Raymond Ouigou Savadogo
Raymond O. Savadogo détient un Baccalauréat en droit avec distinction (major de promotion), une maitrise en droit international et transnational avec distinction et il a servi à titre de Professionnel de recherche et d’assistant d’enseignement en droit international pénal à la Faculté de droit de l’Université Laval. Ancien étudiant de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (Bobo Dioulasso-Burkina Faso), il est intervenu à la Cour pénale internationale comme membre pro bonodu Conseil de la défense de Callixte Mbarushimana jusqu’à sa mise en liberté. Par le biais de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, il a également servi comme travailleur contractuel des Outils juridiques de la Cour pénale internationale et a assisté le Conseil des victimes devant les Chambres africaines extraordinaires instituées au sein des tribunaux sénégalais pour juger l’ancien Président tchadien, Hissène Habré. Devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, il a agi à titre d’assistant du Conseil de la défense de Callixte Nzabonimana de même que du Conseil de la défense des personnes acquittées, à savoir André Ntagerura, Jérôme Clément Bicamumpaka, Gratien Kabiligi et Casimir Bizimungu aux fins de leur réinstallation dans des pays d’accueil. Reçu en 2010 comme stagiaire au Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) et engagé plus tard comme « enquêteur terrain associé » pour une étude Afrobaromètre sur l’éducation citoyenne à la démocratie et aux droits humains, Raymond est passionné du droit international pénal, du droit international humanitaire et du droit international des droits de la personne. Il est aussi récipiendaire de plusieurs honneurs et distinctions et a également représenté l’Université Laval à la 25ème édition du Concours international de droit international humanitaire (Concours international Jean Pictet) qui s’est tenue en Thaïlande en mars 2013. Sa thèse de doctorat portera sur la poursuite des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide devant les juridictions africaines. Suivez-le sur Twitter : @raysava.
Philippe Plourde
Philippe Plourde est avocat depuis 2012 et présentement candidat à la maîtrise en droit à l'Université Laval. Après des études de baccalauréat en droit à l'Université Laval et l'École du Barreau, il a travaillé comme "Legal Assistant" au TPIR dans l'équipe de défense d'Augustin Ngirabatware, et il est présentement "Legal Assistant" pour l'équipe de défense d'Elie Ndayambaje, dans le dossier Butare. Il a participé à la Clinique de mai à septembre 2011, avec l'équipe de défense d'Idelphonse Nizeyimana, toujours au TPIR. LinkedIn : ca.linkedin.com/in/
Le 27 février dernier, nous vous présentions, à chaud, la situation précaire et les implications juridiques du sort de Mathieu Ngudjolo, premier véritable acquitté de la Cour pénale internationale (CPI), qui attendait des réponses à ses demandes de reconnaissance de son statut de réfugié aux Pays-Bas (voir le billet du Blogue). Billet idéaliste, billet optimiste et billet qui croyait, dur comme fer, à une implication plus forte de ces deux entités juridiques – les Pays-Bas et la CPI – dans le respect des droits des personnes qui ont été mises en accusation. La CPI, symbole de justice dans un cadre supranational et entité visant à garantir durablement le respect de la justice internationale, doit désormais être vue également comme une institution qui reste immobile alors que sous ses yeux et à ses pieds, se joue le sort d’une personne qui, d’autant plus, est dans une pareille situation du fait des agissements de la CPI.
Dans un déni total des craintes réelles de Ngudjolo en lien avec son retour en République démocratique du Congo (RDC), les autorités néerlandaises l’ont déporté, le 11 mai dernier, d’abord d’Amsterdam à Bruxelles, puis de Bruxelles jusqu’à Kinshasa, dans un vol SN357 affrété par Brussels Airlines. En bombant fièrement le torse, ils l’ont vraiment fait! Quoique la situation semble évoluer très rapidement, des ragots et des rumeurs dominent le fil des nouvelles depuis son arrivée en RDC. Ce qui semble certain, cependant, c’est que Ngudjolo, dès son atterrissage en territoire congolais, a été ‘pris en charge’ par les forces gouvernementales et amené dans un hôtel de la capitale. Sa famille, qui est dans l’ignorance totale de son état, n’aurait pas pu communiquer avec lui (alors que, faut-il le rappeler, celui-ci devrait être libre). Son propre avocat congolais n’aurait d’ailleurs eu aucune garantie des autorités congolaises par rapport à la sécurité de son client. Depuis la confirmation de son acquittement en appel, les commentaires fusent de tout bord. Quant au présent billet, il sera consacré exclusivement à l’analyse des assurances diplomatiques octroyées en de telles circonstances de même que les grands enjeux respectifs tant à l’aune de l’État hôte lui-même que du point de vue de la Cour pénale internationale. Mais bien avant, un retour sur le long parcours judiciaire de Ngudjolo, étape par étape, s’impose.
L’affaire Mathieu Ngudjolo Chui : retour sur une interminable bataille judiciaire
Ngudjolo est un ancien responsable supposé du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) en Ituri, un groupe rebelle basé en République démocratique du Congo. Arrêté le 7 février 2008 et transféré à La Haye le lendemain, il a été acquitté par la Cour pénale internationale de toutes les charges portées à son encontre le 18 décembre 2012. Sur appel du Procureur qui demandait à ce qu’il soit maintenu en détention en attendant l’aboutissement de la procédure, la Chambre d’appel a rejeté la requête de l’Accusation et a ordonné au Greffe de prendre toutes les mesures appropriées pour sa mise en liberté. Conformément à l’article 48 (1) de l’Accord de Siège[1] repris verbatim par la Règle 185 (1) du Règlement de procédure et de preuve, ceci doit être fait, « en tenant compte de son avis, dans un État qui est tenu de le recevoir, ou dans un autre État qui accepte de le recevoir ».
Trois jours plus tard, à savoir le 21 décembre 2012, les portes de la prison de Scheveningen lui seront ouvertes. Il a donc été « remis aux autorités de l'État hôte pour être transféré en République démocratique du Congo (RDC), dans l'attente de la levée de l'interdiction de voyager qui lui a été imposée par le Conseil de sécurité des Nations Unies » [nos traductions][2] ; mais pas pour longtemps ! Très vite, il fit valoir des « risques objectifs de persécution », de torture et la possibilité de subir la peine de mort du fait de ses déclarations lors de son jugement qui incriminaient le Président Kabila – Président en exercice de la RDC – dans les attaques du village de Bogoro[3]. Il sera donc détenu « depuis le 21 décembre 2012 dans un centre de demandeurs d’asile » de Schiphol jusqu’à ce qu’un tribunal néerlandais ordonne sa mise en liberté de même qu’une compensation monétaire de 2400 euros pour détention illégale. Au 1er juillet 2013, il introduisit alors une demande d’asile qui sera rejetée par le Ministre adjoint à la sécurité et à la justice; refus qui a valeur d’ordre de quitter immédiatement le territoire hollandais. En guise de motif, le Ministre adjoint avait estimé que le risque de persécution dont Ngudjolo voulait se prévaloir n’était pas fondé. Mieux, il avait indiqué qu’il y avait des raisons sérieuses de croire – au regard de l’article 1 (F) de la Convention relative au statut des réfugiés – que ce dernier ait commis un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime de génocide du fait de son rôle au sein des milices telles que la Force de résistance patriotique en Ituri (FPRI) et du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI). Il y a été également décidé que le seuil de preuve requis pour l’exclusion à la protection des réfugiés est moins élevé que le seuil nécessaire pour l’acquittement dont bénéficie Ngudjolo. Pour preuve, le Ministre avait retenu le fait que Ngudjolo ait été à la fois l’agent de liaison entre ces deux groupes puis supérieur du ‘Commandant de l’ombre’ d’une part et d’autre part, au regard de l’interdiction de voyage posée contre lui par le Conseil de sécurité des Nations unies. Mathieu Ngudjolo Chui va relever appel de cette décision de refus et le 28 mai 2014, la Cour de La Haye (Rechtbank Den Haag) ordonne au Ministre adjoint de revoir sa décision de refus; pour cause, elle n’aurait pas suffisamment été motivée. À son tour, le Ministre adjoint interjette appel de la décision de la Cour de La Haye devant la Raad van State, – la plus haute instance judiciaire du pays – qui lui donne finalement raison en rejetant de manière définitive et en dernier ressort, la demande d’asile de Mathieu Ngudjolo Chui. Dès cet instant, il est donc sous la menace imminente d’être déporté en RDC, n’eut été – encore une fois – l’interdiction de voyager qui lui avait été imposée par le Conseil de sécurité des Nations unies. À la majorité de trois juges contre deux, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale confirma définitivement son acquittement le 27 février 2015. Aussi vite, il sera arrêté par les autorités néerlandaises, puis immédiatement transféré à l’aéroport dans un avion qui s’apprêtait à décoller pour la RDC et il fallut une décision urgente à-coup, rendue en dernière minute, pour faire obstacle à sa déportation; décision qui lui autorise en même temps d’introduire à nouveau une demande d’asile. Dès lors, il incombait à Ngudjolo de convaincre les autorités néerlandaises, à travers sa nouvelle demande d’asile, que sa situation qui motivait sa première demande – rejetée auparavant – avait changé et que sa crainte de persécution demeurait fondée. Le 23 avril 2015, cette nouvelle demande d’asile sera, elle-aussi, rejetée et Ngudjolo sera détenu au centre de demandeurs d’asile de Schiphol en attendant son expulsion prévue pour le 1er mai 2015. Sur ces entrefaites, Jean Pierre Kilenda, un des avocats de Ngudjolo, va tenter un ultime recours dans une lettre ouverte datée du 27 avril 2015 où il appelait l’Assemblée des États Parties de la Cour pénale internationale à faire preuve de « sens de responsabilité » afin de trouver une solution politiquement acceptable à la situation de Mathieu Ngudjolo Chui, tentative qui s’est avérée être vaine et infructueuse. Dans la matinée du 10 mai 2015, Mathieu Ngudjolo Chui sera escorté dans une voiture de la police, de son lieu de détention jusqu’à Bruxelles où il a été expulsé vers Kinshasa, le même jour.
Dans un précédent billet, nous mettions sur la table à débat les enjeux et les implications juridiques qui gouvernent cette affaire hors du commun en identifiant, entre autres, les assurances diplomatiques et le monitoring comme une voie possible. Sans hésitation aucune, c’est ce scénario de garanties diplomatiques qui s’est profilé en l’espèce, mais encore faut-il que celles-ci soient fiables, juridiquement. Quoique le contenu réel de ces assurances soit jalousement gardé confidentiel par le Greffe de la Cour et les autorités hollandaises, il a été affirmé officiellement que cette expulsion a été rendue possible sur la base « des garanties de Kinshasa, consignées dans un rapport ». Pour sa part, le porte-parole de la Cour, Fadi El Abdallah, a insisté sur le fait que « la sécurité de M. Ngudjolo sera assurée en RDC ». En conséquence, la question de droit qui se pose à ce stade concerne assurément la fiabilité, la solidité juridique des assurances qui ont été octroyées. Sont-elles assez et suffisamment conséquentes pour rassurer Ngudjolo que sa sécurité personnelle et sa vie seront garanties, que la peine de mort et/ou des procès opportunistes ne lui seront pas appliqués? À défaut de pouvoir mettre la main sur le libellé exact de ces assurances diplomatiques, afin de discuter – de fond en comble – de leur fiabilité, nous passerons en revue les conditions générales qui régissent ce type d’engagement.
Les assurances diplomatiques en question: garantie contre la mort ou mort garantie?
D’abord utilisées comme un ‘filet de sécurité’ pour la non-application de la peine de mort puis en guise de garanties des procès justes et équitables ou contre les risques de torture et de traitements inhumains, ou encore contre l’expulsion, la déportation et l’extradition risquée, les assurances diplomatiques font partie, depuis longtemps déjà, des pratiques étatiques[4]. Habituellement accordées sur une base individuelle, ces assurances sont utilisées dans le cadre du renvoi d'une personne d'un État à un autre. Il a été généralement admis que durant ce processus, l’État d’accueil s’engage à l’égard de l’État d’envoi à accorder à la personne renvoyée des garanties d’un traitement conforme soit aux conditions fixées par l'État d'envoi, soit, plus généralement, au regard de ses propres obligations internationales en matière de droits de la personne [para 1 et 2]. Ces assurances s’apparentent à une sorte de sous-traitance d’obligations internationales. En l’espèce, plusieurs indicateurs ont déjà été déduits de la pratique des États par la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH). Mais bien avant, il convient de souligner en guise de toile de fond, comme l’avait mentionné le Comité contre la torture dans Agiza c. Suède, que les assurances diplomatiques ne peuvent être invoquées que si elles sont (i) des moyens appropriés pour éliminer le danger à l’égard de la personne concernée, et (ii) si l'État d'envoi peut, de bonne foi, les considérer comme fiables [paras 13.4 et 13.5]. Elles n’ont d’importance que si elles font disparaître le risque craint. En évaluant donc ces assurances diplomatiques, la CrEDH a d’abord souligné dans Abu Qatada c Royaume Unis qu’il convenait de tenir compte « de la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’accueil et d’autre part les éléments propres au requérant » [para 187].
De manière disparate, les différents facteurs qui ont jusque-là été retenus par la Cour peuvent être regroupés de la manière suivante: (1) la précision de ces assurances (ce qui exclut donc les assurances vagues)[5] ; (2) la qualité de l’auteur de ces assurances et surtout sa capacité à engager l’État d’accueil[6] ; (3) le caractère légal ou illégal dans le pays d’accueil des traitements au sujet desquels les assurances ont été accordées[7] ; (4) le fait que les termes des assurances aient ou non été communiquées par l’État de destination[8] ; (5) la durée et la force des relations bilatérales entre les deux États en ce compris les attitudes précédentes de l’État d’accueil vis-à-vis des assurances similaires[9] ; (6) le fait que ces assurances proviennent ou non d’un État contractant, donc lié par une obligation internationale[10] ; (7) le fait que le requérant ait ou non déjà été maltraité dans le pays d’accueil[11] ; (8) l’existence dans l’État d’accueil d’un vrai système de protection contre la torture et sa coopération avec les mécanismes internationaux et régionaux de contrôle de même que sa volonté d’enquêter et de sanctionner les auteurs[12] ; (9) la possibilité ou non de vérifier objectivement le respect de ces assurances de manière diplomatique ou par des mécanismes de contrôle[13] et (10) au cas où ces assurances seraient données par les autorités centrales de l’État d’accueil, la probabilité que les autorités locales les respectent[14].
Offrir des assurances diplomatiques est une chose, leur validité et leur efficacité à protéger les personnes concernées en sont une autre. Forte et consciente des disparités de circonstances qui gouvernent la validité et varient d’une assurance à une autre, la CrEDH dans Chahal a rappelé que la règle de base demeure l’appréciation au cas par cas selon les exigences des faits en présence[15] et surtout au regard du risque craint. L’idée étant que les assurances d’un procès équitable seront véritablement et évidemment moins exigeantes que des assurances contre la torture[16].
Appliquées in casu, où Mathieu Ngudjolo Chui a été renvoyé en République démocratique du Congo – pays qui, en plus d’appliquer encore la peine de mort, détient sans doute aucun le record inégalé de violations des droits humains – ces facteurs nous font dire que la Cour pénale internationale et surtout les autorités néerlandaises sont en train de jouer avec le feu.
Au moment de la publication de ce billet, la situation semble tendue et hautement imprévisible. Il est difficile de prévoir ce que l’avenir réserve à Ngudjolo, ni même si celui-ci aura un quelconque contrôle sur son avenir… Sera-t-il poursuivi par les autorités congolaises, en contradiction avec les règles non bis in idem de la Cour pénale internationale, qui interdisent la double incrimination pour les mêmes faits? Ou bien, une autre manière de régler le compte de l’ennemi d’hier, sera-t-il poursuivi pour des crimes qui sortent de ce qui est couvert par ce principe, contournant l’objectif de cette norme (par exemple, pour désertion, ce qui serait passible de peine de mort)? Est-ce que le scénario imaginé par un de ses avocats, Filip Schüller, se concrétisera : « Après deux mois, il disparaîtra et sera poignardé, et l’unité de protection des témoins de la Cour n’aura aucun pouvoir. Une enquête sera diligentée par les autorités congolaises, dont on n’aura sans doute jamais le résultat »? Vivra-t-il en paix avec sa famille? Les prochains jours, prochaines semaines, prochains mois et prochaines années nous donneront réponse à ces questions.
Le cas Ngudjolo, le mutisme de la Cour et la réponse ‘musclée’ de l’État hôte : le message
Quelle sorte de précédent crée ce renvoi de Mathieu Ngudjolo Chui en RDC qui, faut-il le rappeler est le tout premier acquitté de la Cour pénale internationale? Quelles seraient les conséquences pour d’autres éventuels acquittés de la CPI qui se retrouveraient dans une situation similaire? Pour l’heure, répondre à ces questions ne serait que pure spéculation et chaque situation se doit d’être analysée individuellement, selon les faits en l’espèce. Du reste, toutes les personnes acquittées par la Cour ne craindront pas forcement d’être persécutées en cas de retour et même celles qui craindraient la persécution n’auront pas toutes un même passé ‘sombre’ qui les exclurait de la protection internationale offerte par la Convention relative au statut des réfugiés aux personnes qui fuient la persécution. Cependant, il n’en demeure pas moins que la situation actuelle en lien avec la réinstallation des personnes impliquées dans les procédures de la Cour pénale internationale met à la fois cette dernière et l’État hôte dans des positions respectivement inconfortables. D’une part, la Cour, parce que son texte fondateur, le Statut de Rome, a été adopté dans un contexte qui est tout autre et qui s’est préoccupé davantage de la question de savoir comment mettre la main sur des criminels présumés afin de garantir qu’ils comparaissent devant elle, mais très peu d’attention, sinon aucune attention sur ce qui adviendrait une fois que la présence de ces personnes n’est plus requise. En gardant en tête l’introuvable solution de la réinstallation des acquittés du Tribunal pénal international pour le Rwanda, la stratégie de la Cour a donc consisté à ouvrir largement ses portes à Mathieu Ngudjolo tout en sachant qu’il sera immédiatement arrêté par l’État hôte, dès sa sortie des salles d’audience. De l’autre côté, l’État hôte se trouve, lui aussi, dans une position incommode. La rapidité expéditive avec laquelle le cas Ngudjolo a été traité, depuis les hautes instances judiciaires jusqu’au simple policier de rang pour les escortes, démontre sans ambages un message clair: « [l]es Pays-Bas ne souhaitent pas voir la CPI devenir une porte d’entrée sur leur territoire ». Il en est ainsi, parce qu’il ne fallait surtout pas ressusciter le vieux démon qui nourrissait les débats parlementaires – et qui étaient déjà à couteaux tirés – entre ceux qui étaient d’accord, au départ, pour que les Pays-Bas soient l’État hôte de la Cour pénale internationale et les conservateurs qui étaient radicalement contre, en avançant l’idée selon laquelle les Pays-Bas ont déjà plusieurs juridictions internationales sur leur territoire, jusqu’à la bonde (Cour internationale de Justice, Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Tribunal spécial pour le Liban puis de nombreuses autres organisations internationales) et qu’il n’était plus question d’en rajouter[17]. Sans doute aucun, il s’agit là d’une réponse qui, quoique claire, est hautement risquée comme message à un problème inattendu des deux côtés. Il ne faut surtout pas perdre de vue que si cette expérience de retour de Ngudjolo en RDC devait mal se terminer, la CPI et les Pays-Bas se retrouveraient alors dos au mur et face à un dilemme. En effet, ils seraient alors tenus responsables du refoulement d’une personne dans un État où elle a été victime de violations de ses droits. Au demeurant, de fortes menaces de poursuites pèsent déjà contre ceux-ci advenant une telle situation. C’est donc à dents fortement serrées que ce renvoi-test a été effectué, d’où la sourde oreille de la Cour pénale internationale et des autorités néerlandaises.
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Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.
[1] L’article 48(1) de l’Accord édicte que « [l]orsqu’une personne remise à la Cour est libérée parce […] que la personne a été acquittée lors du procès ou en appel, ou pour toute autre raison, la Cour prend, aussitôt que possible, les dispositions qu’elle juge appropriées pour le transfèrement de l’intéressé, en tenant compte de son avis, dans un État qui est tenu de le recevoir, dans un autre État qui l’accepte, ou encore dans un État qui a demandé son extradition avec l’assentiment de l’État qui l’a remis initialement »[nos italiques].
[2] Le Procureur c Mathieu Ngudjolo Chui, ICC-01/04-02/12-14 Decision on the « Requête urgente de la Défense en vue de solliciter la relocalisation internationale de Mathieu Ngudjolo hors du continent africain et sa présentation devant les autorités d'un des États parties au Statut de la Cour pénale internationale aux fins de diligenter sa procédure d'asile », 21 décembre 2012, para 6 (Cour pénale internationale, Chambre d’instance II), en ligne : CPI <http://www.legal-tools.org/en/doc/133677/> (consulté le 13 mai 2015). Au paragraphe suivant, le Conseil de la défense de M. Ngudjolo avait, sur la base des mesures de protection prévues à l’article 68 du Statut de Rome, demandé à la Chambre d’instance d’ordonner la réinstallation de Mathieu Ngudjolo Chui au Royaume-Uni afin de lui permettre d’y introduire une demande d’asile.
[3] À titre d’exemple, dans le jugement d’instance il a été clairement mentionné qu’en vue de reconquérir l’Ituri, un rapprochement entre l’Ouganda et la RDC avait été fait et que « [l]es directives arrêtées pour chasser l’UPC de Bunia auraient été données deux jours plus tard par le Président Kabila ».
[4] Dans l’affaire Sing et Ming, par exemple, la Chine avait demandé l’extradition des requérants, accusés de corruption et de contrebande. En parallèle, dans une note diplomatique, elle avait fourni des assurances selon lesquelles la peine de mort ne leur sera pas appliquée. En l’espèce, la Cour fédérale a jugé que l’agente qui avait pris la décision d’autoriser l’extradition était fondée à se fier à l’assurance de ne pas imposer la peine de mort, car la Cour populaire suprême veillerait à ce que cet engagement soit respecté. Voir Lai Cheong Sing et Tsang Ming Na c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2007] CF 361.
[5] Ce qui exclut les assurances générales ou imprécises. Voir par exemple Khaydarov c Russie, n°21055/09 (20 mai 2010) para 111.
[6] À titre d’exemple, la CrEDH a souligné que ‘[i]t is not at all established that [a] First Deputy Prosecutor General or the institution which he represented was empowered to provide such assurances on behalf of the State’, voir : Soldatenko c Ukraine, n°2440/07 (23 octobre 2008) para 73.
[7] Dans Saoudi c Espagne, la CrEDH avait noté le fait que le requérant craint l’application de la peine de mort à son égard au cas où il retournait en Algérie ; peine que la législation algérienne ne prévoit pas pour les délits en cause, à savoir le terrorisme. Voir Saoudi c Espagne (déc) no 22871/06 (18 septembre 2006).
[8] Dans Mouminov c Russie, par exemple la CrEDH avait souligné que le gouvernement Russe “did not submit a copy of any diplomatic assurances indicating that the applicant would not be subject to torture or ill-treatment.” Voir Mouminov c Russie n°42502/06 (11 décembre 2008) para 97.
[9] Pour les attitudes précédentes de l’État d’accueil voir Babar Ahmad and Others v The United Kingdom no. 24027/07 (10 avril 2012) paras 107-08.
[10] À ce sujet, voir la Décision sur la recevabilité de la CrEDH dans Gasayev c Espagne (déc) n°48514/06 (17 février 2009).
[11] Dans Koktysh c Ukraine, la CrEDH a souligné que “[a]lthough the reference to a general situation concerning human rights observance in a particular country cannot on its own serve a basis for refusal of extradition, there is an evidence in the present case, confirmed by the findings of the Belarusian courts, that the applicant has been already ill-treated by the Belarusian authorities. The Government did not show that the situation in respect to the applicant had changed to the extent which enables any possibility of ill-treatment in the future.” Koktysh c Ukraine, n°43707/07 (10 décembre 2009) para 64.
[12] Ibid, para 63.
[13] Voir à ce sujet, Chentiev et Ibragimov c Slovaquie n°21022/08 (14 septembre 2010) para 2. Quant au Haut-Commissariat pour les réfugiés, il déplore que ces assurances diplomatiques ne fournissent pas généralement des mécanismes de mise en œuvre ni aucun remède juridique à l’égard de l’État d’envoi ou vis-à-vis de la personne concernée en cas de non-respect, une fois la personne transférée à l’État de destination: voir « UNHRC Note on Diplomatic Assurances and International Refugee Protection » UNHCR (Aout 2006) en ligne : <http://www.refworld.org/docid/44dc81164.html> para 5 (consulté le 13 mai 2015).
[14] Dans ce cas d’espèce, la CrEDH se base sur des violations commises dans les localités, notamment par la Police de l’État indien de Pendjab pour conclure que les assurances du gouvernement central de l’Inde ne sont pas valables. Voir Chahal c Royaume-Uni n°22414/93, 15 novembre 1996, paras 105-07 [Chahal c Royaume-Uni].
[15] La CrEDH souligne que : « s'il est vrai que les faits historiques présentent un intérêt dans la mesure où ils permettent d'éclairer la situation actuelle et son évolution probable, ce sont les circonstances présentes qui sont déterminantes ». Voir : Chahal c Royaume-Uni, Ibid para 86.
[16] Selon la Cour Suprême du Canada, il convient d’établir une distinction entre les assurances qui visent à promettre de ne pas appliquer la peine de mort et celles qui visent à promettre de ne pas avoir recours à la torture. La nécessité de cette distinction tient au fait que les premières sont plus faciles à contrôler et généralement plus dignes de foi que les secondes. Voir Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [2002] CSC 1 para 124.
[17] Voir par exemple, Joris Van Wijk, “When International Criminal Justice Collides with Principles of International Protection: Assessing the Consequences of ICC Witnesses Seeking Asylum, Defendants Being Acquitted, and Convicted Being Released” (2013) 26:01 Leiden J Int'l L 173 à la p 177. Pour les juridictions internationales dont le siège est aux Pays-Bas, voir : William Schabas, Introduction to the International Criminal Court, Cambridge, Cambridge University Press, 4e ed 2011 p 369.