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Premières mises en liberté avant jugement devant la Cour pénale internationale

Christophe Deprez

Christophe Deprez est titulaire d’un Master en droit de l’Université de Liège (2010) et d’un Master complémentaire en droit international public de l’Amsterdam Law School, Universiteit van Amsterdam (2011). Il a en outre étudié à l’Universiteit Maastricht (2006- 2008), à la University of Glasgow (2009) et à l’Irish Center for Human Rights, NUI Galway (été 2012).

Depuis octobre 2011, il est Aspirant du Fonds national de la recherche scientifique (F.R.S.- FNRS) et doctorant à la Faculté de droit, de science politique et de criminologie de l’Université de Liège. Il s’intéresse au droit international pénal, au droit humanitaire et au droit international des droits de l’homme. Sa recherche doctorale est consacrée aux droits du suspect privé de liberté devant la Cour pénale internationale et encadrée par les Professeurs Daniel Flore, Adrien Masset et Patrick Wautelet. Dans le cadre de ce projet, Christophe a été chercheur invité au Max Planck Institute for Foreign and International Criminal Law de Freiburg im Breisgau (octobre 2012) et à l’Università di Bologna (mai 2014). 

https://www.cdiph.ulaval.ca/sites/cdiph.ulaval.ca/files/deprez.christophe_photo.jpg
Nom de famille: 
Deprez
Prénom: 
Christophe
19 November 2014

 

Le jeudi 23 octobre dernier, la Cour pénale internationale a annoncé avoir libéré, en attente de leur jugement, trois suspects faisant l’objet de poursuites dans le cadre de la situation en République centrafricaine. Aimé Kilolo Musamba, Narcisse Arido et Fidèle Babala Wandu sont, aux côtés de Jean-Jacques Mangenda Kabongo et de Jean-Pierre Bemba, suspectés de diverses atteintes à l’administration de la justice (article 70 du Statut de Rome) en lien avec les charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pesant sur M. Bemba.

M. Musamba, avocat au Barreau de Bruxelles et conseil principal de M. Bemba avant d’être arrêté en novembre 2013, a été libéré en Belgique. MM. Arido et Wandu ont respectivement été libérés en France et en République démocratique du Congo. M. Kabongo devrait, lui aussi, être prochainement libéré, alors que M. Bemba reste détenu dans le cadre des charges principales à son encontre.

Cette mise en liberté avant jugement de trois – bientôt quatre ? – suspects intervient à la suite de la décision prononcée en ce sens le 21 octobre 2014 par le Juge Cuno Tarfusser, juge unique de la Chambre préliminaire II. Par celle-ci, le Juge a notamment estimé, à la lumière de l’article 60(4) du Statut, que « the reasonableness of the duration of the detention has to be balanced inter alia against the statutory penalties applicable to the offences at stake in these proceedings » (soit, in casu, cinq années d’emprisonnement au maximum, aux termes de l’article 70(3) du Statut). Aussi, dans le cas d’espèce, il a considéré que « the further extension of the period of the pre-trial detention would result in making its duration disproportionate ». Le raisonnement du Juge confirme que, contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 60(4), tout retard injustifiable est susceptible de conduire à la libération du ou des suspects, sans qu’un tel retard ne doive nécessairement être imputable au seul Procureur (en l’occurrence, c’est principalement la conduite des autorités néerlandaises qui était pointée du doigt).

Ces libérations représentent une première dans l’histoire de la Cour pénale internationale. L’on se souvient que, le 14 août 2009, la même Chambre préliminaire (représentée par la Juge Ekaterina Trendafilova) avait ordonné la mise en liberté provisoire de M. Bemba. Frappée d’appel avec effet suspensif, cette décision n’avait pourtant pas pu être exécutée, la Chambre d’appel ayant pour sa part estimé que toute mise en liberté sous conditions exigeait, au préalable, d’identifier un État d’accueil qui accepte de contrôler le bon respect du régime de conditions imposé. Ainsi, le système de mise en liberté avant jugement applicable devant la juridiction internationale était tenu en échec par des difficultés pratiques liées à la nécessaire, mais parfois laborieuse, coopération des États.

Aujourd’hui, en assortissant la libération des quatre suspects concernés d’aucune condition particulière, le Juge unique tente d’éviter de subordonner la mise en œuvre de sa décision au bon vouloir des États. Puisqu’aucune mesure de contrôle n’est sollicitée dans le chef des autorités étatiques et que, en outre, les suspects bénéficient de titres de séjour valables sur leurs territoires respectifs, ceux-ci peuvent et doivent être mis en liberté sans que des consultations au succès incertain n’aient à être engagées avec la Belgique, la France, la République démocratique du Congo et le Royaume-Uni.

Ces États Parties n’ont-ils alors plus d’autre option que celle de la coopération ? Malheureusement, si. Selon la décision du Juge Tarfusser, M. Kabongo aurait dû, comme les trois autres suspects visés, être libéré sur le territoire de l’État pour lequel il justifie d’un titre de séjour valable, soit, en l’occurrence, le Royaume-Uni. C’était sans compter sur la réaction immédiate des autorités anglaises qui, le 22 octobre (lendemain de la décision de libération), révoquèrent le visa de l’intéressé avec effet immédiat, paralysant ainsi la mise en œuvre de la libération de ce dernier. Pour M. Kabongo et son conseil, le chemin devant conduire à la simple exécution d’une décision de justice s’annonce donc encore long et difficile (voir la requête introduite par la défense le 28 octobre).

Il n’en demeure pas moins que trois suspects ayant fait l’objet de mandats d’arrêt devant la Cour pénale internationale sont aujourd’hui en parfait accord avec la présomption d’innocence qui leur revient, en liberté en attendant d’être jugés. Il a souvent été reproché à la Cour (et plus encore aux juridictions ad hoc) de faire, en pratique, de la détention provisoire la règle plutôt que l’exception, en rupture avec la lettre de son Statut et des droits de la personne pertinents. Bien que ces premières libérations avant jugement interviennent dans un cadre un peu particulier (celui de l’article 70 du Statut et non de la compétence de la Cour en matière de crimes internationaux), elles contribueront sans doute à apaiser cette critique légitime. Certes, le Procureur n’a pas manqué d’interjeter appel de la décision du 21 octobre. Reste donc à voir si la Chambre d’appel (qui, cette fois, a d’ores et déjà refusé d’assortir le recours de l’accusation d’un effet suspensif) confirmera ce signe d’évolution en faveur d’un droit à la liberté individuelle plus affirmé.

 

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

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