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L’impact sur le procès pénal international de l’absence des accusés en charge de fonctions publiques extraordinaires : les règles 134 bis, ter et quater du Règlement de procédure et de preuve de la CPI

Rebecca Mignot-Mahdavi

Doctorante en droit international humanitaire au sein du Centre de Recherches et d’Etudes sur les Droits fondamentaux de l’Université Paris Ouest-Nanterre la Défense (UPOND). Diplômée du DU « Organisation et juridictions pénale internationales » (OJPI) de l’UPOND, elle participe à la création de l’association des anciens étudiants du diplôme universitaire OJPI. Elle est également vice-présidente de la Conférence Nationale Lysias, et organise à ce titre des concours de plaidoirie et d’éloquence à destination d’étudiants en droit, de la première année au master 2. 

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Nom de famille: 
Mignot-Mahdavi
Prénom: 
Rebecca
22 December 2014

 

Résumé de MIGNOT-MAHDAVI R., L’impact sur le procès pénal de l’absence des accusés dotés d’une qualité officielle. Les nouvelles règles 134bis, ter et quater du RPP de la CPI et les « personnes en charge de fonctions publiques extraordinaires, mémoire présenté et soutenu publiquement le 4 septembre 2014 pour l’obtention du Master 2 Droits de l’homme, à l’UPOND, publié dans La Revue des droits de l’homme, n°6, 2014, mis en ligne le 1er décembre 2014.

En collaboration avec Chroniques Internationales Collaboratives

 

La technique des « petits pas » s’avère très fructueuse pour les accusés kényans de la Cour pénale internationale (ci-après, « la Cour »). Depuis le 1er round de la 12ème session de l’Assemblée des États Parties (ci-après, « AEP ») qui ouvrait officiellement les hostilités entre le Kenya, soutenu par l’Union africaine, et la Cour, l’étau de la justice pénale internationale s’est progressivement desserré pour eux, à tout le moins pour M. le Président Kenyatta à l’encontre duquel le Procureur a abandonné les poursuites le 5 décembre 2014. Si Monsieur Kenyatta est momentanément sorti d’affaire, M. le Vice-président du Kenya William Ruto est encore actuellement inquiété. Le coup de grâce risque d’être porté si les deux tiers des membres de la 13ème session de l’AEP actuellement en cours votaient en faveur de l’amendement de l’article 27 du Statut de Rome, affirmant pour le moment le défaut de pertinence de la qualité officielle pour solliciter une exonération de sa responsabilité pénale individuelle. Un pas franc serait alors réellement effectué vers la fin de l’abolition des immunités pour les chefs d’État.

Jusqu’alors, avec l’adoption des règles 134 bis, ter, et quater du Règlement de procédure et de preuve, il était incorrect de dire que le principe d’absence d’immunité pour les personnes dotées d’une qualité officielle était violé. En effet, si une incompatibilité des nouvelles règles avec le Statut lui-même, et le principe d’égalité de tous devant la justice pénale internationale qu’il consacre, peut être démontrée – notamment en se référant aux travaux préparatoires du Statut de Rome – la brèche qu’elles ouvrent sur une possibilité d’absence du corps de l’accusé au procès ne lui permettait en aucun cas de se prévaloir de sa qualité officielle pour solliciter une exonération de responsabilité. Concernant l’incompatibilité avec le principe d’égalité, soulevons en effet brièvement la question de savoir, bien que les règles 134 bis et 134 ter ne visent pas expressément les personnes en charge de fonctions publiques extraordinaires, quelles peuvent-être les circonstances exceptionnelles visées par elles sinon la qualité officielle de l’accusé le contraignant à exercer ses fonctions publiques extraordinaires ? La règle 134 quater qui vise quant à elle expressément l’accusé doté d’une qualité officielle semble en tout état de cause être une application à un cas d’espèce de ces deux premières règles : celui d’un accusé en charge de fonctions publiques extraordinaires au plus haut échelon national. Plus encore, les deux règles 134 bis et 134 ter semblent être des règles fantoches pour diluer l’impression que la règle 134 quater est issue d’une négociation d’ordre politique, fabriquée sur mesure pour les procès kenyans. En tout état de cause, en l’absence d’éclaircissement jurisprudentiel en la matière en dehors des décisions prises dans les procès kenyans, il est possible de dire que ces règles ont pour uniques destinataires les accusés en charge de fonctions publiques extraordinaires au plus haut échelon national et dès lors, qu’elles brisent le principe d’égalité.

Ce n’est pas tout : faisons un pas en arrière et tentons d’avoir une vision d’ensemble. Loin de servir les intérêts des accusés, ces blancs-seings leur permettant de ne pas se rendre à certaines phases de leur procès sont susceptibles de conduire à un amoindrissement des droits de la défense. Si les organes de protection des droits de l’homme ont pu affirmé le caractère suffisant de la présence de l’avocat devant une juridiction nationale pour assurer la défense d’un accusé dans une « procédure in absentia » - où le principe est l’absence de l’accusé – aucun d’eux n’a admis le caractère suffisant de la présence de l’avocat et le caractère relatif du droit de l’accusé à être présent à son procès devant une juridiction pénale internationale, ayant compétence pour juger les crimes de masse et devant laquelle le principe n’est pas l’absence de l’accusé mais bien sa présence. C’est sans compter, en outre, les failles d’une défense en l’absence de l’accusé lorsque des éléments nouveaux et surprenants surgissent en cours d’audience, par exemple lors des audiences d’audition des victimes, des audiences d’interrogatoires et de contre-interrogatoires; ou encore lors des déclarations de clôture de toutes les parties et participants à l’affaire ou lors de l’audience de détermination de la peine, s’il en est, pendant lesquelles l’accusé, s’il est absent, ne pourra exprimer ni remords, ni dernier argument.

En outre, ces règles créent une insécurité juridique indéniable au vu de leur adoption et application à des procédures déjà en cours. Elles mettent en évidence une répartition des pouvoirs dangereuse au sein de la Cour pénale internationale qu’il conviendrait sérieusement de réaliser en ces temps où des nouvelles discussions s’ouvrent à l’AEP : les membres de l’organe en charge de créer et de modifier la norme tentent pour certains d’influencer directement les procédures en cours en proposant des règles à la hâte pour les voir appliquées à des affaires pendantes. En présence des normes imprécises ainsi créées, si nous prenons l’exemple des règles 134 bis, ter et quater, floues et obscurcies par les intérêts politiques qui ont en réalité influencé leur création, les juges sont ensuite contraints de sur-interpréter le droit, si ce n’est de le construire alors qu’ils ne sont habilités qu’à l’appliquer à des cas d’espèce. Le risque de politisation de la Cour pénale internationale est un mal endogène qui la guette, mais des solutions juridiques existent et méritent qu’on les étudie de près. Les règles adoptées à l’issue de la précédente session de l’AEP mettent en évidence deux problèmes majeurs : l’un de forme, qui réside dans l’insécurité juridique créée par l’adoption de règles procédurales nouvelles applicables à des procédures en cours, et l’autre de fond, qui réside dans le « faux privilège » nouveau qu’elles accordent aux accusés en charge de fonctions publiques extraordinaires. La proposition de ces règles étant née d’une volonté politique d’influencer des procédures en cours, il est impératif de s’interroger sur l’opportunité de consacrer un principe de légalité procédurale pour empêcher la réitération de ce type de manœuvre. Précisément, si un tel principe avait prohibé l’application immédiate des règles 134 bis ter et quater aux procès kényans, dès lors que les accusés impliqués dans ces affaires ne savaient pas au moment de la commission des actes reprochés que leur absence allait être autorisée par des règles procédurales nouvelles, le Kenya n’aurait jamais demandé leur adoption. Le chant du cygne se fait déjà entendre : un tel raisonnement sonnerait faux selon certains, à commencer par les juges, dès lors que les accusés ont eux-mêmes renoncé à leur droit d’être présent au procès. Pourtant, une renonciation à un droit n’est ni consciente, ni éclairée quand les accusés, qui ne sont pas en charge de l’élaboration de la norme et de sa mise en conformité avec les exigences du procès équitable, ne sont pas censés mesurer l’atteinte à leurs droits de la défense susceptible d’en découler quand ils croient au contraire en tirer un bénéfice certain. De surcroît, ce principe, dont le volet substantiel exige la prévisibilité et la clarté de la norme nouvellement introduite, viendrait plus largement constituer un rempart contre les règles procédurales obscures et incohérentes.

Avant de répondre à de nouvelles propositions d’amendements, et notamment de celle formulée par le Kenya concernant l’article 27 du Statut de Rome, outre le fait que cela contienne en soi de nombreux problèmes que les commentateurs ne manqueront certainement pas de soulever, n’écartons pas si facilement de l’ordre du jour les décisions précédemment prises, dont tout le monde espère peut-être, en les passant sous silence, évacuer la question de l’impact douloureux qu’elles peuvent engendrer sur le procès pénal international.  

             

 

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

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