Olivier Lacombe
Olivier Lacombe est candidat à la maîtrise en droit avec mémoire à la Faculté de droit de l’Université Laval. Il s’intéresse en particulier au droit international pénal, au droit international des droits de la personne et aux droits des peuples autochtones. Sous la direction de la professeure Fannie Lafontaine, ses recherches portent sur l’obligation de prévenir le crime de génocide en droit international. Olivier est titulaire d’un baccalauréat en droit (LL.B.) de cette même université en plus d’avoir étudié à l’Institute for Human Rights d’Åbo Akademi University (Finlande) dans le cadre d’un programme d’échange. Au cours de ses études, il a notamment participé aux travaux de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval.
La tenue d’un examen externe et indépendant des performances de la Cour pénale internationale (CPI) a sans contredit été l’un des enjeux clés de la 18e session de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome (AÉP). Que ce soit lors des plénières ou en marge de celles-ci, l’Examen annoncé était de toutes les discussions. Il faut dire que les plaidoyers pour la tenue d’un exercice de cette nature s’étaient multipliés au cours des années précédentes et se faisaient de plus en plus pressants. Cette perspective, qu’elle suscite l’enthousiasme ou le scepticisme, ne laissait personne indifférent parmi les membres de délégations étatiques, d’organisations non gouvernementales (ONG) et de la communauté juridique internationale réunis pour cette AÉP à La Haye du 2 au 7 décembre 2019.
C’est donc sans grande surprise que la 18e session de l’AÉP s’est conclue par l’adoption d’une résolution confiant cette évaluation des performances de la Cour à un groupe de neuf expert.e.s indépendant.e.s. L’Examen est donc devenu réalité lorsque, conformément au calendrier arrêté par les États Parties, le groupe d’expert.e.s entrepris ses travaux au cours du mois de janvier 2020. Il est par ailleurs pertinent de souligner que l’Examen suit son cours, et ce, malgré la pandémie actuelle.
De la gouvernance à l’Examen de la Cour : une série en trois temps
Dans un billet de blogue publié alors que j’étais moi-même plongé dans cette 18e session à titre de membre de la délégation étudiante réunie par le Partenariat canadien pour la justice internationale, j’ai exprimé mes craintes face aux manifestations répétées de la notion mouvante et tendancieuse qu’est la gouvernance lors des débats de l’Assemblée portant sur l’éventuel Examen.
Dans la série qu’introduit ce nouveau billet, j’entends poursuivre cette discussion en m’intéressant de plus près à l’Examen maintenant que ses objectifs et ses modalités sont arrêtés. Après avoir sommairement exposé les tenants et aboutissants de cette démarche dans ce billet introductif, cette série proposera un regard en trois temps, à savoir le passé, le présent et l’avenir de l’Examen.
Dans un premier temps, le pendant rétrospectif de cette série abordera tant le contexte politique de l’Examen que les enseignements qui peuvent être tirés d’exercices similaires menés antérieurement au sein de l’écosystème de la Cour. Dans un deuxième temps, cette suite de contributions s’intéressera au présent de l’Examen, c’est-à-dire aux interrogations que soulèvent le mandat du groupe d’expert.e.s, sa composition ainsi que l’organisation de ses travaux. Ce sera l’occasion de souligner certains angles morts de la démarche tout comme les risques qu’elle pose. Dans un troisième temps, une ultime contribution s’appuiera sur l’ensemble de ces réflexions pour jeter un regard prospectif sur les suites attendues ou encore qu’il conviendrait de donner à l’Examen.
L’Examen, qu’est-ce que ça mange en hiver ?
Il convient de signaler de prime abord que l’Examen est un exercice sans véritable précédent pour la CPI, bien qu’il ne s’agisse pas du premier programme d’optimisation ou de révision organisationnelle qu’elle ait connu. En réalité, la Cour fait constamment l’objet d’un suivi par l’AÉP et ses organes subsidiaires, qui agissent afin d’assurer que « la Cour soit administrée de la manière la plus efficace et la plus économique possible » (Statut de Rome, art 112-4). C’est toutefois la première fois qu’un groupe d’expert.e.s agissant en toute indépendance et à l’extérieur des structures de l’AÉP et de son bureau se penchera sur les performances et l’organisation de la Cour.
Il faut également préciser que l’Examen s’inscrit dans le processus d’examen plus étendu que mène l’AÉP en sa qualité d’organe chargé du « contrôle de gestion en ce qui concerne l’administration de la Cour » (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, au dernier paragraphe du préambule). L’Examen n’est donc pas une fin en soi, mais bien l’une des premières étapes d’un processus d’évaluation et de renforcement de la Cour s’inscrivant dans la durée. Il importe par conséquent de distinguer l’un de l’autre et de préciser qu’aux fins de cette série, le terme « Examen » s’entend de l’Examen par des expert.e.s indépendant.e.s mis en place lors de la 18e AÉP, tandis que « processus d’examen » désigne le programme étendu que décrit la matrice proposée par le Bureau de l’AÉP en 2019. Ce « document vivant » regroupe et organise un ensemble d’enjeux auxquels la Cour et tout le système du Statut de Rome sont actuellement confrontés (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, au para 2). Ainsi, la matrice offre un cadre de discussion, structure les travaux sur ces questions et permet d’en mesurer l’avancement. Il convient par conséquent de considérer la matrice comme le point de départ des développements qui intéressent cette série.
Replacé dans son contexte, l’Examen apparaît comme un exercice d’une portée relativement limitée. Ce constat s’impose lorsque l’on s’intéresse à l’échéancier établi par l’AÉP. Le groupe d’expert.e.s mandaté par l’AÉP dispose d’au plus neuf mois pour compléter ses travaux, son rapport final devant être déposé au plus tard le 30 septembre 2020 (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, au para 9). Le mandat leur étant confié n’en demeure pas moins ambitieux. Il est attendu que les expert.e.s procèdent à « un examen complet à caractère technique des processus, procédures, pratiques ainsi que de l’organisation et du cadre opérationnel de la Cour » et présentent à l’AÉP « des recommandations concrètes, réalistes et susceptibles d’être mises en pratique afin d’améliorer les performances, l’efficience et l’efficacité de la Cour et du système du Statut de Rome dans son ensemble » (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, Annexe I au para 1). Ce mandat explicitement technique est, au surplus, chapeauté par un objectif aussi vertigineux qu’encyclopédique :
L’examen par des experts indépendants aura comme objectif général de recenser les moyens de renforcer la Cour pénale internationale et le système du Statut de Rome afin de promouvoir la reconnaissance universelle de leur rôle essentiel dans la lutte mondiale contre l’impunité́ et de valoriser leur fonctionnement dans son ensemble tout en affirmant les principes déterminants inscrits dans le Statut et en particulier, ceux de complémentarité́, d’intégrité́ et d’indépendance judiciaire et en matière de poursuites. (Résolution, Annexe I au para 1.)
Que retenir de ce mandat-fleuve ? D’abord que l’Examen est avant toute chose un exercice de nature technique qui débouchera sur la formulation de recommandations à l’attention de l’AÉP afin d’améliorer les performances de la Cour. Ce qui frappe ensuite l’esprit, c’est le lien qu’établit ce mandat entre d’une part, les performances, l’efficience et l’efficacité du système du Statut de Rome et d’autre part, la reconnaissance de son rôle essentiel et la valorisation de son fonctionnement. Cette association, si elle n’est pas sans fondement, soulève néanmoins plusieurs interrogations qui seront abordées au fil de cette série.
The Good, the Bad and the Ugly : le judiciaire, la Procureure et la gouvernance
L’Examen n’est pas un, mais bien trois examens concurrents. En réalité, les neuf expert.e.s chargé.e.s de l’Examen se trouvent réparti.e.s en trois sous-groupes, des clusters thématiques, suivant leur champ de spécialisation : la gouvernance; le judiciaire et la procédure judiciaire; ainsi que les examens préliminaires, enquêtes et poursuites (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, Annexe I, Appendice II). Non seulement la résolution adoptée par l’AÉP distingue ces trois sous-groupes, mais elle leur attribue également un ensemble spécifique de questions que la matrice réservait plus généralement au groupe d’expert.e.s dans le cadre du processus qu’elle décrit. Ceci confirme que la matrice demeure le référent des expert.e.s et constitue « le point de départ » de leur démarche (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, Annexe I, Appendice II au para 1).
Ces thématiques et les questions qu’elles regroupent forment conséquemment ce qui s’apparente à un sous-mandat qu’attribue l’AÉP à chacun des sous-groupes d’expert.e.s. Ces mandats thématiques ne sont cependant pas exhaustifs, ni figés; ceux-ci sont appelés à évoluer au fil des travaux (Résolution ICC-ASP/18/Res.7, Annexe I, Appendice II au para 1). Si cette souplesse s’avère nécessaire pour assurer un traitement complet des thématiques identifiées, les questions explicitement visées par l’AÉP demeurent prioritaires (Idem). Il en va de même pour toute question « ayant une incidence majeure sur les performances, l’efficience et l’efficacité de la Cour » (Idem). Suivant cette hiérarchie, il est à parier que les mandats des sous-groupes ne connaîtront pas d’évolution majeure, sinon des ajustements ponctuels afin de corriger quelque angle mort ou interdépendance insoupçonnée entre des questions.
Il semble donc que ce ne soit pas un collège de neuf membres qui s’attaque à chacun des enjeux relevés, mais bien trois groupes étudiant plus ou moins séparément les questions leur ayant été respectivement assignées. L’analyse de ces dernières, de leur formulation et de leur répartition permettra de saisir non seulement la portée de l’Examen, mais également sa nature véritable. Cette entreprise déborde cependant le cadre des présentes et c’est plutôt au cours de la série qu’elles introduisent que les sous-mandats seront étudiés en détail. Pour le moment, il suffit de s’en remettre à la résolution qui les cristallise.
Qu’attendre d’une programmation estivale sur l’Examen de la Cour?
Avant de donner le coup d’envoi à cette série de contributions, il importe de préciser ce qu’elle sera et ce qu’elle ne sera pas. D’abord, les prochaines contributions n’offriront pas une remise en question radicale de l’Examen. Cette abdication s’explique par le simple fait que l’Examen est une réalité avec laquelle il nous faut composer. Ensuite, je n’ai pas la prétention d’être spécialiste en gestion et en organisation des juridictions internationales, pas plus que j’ambitionne de le devenir. C’est notamment pour cette raison que le bien-fondé de l’Examen, tout comme les vertus thérapeutiques qu’on lui prête, seront tenus pour acquis. C’est également pourquoi les prochaines contributions ne plongeront pas dans le fin détail des problématiques organisationnelles auxquelles fait face la Cour et les solutions qu’il convient d’y apporter.
Avant tout chose, je m’intéresse ici aux tensions pouvant surgir entre le mandat technique que l’AÉP a confié aux expert.e.s et les idéaux ou principes qui forment le cœur de la justice internationale pénale. Pour tout dire, la pensée qui me guide tient en peu de mots : l’Examen n’est pas le Léviathan de la CPI, pas plus qu’il n’en est le sauveur. Comme toute démarche, l’Examen comporte ses risques et il faut pour cette raison s’interroger sur son rôle, sa portée et son adhésion aux principes que défend le Statut de Rome. C’est ce questionnement qui permettra d’en dévoiler les écueils, et ce, pour mieux s’en garder.
Cette série compile donc mes interrogations, mes attentes et quelques inquiétudes bien personnelles face à ce nouveau chapitre de l’évolution de la Cour. Loin d’être exhaustive ou aboutie, cette réflexion se veut l’amorce d’une discussion que j’espère féconde au sujet de l’Examen et ses suites.
Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.
La publication de ce billet et la participation de l’auteur.e à la 18e Assemblée des États Parties à la Cour pénale internationale sont financées par le Partenariat canadien pour la justice internationale et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Image en vignette : "Windows" par *rboed* licence sous CC BY 2.0.