chaque crime sous-jacent. Par exemple, si l’objectif est l’établissement de la violence sexuelle comme crime contre l’humanité, les éléments tant du viol que des crimes contre l’humanité devront être prouvés. Ces éléments légaux doivent recevoir l’appui de plusieurs types de preuves, notamment testimoniale, documentaire, physique ou digitale, afin de déterminer si les informations collectées peuvent être utilisées comme des moyens de preuve.

Après avoir évalué la qualité de l’information et établi les éléments des crimes, il apparait essentiel de renforcer l’information initiale recueillie en apportant des éléments supplémentaires, tels que des preuves corroborantes et des informations contextuelles. Ensuite, des modèles peuvent être définis grâce à l’usage de questions ciblées, base de données interrogeables, analyses statistiques et cartographie de la criminalité (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 224). Chercher des typologies en définissant des modèles peut être utile pour déterminer si les crimes ou les violations ont été des incidents isolés ou contraire, s’ils partagent des points communs eu égard aux profils des victimes, des auteurs, des méthodes de perpétration des crimes, en identifiant également les zones géographiques ciblées et périodes de temps durant lesquels ils ont été commis (International Protocol on the documentation of sexual violence in conflict, p. 224).

Equipe de rédaction : Silviana Cocan, étudiante à la Clinique de droit pénal international et humanitaire (Faculté de droit, Université Laval); Professeur Joseph Rikhof (Faculté de droit, section de Common Law, Université d'Ottawa) et le directeur adjoint de la Clinique, Érick Sullivan

Équipe de traduction : Silviana Cocan, Maria Belén Gallardo Rivas, Maxime Mariage, Marie Prigent, Alicia Pujol

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