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13e session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale : place à la diplomatie judiciaire.

Marie-Odile Marcotte

 

Marie-Odile Marcotte est actuellement finissante au Baccalauréat en droit à l’Université Laval. Elle a réalisé une année complète d’études à l’étranger à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve en Belgique, où elle a eu la chance d’en apprendre beaucoup sur le fonctionnement du droit international et européen, principalement en ce qui a trait aux droits de l’homme. Elle est présentement étudiante à la Clinique de droit international pénal et humanitaire depuis septembre 2014, où elle a contribué jusqu’à maintenant au projet des Outils juridiques de la Cour pénale internationale. Elle a également eu la chance d’assister en personne à la 13e session de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la CPI. 

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Nom de famille: 
Marcotte
Prénom: 
Marie-Odile
12 December 2014

 

8 décembre 2014, 4h15, mon réveil sonne. C’est l’heure ! Je me rends à l’aéroport Jean-Lesage de Québec pour prendre mon vol en direction de New York. C’est en effet lundi que débutait la 13e session de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (AÉP). Cette année, plus précisément du 8 au 17 décembre, c’est au siège de l’Organisation des Nations Unies, à New York, que se déroule cette rencontre. J’ai la chance d’assister à l’événement en tant qu’étudiante à la Clinique de droit international pénal et humanitaire[1] et accréditée auprès d’Avocats sans frontières Canada qui organisera, avec Avocats sans frontières Belgique, un événement parallèle ce vendredi. Cela fait déjà plusieurs semaines que je prépare cette mission, mon rôle consistant à identifier et documenter les enjeux majeurs sous-jacents aux travaux de l’AÉP et à dresser un portrait des positions des États et organisations non gouvernementales les plus importants. Ce fut donc une belle surprise que d’apprendre à la dernière minute que j’aurai la chance d’y assister en personne et d’en faire profiter les lecteurs du Blogue de la Clinique. Ce billet de blogue a pour but de présenter sommairement les principaux enjeux à surveiller à la 13e AÉP. Un autre billet devrait suivre dans les prochains jours pour faire le point sur les développements survenus au courant de la semaine.

 

Budget et élection de juges

 

C’est sans surprise que nous avons découvert un agenda bien chargé pour l’AÉP 13, alternant entre débats en séances plénières, événements parallèles organisés par des ONG et d’autres membres de la société civile ainsi que d’autres discussions sur divers sujets propres à la CPI et à ses enjeux actuels.

 

Un élément majeur de l’AÉP de cette année est évidemment la question du budget. Le budget proposé pour 2015 est de 135,39 millions d’euros, ce qui représente une augmentation de 11,3% par rapport à l’année précédente. Suite à une conférence téléphonique ayant eu lieu le 25 novembre dernier et à laquelle participaient la société civile de même que certains membres de la délégation canadienne présente à l’AÉP 13, nous savons que la position canadienne par rapport au budget sera, tout comme l’année dernière d’ailleurs, d’opter pour le statu quo[2]. Les alliés non officiels du Canada sur ce point semblent être, notamment, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et le Brésil[3]. Le Canada croit qu’il serait plus pertinent de se concentrer sur le remboursement des arriérés dus par certains États à la CPI plutôt que d’adopter une augmentation du budget annuel.

 

Un autre enjeu marquant le début de l’AÉP 13 est l’élection de six nouveaux juges à la CPI. Les règles concernant cette procédure sont énoncées à l’article 36 du Statut de Rome : l’Assemblée élit les juges qui obtiennent le plus grand nombre de votes à la majorité des deux tiers des États Parties présents et votants. Les candidats doivent être inscrits à l’une des deux listes de candidatures selon leurs compétences soit en droit pénal (liste A), soit en droit international (liste B). Pour plus d’informations concernant le processus de candidatures et d’élection, consultez le document publié par la Coalition for the International Criminal Court concernant la procédure pour l’élection des juges de la CPI.

 

Coopération et complémentarité

 

Outre ces détails plus techniques, cette année l’Assemblée a prévu de consacrer beaucoup de temps aux questions de coopération et de complémentarité. Ces sujets furent d’ailleurs traités en 2012 et 2013 lors des précédentes sessions de l’AÉP. Il n’est toutefois pas étonnant qu’ils soient encore une fois au cœur des débats de cette année ; ces principes ne sont rien de moins que les piliers du Statut de Rome.

 

La complémentarité est à la base même de l’existence et du fonctionnement de la CPI. Selon ce principe, les jugements de crimes internationaux par les instances nationales seraient à prioriser, la CPI ne se présentant que comme un recours complémentaire.

 

De ce principe de complémentarité découle évidemment le principe de coopération qui est, cette année, le thème principal de l’AÉP. La séance plénière prévue le 11 décembre en avant-midi sera même entièrement consacrée à ce sujet. De nombreux événements parallèles sur ce thème se tiendront également tout au long de la semaine. Le principe de coopération est prévu de manière générale à l’article 86 du Statut de Rome. Cette obligation ne se limite toutefois pas qu’aux seuls États Parties mais vise également d’autres acteurs (tels les organisations internationales, la société civile et même les États non parties).

 

L’appui des États à la CPI est essentiel à son fonctionnement et la non-coopération de ceux-ci peut d’ailleurs mener à des résultats désolants ; ce fut le cas, entre autres, il y a quelques jours à peine lorsque le Procureur décida officiellement de retirer les charges contre Uhuru Kenyatta, président actuel de la République du Kenya qui était accusé de crimes contre l’humanité en relation avec les violences perpétrées lors de la période post-électorale de 2007-2008. Je n’aborderai pas cette question plus en détails puisqu’elle sera traitée en profondeur dans les billets qui seront publiés sous peu sur le Blogue de la Clinique à l’occasion d’un symposium dédié à l’affaire Kenyatta.

 

La situation kenyane et les propositions d’amendements au Statut de Rome

 

Par ailleurs, la relation entre la République du Kenya, l’Union Africaine et la CPI est actuellement un sujet chaud de l’AÉP 13 non seulement par rapport aux nombreuses questions que soulève le retrait des charges contre Kenyatta, mais également en ce qui concerne les amendements au Statut de Rome proposés par le Kenya. Ils sont au nombre de cinq, mais je me limiterai ici à deux d’entre eux, soit ceux qui risquent, à mon avis, de susciter le plus de réactions.

 

La première proposition concerne l’article 27 du Statut de Rome. Cet article établit le défaut de pertinence de la qualité officielle, faisant en sorte que le Statut de Rome s’applique à tous de manière égale. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Kenya s’attaque à cet article. Le Kenya cherche en fait à soustraire les chefs d’État en fonction, leurs suppléants et toute autre personne exerçant ces fonctions ou habilitée à le faire, de l’application de cette règle fondamentale et ce, pour toute la durée de leur mandat. Cela irait totalement à l’encontre des principes les plus fondamentaux d’équité et nuirait considérablement à la lutte contre l’impunité telle que visée par la CPI.

 

La deuxième proposition d’amendement que je mentionnerai brièvement est celle concernant le principe de complémentarité. Le Kenya cherche à élargir ce principe par le biais d’une modification au Préambule du Statut de Rome, précisant que non seulement les juridictions pénales nationale mais également celles régionales auraient dorénavant priorité sur la CPI.

 

Ces propositions risquent de provoquer de vives discussions, surtout étant donné la situation particulière dans laquelle se trouve actuellement le Kenya suite au retrait des charges du président Kenyatta.

 

Efforts déployés par rapport aux crimes sexuels ou à caractère sexiste

 

Finalement, un dernier sujet particulièrement discuté cette année est celui des crimes sexuels ou à caractère sexiste. Le Statut de Rome est le premier instrument international de la sorte à inclure expressément diverses formes de crimes sexuels ou à caractère sexiste (viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, etc.) à la définition de crimes contre l’humanité (article 7-1-g). La coopération entre les États, la société civile, les ONG et la CPI est encore une fois ici essentielle. Le Bureau du Procureur de la CPI a publié en juin dernier un Document de politique générale traitant en profondeur des différents aspects et problématiques liés à ce sujet. Une partie de la séance plénière du 11 décembre consacrée à la coopération traitera spécifiquement de ce sujet, qui est au cœur de nombreuses discussions à l’AÉP cette année.

 

Les prochains jours s’annoncent chargés, c’est le moins qu’on puisse dire. Il sera intéressant de voir quelle direction prendra la Cour pour l’année 2015 et, par ailleurs, comment la situation kenyane évoluera au cours de la semaine.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

 

[1] Cette mission s’inscrit dans le cadre du International Criminal Court Legal Tools Project: A Canadian Partnership, auquel participent également l’Université d’Ottawa, Dalhousie University et le Centre canadien de justice internationale. La mission est sous la responsabilité d’Érick Sullivan, directeur adjoint de la Clinique de droit international pénal et humanitaire et coordonnateur canadien du projet canadien.

[2] La position canadienne est en effet d’opter pour un «0% nominal growth», tel que mentionné, entre autres, par le représentant canadien Mr. William Crosbie, Legal Adviser and Assistant Deputy Minister, Department of Foreing Affairs, Trade and Development, lors du débat général du 10 décembre 2014.

[3] Informations obtenues lors de la téléconférence avec les représentants canadiens à l’AÉP 13.

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