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Démystifier les missions de coopération internationale en matière de justice : résumé de la conférence de Me Dominic Voisard

Aurore Le Roy

Aurore Le Roy est actuellement étudiante au baccalauréat en droit (LL.B.) et diplômée du Baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales (B.A.) de l’Université Laval. Elle a réalisé deux sessions d'étude à l’Institut d’Études Politiques de Lyon (France) et a participé à plusieurs simulations politiques étudiantes dans le monde. Hautement sensibilisée au cours de ses voyages à la nécessité de défendre les droits humains et passionnée par les questions de justice pénale internationale, elle a participé aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux du Bureau du Président du Tribunal Spécial pour le Liban à l’hiver 2014 et continue à présent de s’impliquer pour des mandats ponctuels. Par ailleurs, elle donne des ateliers de sensibilisation aux droits dans les écoles secondaires et auprès d’intervenants sociaux avec la Ligue des droits et libertés - section Québec ; et après avoir effectué une recherche dirigée sur l’accès à la justice pénale des autochtones au Québec pour Avocats sans Frontières Canada, elle est actuellement Vice-Présidente aux recherches pour Avocats sans Frontières - Université Laval.

 

 

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Nom de famille: 
Le Roy
Prénom: 
Aurore
16 December 2014

Le jeudi 12 novembre 2014, dans le cadre du mois de la carrière de la Faculté de droit de l’Université Laval, le groupe universitaire d’Avocats sans frontières Canada (ci-après « ASFC ») a organisé une conférence offerte par Me Dominic Voisard à laquelle plus de 35 personnes ont assisté. Me Voisard a fait part de l'expérience qu'il a acquise au cours des dernières années avec ASFC en matière de coopération internationale, dans le cadre des affaires judiciaires contre les ex-dictateurs José Efraín Ríos Montt, militaire et homme politique guatémaltèque, et Jean Claude Duvalier,  président « à vie » d'Haïti déchu. La conférence a permis aux étudiants d’en apprendre davantage sur les activités de l’organisation, le rôle du coopérant volontaire ainsi que les différentes manières de s’impliquer. Le présent billet de blogue se propose de revenir sur les moments importants de celle-ci.

Présentation d'Avocats sans frontières Canada et de ses actions

Me Voisard a commencé son allocution en présentant ASFC comme une « organisation non gouvernementale de coopération internationale dont la mission est de soutenir la défense des droits humains des groupes ou des personnes les plus vulnérables par le renforcement de l’accès à la justice et à la représentation légale ».

ASFC mène plusieurs types d’actions, tels que l’appui financier à ses partenaires, l’observation de procès, le conseil aux autorités pour la réforme ou la rédaction des lois, le plaidoyer devant le système onusien ou devant le système interaméricain des droits de l’Homme, le dépôt d'amicus curiae – soit des mémoires contenant des opinions juridiques –, la formation juridique, la publication de rapports sur la situation des droits de l'Homme, ainsi que l’envoi de coopérants volontaires en appui aux partenaires locaux d'ASFC. Les coopérants, envoyés pour des missions de courte durée, sont souvent des avocats expérimentés qui vont sur le terrain pendant une à deux semaines. Les missions de longue durée sont, quant à elles, réalisées par de jeunes avocats qui vont appuyer les partenaires locaux pendant six mois, voire un an.

Les missions permanentes d'Avocats sans frontières

Depuis 2002, ASFC a effectué plus de 200 missions dans 15 pays et compte aujourd’hui trois missions permanentes : en Colombie, au Guatemala, et en Haïti.

En Colombie, le projet vise à promouvoir le respect des obligations internationales de l’État colombien, selon lesquelles il doit poursuivre les criminels de guerre en vertu du Statut de Rome. ASFC appuie, à cette fin, des avocats ainsi que des organisations de la société civile, qui représentent notamment les ayants droit de victimes d’exécutions extrajudiciaires ou de déplacements forcés liés au conflit armé.

Au Guatemala, son projet initial visait à appuyer le développement d’un cabinet d’avocats guatémaltèques spécialisés en litige stratégique de droits humains. Ce cabinet juridique, devenu incontournable dans le pays, est dirigé par Me Edgar Pérez, et permet à des victimes et des organisations de la société civile d’être efficacement représentées devant les tribunaux nationaux et internationaux.

En Haïti, ses projets visent notamment à offrir des services de justice de première ligne pour les victimes et les groupes vulnérables, c’est-à-dire à mettre en place une justice de proximité tout en favorisant la reconstruction du système de justice depuis le séisme de 2010.

Depuis 2013, ASFC appuie le travail d’une organisation locale, dénommée Défenseurs des opprimés, qui a repris les services offerts directement par ASFC après le séisme. Parallèlement, cette dernière soutient son partenaire le Collectif contre l’impunité, qui regroupe des organisations de droits humains haïtiennes et la plupart des victimes ayant porté plainte contre Jean-Claude Duvalier et ses collaborateurs (voir ici le communiqué de presse d’ASFC au lendemain de la mort de Duvalier à cet effet).

Les expériences de coopération internationale de Me Voisard

Les procédures contre José Efraín Ríos Montt au Guatemala

Me Voisard nous a ensuite présenté ses propres expériences en matière de coopération internationale. Sa première expérience au sein d’ASFC, datant de 2012, a pris place dans le cadre de mandats urgents de la Clinique de droit international pénal et humanitaire (ci-après « CDIPH »). Ces derniers portaient sur des questions de juridiction militaire et d’applicabilité de l’amnistie des crimes dans le cadre de l’éventuel procès de Ríos Montt. Il a ensuite effectué quelques mois de bénévolat au siège d’ASFC, au cours desquels il a rédigé un mémoire d’amicus curiae, déposé devant les autorités judiciaires colombiennes. Il est alors parti au Guatemala, assister les parties civiles dans le procès de Ríos Montt. Financé par le programme de stages internationaux du Barreau du Québec, ce stage d'une durée initiale de six mois, a été prolongé de quatre mois afin de continuer à soutenir les parties civiles après le démarrage inattendu du procès le 19 mars 2013. En effet, ce procès historique a été avancé de 4 mois en raison du climat national tendu et des menaces reçues par le Procureur et par la juge présidant le dossier.

Le procès en tant que tel a duré deux mois et a fait salle comble car, pour la première fois, un tribunal national avait à juger d'actes qualifiés de génocide. Me Voisard a alors témoigné de l’impressionnant dispositif de sécurité mis en place, ainsi que de l’étonnante présence des médias autour des intervenants de la Cour au sein même de la salle d’audience.

Ríos Montt était accusé de génocide contre le groupe ethnique Maya-Ixil. Il aurait ordonné, entre 1982 et 1983, 15 massacres touchant 5 % du groupe et forcé le déplacement interne de près de 90 % du groupe dans des conditions inhumaines, en pratiquant notamment une politique de terre brûlée et en refusant au Comité international de la Croix-Rouge l'accès au territoire.

L’implication de Me Voisard consistait donc à participer à des réunions stratégiques portant sur l’évaluation des éléments de preuve, la théorie de la cause ou encore la préparation des stratégies procédurales; à rédiger des argumentations juridiques visant à contrer les requêtes frivoles déposées par les coaccusés; à participer à la préparation des 100 témoins du procureur avant le procès; à observer des exhumations de fosses communes; à observer le procès, et à rédiger des billets sur le Blogue d’ASFC.

La preuve du procureur reposait, d'une part, sur 98 témoins, essentiellement composés de survivants ou de proches des victimes, dont quatre étaient des témoins protégés, et sur 55 experts – entre autres militaires, anthropologues judiciaires, psychologues, statisticiens, spécialistes sur le racisme, historiens. D'autre part, sa preuve documentaire reposait sur des plans militaires, des documents déclassifiés de la Central Intelligence Agency (CIA), sur le rapport  « Guatemala : nunca más » du projet interdiocèse Recuperación de la memoria histórica, le rapport « Memorio del silencio » de la Commission de Clarification historique, et des enregistrements audio de Ríos Montt.

À l’issue du procès, le 10 mai 2013, ce dernier a été condamné à 80 ans de prison pour génocide et crimes de guerre, tandis que son chef des services secrets, José Mauricio Rodriguez Sánchez, a été acquitté des mêmes charges, du fait qu’il n’était pas considéré comme faisant partie de la chaîne de commandement. Cette décision a toutefois été cassée le 20 mai 2013 par la Cour constitutionnelle pour vice de procédure, et un procès de novo doit avoir lieu en 2015. Or, selon Me Voisard, aujourd’hui, beaucoup de victimes ne veulent plus témoigner et estiment que les conditions actuelles dans lesquelles devrait avoir lieu le deuxième procès soulèvent des doutes quant à leurs chances d’obtenir justice au Guatemala. En effet, la justice guatémaltèque doit faire face à plusieurs problèmes structuraux, dont la faiblesse de la magistrature, ainsi qu'à « d'incessantes pressions par de puissantes forces économiques et militaires au sein du pays ».

Quelques mois plus tard, dans le cadre du Programme de stages internationaux pour les jeunes, financé par l’Agence canadienne de développement international, il est retourné au Guatemala pour travailler, de concert avec les avocats des parties civiles, au dépôt d’une plainte à la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, concernant d’une part, les 15 massacres perpétrés entre 1982 et 1983 contre le groupe Maya-Ixil et, d’autre part, les nombreuses irrégularités survenues au cours de l’enquête et du procès. Cela lui a permis de se familiariser avec les rouages du système interaméricain et notamment de travailler en collaboration avec l’équipe du Center for Justice and International Law, spécialisée en litige devant le système interaméricain.

Les procédures contre Jean-Claude Duvalier en Haïti

Enfin, Me Voisard a été coordonnateur de projets pour ASFC en Haïti, où son mandat était double. En tant que gestionnaire, il devait organiser des séminaires de formation pour les avocats et les magistrats, et entretenir les relations avec les bailleurs de fonds tels que les ambassades, les partenaires locaux et les organisations de la société civile. En tant que conseiller juridique, il devait appuyer le Collectif contre l’impunité dans les procédures engagées contre Jean-Claude Duvalier, exilé en France pendant 25 ans. Son premier mandat consistait en la participation à la rédaction du mémoire adressé à la Cour de cassation par l’apport d'arguments juridiques visant à contrer ceux de l’accusé, à la suite du pourvoi contre la décision du 20 février 2014 de la Cour d’appel. Cette dernière, en plus de reconnaître que les crimes de sang sont des crimes contre l’humanité et sont donc imprescriptibles, a ordonné un supplément d’enquête. Me Voisard a donc soutenu le Collectif contre l’impunité, notamment en préparant des dossiers de preuves déposés au cabinet du juge d’instruction, en ordonnançant et en informatisant le dossier, et en organisant des enquêtes en coordination avec le siège d’ASFC. Enfin, il était chargé de partager les apprentissages de l’affaire Ríos Montt avec les partenaires haïtiens par le biais de conférences.

S'impliquer comme coopérant international avec Avocats sans frontières Canada

Me Voisard a conclu son allocution en présentant brièvement les diverses voies d’implication possibles au sein d’ASFC, à savoir le bénévolat, les groupes universitaires, la CDIPH, les stages universitaires, les stages du Barreau du Québec et la coopération volontaire.

En réponse à une question du public, Me Voisard a rappelé que les missions de coopération internationale répondent à des impératifs de solidarité internationale et non de paternalisme. De fait, les partenaires considèrent, à juste titre, qu’il s’agit d’une relation bilatérale, puisque de jeunes avocats québécois tirent de nombreux apprentissages de leur passage dans les cabinets d’avocats locaux ou dans les organisations de la société civile qu’ils appuient.

En guise de conclusion, il a dressé le profil d’un coopérant volontaire type, à savoir une personne ayant de bonnes connaissances en droit international pénal et/ou humanitaire et/ou des droits de l’Homme, motivée, ayant une bonne connaissance de l’organisation, partageant ses valeurs, et étant fluide dans la langue du pays de la mission. La majorité des missions se déroulant sur le continent sud américain, il est primordial de maîtriser l'espagnol. Enfin, le coopérant doit également être autonome puisqu’il dispose d’une large marge de manœuvre sur le terrain.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseils juridiques.