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La CPI et la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste : Réalisations et défis

Geneviève Geneau

Geneviève Geneau est candidate au doctorat en droit à l’Université d’Ottawa, sous la direction de la professeure Muriel Paradelle. Ses recherches portent principalement sur la criminalisation des violences sexuelles commises à l'égard des femmes, dans le cadre d'un crime de génocide, en droit international pénal. Elle est également professionnelle de recherche auprès de la Chaire de recherche en droit sur la diversité et la sécurité alimentaires de l’Université Laval et chargée de cours à l'Université d'Ottawa. 

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Nom de famille: 
Geneau
Prénom: 
Genevieve
16 December 2017

Les crimes sexuels et à caractère sexiste ont été ignorés de tout temps en droit international[1]. Les statuts du Tribunal militaire international de Nuremberg et du Tribunal militaire international de Tokyo sont demeurés silencieux à l’égard de ces crimes. Bien que représentant une avancée, la codification des crimes sexuels et à caractère sexiste est demeurée relativement limitée en vertu du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (« Statut du TPIY ») et du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda (« Statut du TPIR »). Toutefois, la jurisprudence développée par ces deux derniers tribunaux ad hoc a fait évolué considérablement le traitement, en droit international pénal, de ce type de violence[2].

 

Depuis, la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste occupe une place grandissante dans l’agenda politique international. Entre autres, l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (« Statut de Rome ») reflète cette préoccupation. En effet, celui-ci intègre aux définitions des crimes relevant de sa compétence plusieurs formes de violence sexuelle et à caractère sexiste, dont le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée, « toute autre forme de violence sexuelle constituant une violation grave de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève » et « toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » (art. 7(1)g), 8(2)b)(xxii) et 8(2)e)(vi) du Statut de Rome). De plus, il est mentionné, en vertu des Éléments des crimes de la Cour pénale internationale (« Éléments des crimes »), que l’acte sous-jacent « atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale » du crime de génocide peut inclure, notamment, des actes de viol et de violence sexuelle. Les crimes de violence sexuelle et à caractère sexiste sont aujourd’hui reconnus comme parmi les plus graves. De nombreux rapports et recherches montrent l’ampleur et le caractère systématique des crimes sexuels et à caractère sexiste en temps de conflit. Les femmes et les filles en sont les principales victimes  (Résolution 1820 du Conseil de sécurité des Nations Unies), mais les hommes et les garçons en subissent aussi en temps de conflit.

 

Le Statut de Rome prévoit aussi diverses dispositions impliquant les notions de sexe et de genre. Entre autres, le terme « sexe » est défini à l’article 7(3) du Statut de Rome; des experts en matière de violences sexuelles et de violences à caractère sexiste sont nommés au sein du Bureau du Procureur, en vertu de l’article 42(9) du Statut de Rome; diverses mesures sont mises en place afin de considérer et de prendre en compte la nature particulière des crimes de violence sexuelle et à caractère sexiste subis par les victimes (art. 43(6), 54(1)b) et 68(1) du Statut de Rome).

 

Pour sa part, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (« CPI ») met en œuvre son engagement à l’égard de la criminalisation des crimes sexuels et à caractère sexiste à la lumière de diverses initiatives. Il accorde une importance particulière à cette problématique en vertu de l’objectif stratégique 2 de son Plan stratégique 2016-2018, lequel s’articule comme suit : « Continuer d’accorder une place importante aux questions à caractère sexiste dans tous les aspects de ses activités et de mettre en œuvre des politiques en matière de crimes sexuels et à caractère sexiste et de crimes contre les enfants ». Le Plan stratégique 2012-2015 du Bureau du Procureur de la CPI intégrait également cette préoccupation.

 

Le Bureau du Procureur de la CPI a également adopté un Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste (Politique sur les CSS), en juin 2014. Ce document s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste. La Politique sur les CSS expose une réelle préoccupation à l’égard de la perpétration de ces crimes ainsi qu’un engagement à mettre un terme à leur résurgence. Le Bureau du Procureur y reconnaît le caractère grave et la nature spécifique des crimes de violence sexuelle et à caractère sexiste, tout en mettant en lumière la nécessaire mise en œuvre de la complémentarité de la CPI face aux juridictions pénales nationales à cet égard. Le Bureau du Procureur s’engage notamment à « accorde[r] une attention particulière à la commission de crimes sexuels et à motivation sexiste à chaque étape de son travail, à savoir lors des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites » (Politique sur les CSS). Le Bureau mentionne également dans sa Politique sur les CSS qu’il tiendra compte des attentes et des besoins des victimes et des témoins de violence sexuelle et à caractère sexiste. Celui-ci veillera à « prendre diverses mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins, en particulier au stade de l’enquête et des poursuites lorsqu’il s’agit de crimes sexuels et à motivation sexiste et de crimes commis contre des enfants » (Politique sur les CSS). Le Bureau du Procureur s’engage à intégrer des actes de violence sexuelle et à caractère sexiste, lorsque la preuve s’avère suffisante, aux actes d’accusation, et ce, en tant qu’actes constitutifs de tous les crimes relevant de la compétence de la CPI. Enfin, il considèrera les « spécificités propres au sexe s’agissant de tous les crimes relevant de sa compétence » et les « inégalités existant entre les hommes et les femmes, entre les filles et les garçons, ainsi que les rapports de force et autres dynamiques qui déterminent et façonnent les rôles de chacun en fonction du sexe dans un contexte donné » (Politique sur les CSS).

 

Il importe de souligner que le Bureau du Procureur de la CPI nomme des experts en matière de violences sexuelles et de violences à caractère sexiste (article 42(9) du Statut de Rome) et une conseillère spéciale pour les questions relatives au genre (Politique sur les CSS). Les membres du Bureau du Procureur doivent également suivre une formation au sujet des crimes de violence sexuelle ou à caractère sexiste, dans l’objectif d’acquérir « les connaissances et les meilleures pratiques en la matière » (Politique sur les CSS). Cette formation permet au personnel du Bureau d’intégrer et d’appliquer une perspective de genre dans le cadre de leurs fonctions respectives, et ce, à divers stades.

 

La CPI, le Bureau du Procureur et les États Parties au Statut de Rome se sont donc engagés à respecter les droits des femmes et des filles qui ont subi des crimes sexuels et à caractère sexiste en temps de conflit. Ils doivent donc mettre en œuvre ces engagements, notamment en intégrant les questions de genre en tant que priorités au sein de leurs politiques et de leurs actions. Dans ce cadre, il importe de rappeler que la CPI est complémentaire aux juridictions pénales nationales, en vertu de l’article 1 du Statut de Rome. La CPI et les États Parties doivent, de part et d’autre, mettre en place des mécanismes juridiques qui permettent d’assurer le respect et la mise en œuvre des droits des femmes qui ont été victimes de crimes sexuels et à caractère sexiste. La lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste ne peut être effective sans la prise en compte et la réalisation de ces objectifs par les juridictions pénales nationales et internationales.

 

Toutefois, plusieurs organisations et représentants de la société civile ont souligné les nombreuses difficultés que rencontrent dans l’enquête et la poursuite des crimes sexuels et à caractère sexiste. Le Bureau du Procureur appuie ces propos : « Bien que des progrès aient été accomplis pour intégrer les crimes sexuels et à caractère sexiste dans le droit pénal international, la justice fait encore défaut à maintes victimes. La route qui mène vers l’efficacité des enquêtes et des poursuites s’agissant de ces crimes est parsemée d’embûches et d’obstacles » (Politique sur les CSS). À ce sujet, le Bureau du Procureur souligne les problèmes de sécurité dans les situations de conflit et le manque de coopération des États dans le cadre des enquêtes. Celles impliquant des crimes sexuels et à caractère sexiste présentent, de surcroît, des obstacles rattachés à la spécificité de ces crimes :

les violences sexuelles sont notamment peu dénoncées voire passées sous silence pour des raisons sociétales, culturelles ou religieuses, les victimes de tels crimes sont stigmatisées, les enquêtes nationales sont limitées, les preuves disponibles font cruellement défaut et les éléments de preuve scientifiques ou documentaires sont insuffisants, en raison, entre autres, du temps écoulé et du soutien inadapté ou limité des services concernés à l’échelle nationale (Politique sur les CSS).

 

Dans ce contexte, il devient impératif que les principes énoncés en vertu de la Politique sur les CSS soient mis en œuvre autant par la CPI que par les États Parties. Ces derniers doivent entreprendre de tels efforts et adopter de telles priorités :

Si l’on veut mettre fin au fléau de l’impunité, il est impératif que les États s’acquittent de leur responsabilité qui est d’enquêter efficacement sur ces crimes internationaux graves, y compris les crimes sexuels et à motivation sexiste, et d’en poursuivre les auteurs. Le Bureau soutiendra dans la mesure du possible les efforts véritablement déployés en ce sens par les autorités nationales (Politique sur les CSS).

 

Le Bureau du Procureur de la CPI appuie «  les diverses initiatives et actions entreprises par les États Parties », dans le cadre de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste. Il maintient des liens avec les États Parties afin de favoriser une coopération dans les enquêtes et les poursuites des auteurs de ces crimes. La ratification universelle du Statut de Rome s’inscrit également dans le cadre de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste. Le Bureau du Procureur s’engage notamment à :

promouvoir la ratification universelle du Statut de Rome, sa mise en œuvre dans la législation nationale, la coopération avec la Cour, l’adoption d’une législation nationale intégrant les comportements prohibés dans le Statut et des procédures protégeant les intérêts des victimes et facilitant la tenue d’enquêtes et de poursuites efficaces dans des affaires de cette nature, d’un soutien apporté à des enquêtes et à des poursuites menées sur le plan national s’agissant de ces crimes84, du renforcement de la coopération concernant l’exécution des mandats d’arrêt délivrés par la CPI et du renforcement de la volonté politique de mettre un terme à l’impunité et d’empêcher que de tels crimes continuent d’être commis (Politique sur les CSS).

 

À ce titre, la ratification universelle du Statut de Rome, la complémentarité de la CPI par rapport aux juridictions pénales nationales et la coopération entre la CPI et les États Parties demeurent des « piliers » de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste.

 

À titre d’exemple, le Bureau du Procureur a procédé la mise en accusation d’Omar Al Bashir ; deux mandats d’arrêt ont été délivrés, par la CPI, respectivement le 4 mars 2009 (Le Procureur c Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09) et le 12 juillet 2010 (Le Procureur c Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC/02/05/01/09). Al Bashir est accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crime de génocide. Entre autres, l’accusation fait état d’actes de viols, commis par les forces armées soudanaises, à l’encontre de milliers de femmes, en tant que civils, appartenant aux groupes Fur, Masalit et Zaghawa. Il est mentionné que ces actes de viol s’inscrivent dans l’intention de détruire en tout ou en partie ces groupes, comme tel. Toutefois, Omar Al Bashir demeure toujours en fuite. Dans ce contexte, plusieurs États Parties au Statut de Rome n’ont pas respecté leurs obligations relatives à la coopération. Les auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste demeurent impunis et les victimes, laissées pour compte. Il ne va sans dire qu’actuellement, quinze mandats d’arrêt émis par la CPI demeurent en suspens. La coopération entre les États et la CPI s’avère donc un enjeu au cœur de la volonté de mettre fin à l’impunité.

 

Enfin, le Bureau du Procureur souligne le rôle de prévention et de sensibilisation joué par les organisations non-gouvernementales et la société civile (Politique sur les CSS). De plus, ces dernières constituent des intervenants de première ligne auprès des communautés locales, ce qui favorise, d’une part, la coopération entre les divers acteurs ainsi que, d’autre part, la collecte de données et d’informations, dans le cadre des enquêtes et des poursuites des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste (Politiques sur CSS).

 

Il demeure toutefois préoccupant que plusieurs situations de conflit impliquant des crimes sexuels et à caractère sexiste ne fassent pas l’objet d’examens, d’enquêtes et de poursuites, de la part du Bureau du Procureur de la CPI et d’autres juridictions pénales nationales. Les principes énoncés dans la Politique sur les CSS s’avèrent une avancée, certes, mais sa mise en œuvre doit être réalisée, afin d’accomplir ultimement la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels et à caractère sexiste.

 

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Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.


[1] Fatou Bensouda, « Gender Justice and the ICC, Progress and Reflections », (2014) 16 : 4 International Feminist Journal of politics 538.

[2] Ibid.

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