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La situation palestinienne devant la Cour pénale internationale : entre jeux politiques et persistance des violations du droit international. (Partie 2 de 2)

Ismehen Melouka

Ismehen Melouka is a Ph.D. candidate in criminology at Université de Montréal under the supervision of Professor Jo-Anne Wemmers. Having obtained a bachelor's degree in criminology, Ismehen pursued graduate studies in victimology. She focused on the perceptions and emotions of non-indigenous people surrounding the process of reconciliation with Indigenous peoples in Canada. Her doctoral studies now allow her to explore the recognition of victimization in the same non-native population. She is also a teaching assistant for the International Justice and Victims’ Rights Summer School in collaboration with the Canadian Partnership for International Justice. Her interests in criminology and human rights also allowed her to get involved with the NGO Amnesty International – UdeM, which she was president in the past years. Ismehen is also assistant to the Special Adviser on Equity, Diversity and Inclusion (EDI) for the Rector of Université de Montréal.

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Nom de famille: 
Melouka
Prénom: 
Ismehen
23 July 2020

Lors de la 18e Assemblée des États Parties au Statut de Rome qui s’est déroulée du 2 au 7 décembre dernier à la Haye, un événement parallèle intitulé « Prospects for opening a formal ICC investigation in the Palestine situation in 2020 » a pris place. Le panéliste John Dugard, ancien Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, y a expliqué pourquoi, malgré l’existence de preuves de crimes commis dans cette région, il avait peu d’espoir que la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) Fatou Bensouda ouvre une enquête avant la terminaison de son mandat le 15 juin 2021. D’après lui, le Bureau de la Procureure (BdP) est guidé par des considérations extra-judiciaires et politiques dans sa prise de décisions : « the Prosecutor’s office is guided by extra legal, political considerations in its decision-making », a-t-il affirmé lors de l’événement. À peine quelques jours après son intervention, une nouvelle décision du BdP a infirmé, contre toute attente, l’hypothèse du juriste.

En effet, le 20 décembre dernier, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé la clôture de l’examen préliminaire en cours depuis le 16 janvier 2015, ayant conclu à l’existence d’une base raisonnable justifiant l'ouverture d'une enquête dans la situation en Palestine. Dans cette déclaration, la Procureure s’est déclarée « convaincue […] que des crimes de guerre ont été commis ou sont en train de l'être en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza ». La situation ayant été déférée par la Palestine, l’autorisation de la Chambre préliminaire n’est pas nécessaire à l’ouverture d’une enquête par le BdP.

La clôture de cet examen préliminaire relatif à la situation en Palestine pose plusieurs enjeux importants. Alors que le premier billet a permis de présenter le cadre juridique relatif aux examens préliminaires devant la CPI, ce billet de blogue examinera la controverse entourant la compétence territoriale de la Cour et la requête formulée par le BdP en vertu de l’article 19(3) du Statut de Rome.

La requête du BdP en vertu de l’article 19 (3) du Statut de Rome

Tel que mentionné dans le premier billet de cette série, la Palestine a accepté la compétence de la Cour en vertu de l’article 12(3) du Statut de Rome le 1er janvier 2015. Pour autant, son statut d’État ne fait pas l’unanimité parmi la communauté internationale, et est particulièrement contesté par l’État d’Israël. Alors que l’étendue du territoire même de la Palestine est au cœur de controverses diplomatiques et politiques des plus houleuses depuis de nombreuses années, la fin de l’examen préliminaire relativement à la situation en Palestine questionne la compétence territoriale de la Cour : quelles sont les frontières à l’intérieur desquelles la Procureure peut enquêter par rapport à la Palestine ? Cette situation est sensible politiquement, car Israël tout comme les États-Unis, considèrent que les colonies israéliennes présentes en Cisjordanie font partie du territoire israélien et non palestinien. Dans ce cas-ci, puisque l’État d’Israël n’a pas ratifié le Statut de Rome, la CPI ne serait en principe pas compétente par rapport aux crimes allégués.

C’est cette réalité qui a poussé la Procureure à formuler une requête en vertu de l’article 19(3) du Statut de Rome. Cet article prévoit que « le Procureur peut demander à la Cour de se prononcer sur une question de compétence ou de recevabilité ». La Procureure a ainsi demandé à la Chambre préliminaire de se prononcer sur l’étendue du territoire par rapport auquel la Cour peut exercer sa compétence en lien avec la situation en Palestine.

Depuis la création de la CPI, ce n’est que la deuxième fois que le BdP dépose une requête en vertu de l’article 19(3), la première fois étant en avril 2018 par rapport à la situation des Rohingya au Bangladesh et au Myanmar. Par cette requête, le BdP demandait à la Chambre préliminaire de se prononcer sur la compétence territoriale de la CPI en vertu de l’article 12(2) ainsi que la portée du crime de déportation selon l’article 7(1)(d) du Statut de Rome. En effet, alors que le Bangladesh est un État partie au Statut de Rome, le Myanmar ne l’est pas. Dans sa décision, rendue cinq mois plus tard, la Chambre a estimé que la Cour était compétente par rapport au crime de déportation, car une partie substantielle du crime avait lieu sur le territoire d’un État partie, soit le Bangladesh. La réponse favorable de la Chambre préliminaire au mois de septembre 2019 avait été suivie de l’ouverture immédiate d’un examen préliminaire par rapport à cette situation.

Les impacts de la requête du BdP : tensions et jeux politiques

La requête en vertu de de l’article 19(3) du Statut de Rome permettra donc de clarifier la compétence territoriale de la Cour à l’égard de la situation en Palestine. En ce sens, la Procureure appert bien avisée d’avoir formulé une telle requête : en effet, son enquête en sera vraisemblablement facilitée, car l’étendue territoriale pertinente sera clarifiée avec certitude. Cela permettra également une meilleure utilisation des ressources de la Cour.

Cela dit, la tâche des juges de la Chambre préliminaire se trouvera considérablement compliquée par les facteurs politiquement et diplomatiquement sensibles inhérents à la détermination de la compétence territoriale de la cour dans le contexte palestinien. À ce titre, l’on peut citer le fait que, depuis la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël en décembre 2017, Washington, allié israélien de toujours, ne considère plus les colonies en Cisjordanie comme étant illégales. Bien que ces déclarations de Washington soient sans portée contraignante, le poids politique des États-Unis sur la scène mondiale les rend difficile à ignorer. En outre, dans les dernières années, les États-Unis ont durci le ton à l’égard de la CPI, ayant notamment révoqué les visas de membres du personnel de la Cour en 2019, incluant la Procureure Fatou Bensouda. Du côté israélien, l’annonce même de l’ouverture de l’enquête de la situation palestinienne par la procureur a fait réagir le premier ministre Benjamin Netanyahu qui accuse la Cour d’agir « à l’encontre du droit des Juifs à s’implanter sur la terre natale qui est la leur », alors même qu’il poursuit une politique visant l’expansion des colonies israéliennes en territoire palestinien.

Il est légitime alors de se demander quelles seront les retombées juridiques et politiques de la décision de la Chambre préliminaire par rapport à la compétence de la Cour, advenant le cas où la Chambre ne valide pas les territoires visés par le BdP selon l’article 12(2)(a) du Statut. Une chose est certaine, peu importe la décision prise par la Chambre préliminaire en réponse à la requête de la Procureure, il sera crucial pour la CPI de réaffirmer son indépendance et sa capacité de mettre fin à l’impunité, dans un contexte où l’exercice même de ses fonctions se voit ainsi entravée par des États n’ayant pas ratifié le Statut de Rome.


La publication de ce billet et la participation de l’auteur.e à la 18e Assemblée des États Parties à la Cour pénale internationale sont financées par le Partenariat canadien pour la justice internationale et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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