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Les victimes devant la Cour pénale internationale: espoirs et défis

Véronique Gingras-Gauthier

Véronique Gingras-Gauthier est candidate au Juris Doctor de l’Université d’Ottawa.  Elle est également titulaire d’une Licence en droit civil de l’Université d’Ottawa et a terminé avec succès la formation professionnelle de l’École du Barreau du Québec.  

Dans le cadre de ses études, elle s’intéresse au droit international public et plus particulièrement, au droit international humanitaire et au droit pénal international.  Elle a participé au Concours de plaidoirie en droit international public Philip C. Jessup (2011) et au Concours Jean-Pictet en droit international humanitaire (2012), et participera à l’édition 2014 du Concours de procès simulé en droit international Charles-Rousseau.

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Nom de famille: 
Gingras-Gauthier
Prénom: 
Véronique
21 November 2013

 

Ignorées par d’autres tribunaux pénaux, les victimes ont un rôle primordial à jouer à la Cour pénale internationale (« CPI »). En effet, en vertu des articles 68 et 75 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (« Statut de Rome »), non seulement les victimes ont le droit de participer aux procédures, elles ont également le droit de recevoir une réparation pour les préjudices qu’elles ont subis. Théoriquement, ces droits permettent aux victimes des crimes internationaux les plus graves d’avoir accès à la justice et à la vérité ainsi que de recevoir une réparation juste eu égard aux préjudices subis. Toutefois, la mise en œuvre des droits des victimes devant la CPI reste encore un défi pour la Cour et ses organes. Pour tenter de résoudre certains des défis auxquels font face les victimes, la 12e session de l’AÉP au Statut de Rome consacrera une séance plénière au thème de l’impact du système instauré par le Statut de Rome sur les victimes et communautés affectées. Lors de cette séance plénière, deux enjeux majeurs seront considérés par l’AÉP : la simplification du processus de demande de participation aux procédures et l’identification des principes et procédures de réparation. L’AÉP considérera également la stratégie révisée concernant les victimes mise de l’avant par la CPI, ainsi que l’impact de la récente décision de l’Union africaine sur les relations avec la CPI.

Participation aux procédures

Au plan du processus de demande de participation aux procédures, les problèmes principaux auxquels font face les victimes sont la longueur du processus et l’incertitude quant aux procédures en raison de la variété d’approches. Jusqu’en 2012, le Greffe de la CPI avait reçu plus de mille demandes de participation de la part de victimes et plus de 80 % de ces demandes n’avaient toujours pas reçu de réponse, ce qui illustre bien les difficultés posées par le système en place. Dans le Rapport du Bureau sur les victimes et les communautés affectées, ainsi que sur le Fonds au profit des victimes, les réparations et les intermédiaires, le Bureau de l’AÉP fait certaines recommandations sur le système de participation des victimes afin de le simplifier. Le Bureau note que la préoccupation majeure est l’existence d’approches différentes au sein de la Cour relativement au droit des victimes de participer aux procédures et aux ressources nécessaires pour mettre en œuvre ce droit. Même si la CPI insiste pour respecter l’indépendance judiciaire et laisser aux juges le choix de la méthode de participation, les États Parties trouvent nécessaire de créer un système uniforme qui permettrait de réduire les incertitudes et d’accélérer le processus.

Dans la résolution proposée dans son rapport, le Bureau réaffirme la nécessité de réviser le système de demande de participation des victimes et encourage la Cour à explorer les possibilités d’harmonisation. Le Bureau suggère également que la Cour pourrait de concert avec le Bureau évaluer les modifications du cadre juridique qui seraient nécessaires sur le plan de la participation des victimes.

Principes et procédures de réparation

Au plan de l’identification des principes et procédures de réparation, encore une fois, le problème principal est l’incertitude causée par le manque de décisions judiciaires dans le domaine, incluant sur les questions de la détermination du type de réparation approprié, la détermination de la capacité de payer de la personne reconnue coupable et les procédures appropriées pour mettre en œuvre le jugement accordant réparation. En préparation à la 12e session de l’AÉP, la Cour et le Bureau de l’AÉP ont préparé trois rapports sur les principes et procédures de réparation : le premier concerne la détermination de la capacité d’une personne reconnue coupable à fournir des réparations et les deux autres concernent plus généralement les principes applicables en matière de réparation.

Conformément à l’article 75 du Statut de Rome, une personne reconnue coupable peut être condamnée à donner réparation à ses victimes. Cependant, une telle réparation implique que le coupable ait les moyens de fournir une réparation. Jusqu’à maintenant, une seule décision portant sur les principes en matière de réparations a été rendue par la Cour, soit la Décision fixant les principes et procédures applicables en matière de réparations de la Chambre de première instance I dans l’affaire Thomas Lubanga Dyilo. Dans le Rapport de la Cour sur les critères de détermination des moyens disponibles aux fins de réparations, la CPI expose les moyens de détermination de la capacité d’une personne reconnue coupable à fournir des réparations. La CPI explique que la Chambre de première instance I a déterminé que la capacité de Lubanga était limitée à des réparations non matérielles puisqu’il avait été reconnu comme indigent aux fins de l’aide judiciaire et parce qu’il n’avait aucun bien ou avoir identifié qui aurait pu servir à des fins de réparation. Toutefois, la CPI note que la Chambre d’appel ne s’est pas encore prononcée sur le sujet et que la décision de la Chambre de première instance dans l’affaire Lubanga n’est pas suffisante pour clairement identifier les critères de détermination de la capacité des personnes reconnues coupables de fournir des réparations. D’ailleurs, les représentants d’un groupe de victimes allèguent en appel que la Chambre de première instance aurait commis une erreur de droit en exemptant Lubanga de toute réparation matérielle.

En plus de ses conclusions sur la capacité de payer de Lubanga, la Chambre de première instance énonce également plusieurs autres principes en matière de réparation dans sa décision. Dans le rapport sur les principes concernant la réparation pour les victimes, la CPI expose les principes établis dans l’affaire Lubanga et les questions soulevées en appel. Ces principes comprennent, entre autres :

•  la dignité, la non-discrimination et la non-stigmatisation des victimes doivent être respectées;

•  la réparation peut être accordée aux victimes directes et indirectes;

•  une approche collective à la réparation peut être favorisée pour assurer une réparation aux victimes non identifiées; et

•  la liste de modalités de réparation identifiées à l’article 75 du Statut de Rome (restitution, indemnisation et réhabilitation) n’est pas exhaustive.

Toutefois, la décision dans l’affaire Lubanga n’est pas suffisante pour créer un régime complet et cohérent en matière de réparations pour les victimes. La CPI note que la décision est une première étape importante vers l’identification des principes et procédures de réparation et crée un précédent, mais la décision reste sujette à la révision judiciaire par la Chambre d’appel. Lorsque la Chambre d’appel se prononcera sur la décision et que d’autres décisions sur le sujet seront prises par la Chambre de première instance, les principes et procédures pourront être développés et clarifiés.

En considérant les deux rapports de la Cour sur la décision dans l’affaire Lubanga, le Bureau de l’AÉP note quatre enjeux principaux sur les principes et procédures en matière de réparation dans son rapport sur les victimes et communautés affectées :

•   l’identification de principes applicables à la réparation pour les victimes;

•   le lien entre les paramètres d’indigence aux fins de l’aide judiciaire et la réparation;

•   la création d’outils nécessaires à l’identification, la localisation et le gel ou la saisie des biens des personnes reconnues coupables aux fins de réparation; et

•   le débat sur l’approche individuelle et l’approche collective aux réparations.

Comme ces différents rapports le démontrent, l’AÉP aura plusieurs points de discussion sur les questions du processus de demande de participation et des principes et procédures de réparations pour les victimes. Sur certains de ces points, les États Parties auront possiblement un point de vue opposé à ceux exposés par la CPI dans ses rapports, particulièrement au niveau de l’équilibre à faire entre l’indépendance judiciaire et la nécessité d’un système clair et cohérent.

Stratégie révisée concernant les victimes

Depuis la dernière session de l’AÉP, la CPI a eu la chance de poursuivre sa stratégie révisée concernant les victimes et de commencer sa mise en œuvre. En prévision de la 12e session de l’AÉP, la CPI a préparé un rapport intitulé Rapport de la Cour sur la mise en œuvre de la stratégie révisée concernant les victimes en 2013. La stratégie révisée a comme but la concrétisation des droits des victimes et, pour ce faire, elle comprend quatre objectifs stratégiques. Le premier objectif est de s’assurer que les victimes de situations considérées par la CPI soient informées sur la Cour, son mandat et ses activités, ainsi que sur leurs droits en tant que victimes, ce qui a été mis en œuvre par des initiatives telles que des programmes de radio et de télévision diffusés aux communautés affectées. Deuxièmement, la CPI veut fournir la protection, le soutien et l’aide nécessaire aux victimes pour assurer leur sécurité, leur intégrité et leur bien-être, ce qui est accompli par des évaluations de sécurité, de l’aide psychosociale et des mesures de protection. Le troisième objectif est de s’assurer que les victimes peuvent exercer pleinement leurs droits et être représentées de façon efficace, grâce, entre autres, à des améliorations au système de gestion électronique. Finalement, la CPI veut assurer la mise en œuvre du droit des victimes à une réparation et à bénéficier d’une assistance. Elle a créé des initiatives variées pour atteindre ces deux derniers objectifs, mais beaucoup reste à faire, ce qui explique pourquoi les deux sujets restent des enjeux importants à l’AÉP et seront discutés individuellement lors de la séance plénière sur les victimes.

Décision de l’Union africaine

Tandis que les enjeux précédents concernent principalement la mise en œuvre des droits concrets à la réparation et à la participation, les victimes ont en plus certains droits plus moraux qui peuvent également être atteints grâce aux procédures devant la CPI, soit le droit à la vérité et le droit à la justice. L’ensemble de ces droits, autant ceux de participer et de recevoir une réparation que le droit à la vérité et à la justice, peuvent être menacés par l’immunité des chefs d’État en exercice. 

Récemment, l’Union africaine a adopté une décision qui pourrait avoir un impact important sur les droits des victimes. En effet, les 11 et 12 octobre 2013, l’Union africaine (UA) a tenu un sommet extraordinaire lors duquel elle a adopté une décision sur les relations entre l’Afrique et la CPI. Dans cette décision, l’UA condamne la poursuite du Président kenyan, Uhuru Kenyatta, et de son Vice-Président, William Samoei Ruto, et demande à la CPI et au Conseil de sécurité des Nations Unies de suspendre les procès de Kenyatta et Ruto jusqu’à la fin de leur mandat. Pour ce faire, l’UA réaffirme l’importance du principe de droit coutumier international de l’immunité des chefs d’État en exercice

Cette décision a de nombreuses répercussions et fera l’objet d’une séance plénière entière portant sur la mise en accusation de chefs d’État en exercice et ses conséquences sur la paix et la stabilité. Dans ce contexte, autant les impacts de la mise en accusation de chefs d’État en exercice que les impacts de l’impunité et de l’impossibilité de poursuivre les chefs d’État en exercice doivent être considérés. En effet, retarder la poursuite de chefs d’État leur permettrait de finir leur mandat avant de devoir faire face à n’importe quelle accusation, ce qui signifie qu’ils garderaient un pouvoir important sur leurs victimes et pourraient continuer à commettre des crimes internationaux sans peur de représailles immédiates. L’immunité des chefs d’État en exercice sera donc un enjeu important lors de la 12e session de l’AÉP et plus particulièrement lors de la séance plénière sur les victimes.

Comme ces enjeux variés le démontrent, même si les victimes semblent bénéficier de droits de participer et de recevoir une réparation en vertu du Statut de Rome, de nombreux obstacles subsistent dans le parcours de la CPI vers une justice véritablement réparatrice. Plusieurs de ces enjeux seront considérés lors de la 12e session de l’AÉP, incluant les difficultés relatives au processus de demande de participation, l’absence d’un système clair en matière de réparations et l’impact de l’immunité des chefs d’État en exercice sur les victimes. Nous pouvons espérer que l’AÉP poussera pour un régime juridique cohérent et transparent qui identifiera clairement les principes applicables en matière de réparation, simplifiera le processus de demande de participation et assurera un accès à la justice et à la vérité pour les victimes. L’expérience des victimes à la CPI devrait leur permettre d’obtenir vérité et justice, et d’éviter de les re-victimiser par sa longueur et sa complexité, tout en atteignant un équilibre avec les principes fondamentaux du processus pénal tels que l’indépendance judiciaire.

 

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

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