Mathilde Doucet
Mathilde a commencé sa formation en France, à l’Université de Lorraine, où elle a obtenu une licence (LL. B) en droit privé sciences criminelles, avant de continuer ses études à l’Université de Strasbourg, pour effectuer une maitrise en droit international et européen. Passionnée par le droit international et les droits de la personne, et désireuse d’avoir une expérience universitaire à l’étranger, elle a ensuite intégré l’Université Laval pour effectuer une maitrise en droits fondamentaux. Elle a débuté en Septembre 2018 une thèse sur la protection des personnes LGBT+ en période de conflits armés. Désormais superviseure au sein de la Clinique de droit international pénal et humanitaire et membre du projet de recherche Osons le DIH! Promotion et renforcement du DIH : une contribution canadienne, elle contribue à la mise à jour de la base données du CICR sur le droit international humanitaire coutumier. Mathilde est également arrivée en finale internationale de l'édition 2020 du Concours de DIH Jean Pictet, où elle a défendu auprès d'Olivier Lacombe et Simon Paquet les couleurs de l'Université Laval. Elle est désormais coach pour l'Université Laval, et chargée de cours en droit international humanitaire, pénal et des droits de la personne après avoir assisté la professeure Julia Grignon dans ses cours les années précédentes.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est fondamental de préciser quelques définitions fournies par le préambule des principes de Jogjakarta. D’abord, celle de l’identité de genre qui se définit comme étant « l’expérience intime et personnelle du sexe faite par chacun, qu'elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris une conscience personnelle du corps […] et d’autres expressions du sexe, y compris l’habillement, le discours et les manières de se conduire». Il est également nécessaire de préciser la définition de l’orientation sexuelle. Toujours selon le préambule des principes de Jogjakarta, l’orientation sexuelle est « la capacité de chacun à ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers les individus du sexe opposé, de même sexe ou de plus d'un sexe, et d’entretenir des relations intimes et sexuelles avec ces individus. »
C’est pourquoi il convient de se demander qui sont les personnes réellement concernées par ces définitions.
L’ajout du « Q » dans l’acronyme LGBT, un premier pas vers l’appellation LGBT+ ?
La revendication de l’existence de plus de deux genres que masculin et féminin ainsi que l’existence de nombreuses orientations sexuelles sont apparues avec le courant féministe de la troisième vague[1] dans les années 1960, avec les théories queer[2]. Selon ces théories, la lutte contre le patriarcat doit passer par la fluidité du genre. En effet, il n’existerait pas de genre à priori, celui-ci serait performatif et chaque personne posséderait sa propre vision du rapport avec son corps, en créant ainsi une variété de genres. En ce qui concerne les orientations sexuelles, la revendication de l’existence de plus d’orientations que ce que définissait l’acronyme LGBT est venue de pair avec la multiplication des genres puisqu’en effet, les termes « hétérosexuel.le », « homosexuel.le » ou « bisexuel.le » ne concernent que les personnes de genre masculin ou féminin. Si, à l’origine, la communauté se reconnaissait sous l’appellation LGBT, rapidement, il est apparu indispensable de rajouter quelques lettres à l’acronyme comme le « Q » qui sert à représenter la communauté « queer ». À l’origine, le terme « queer » signifiait « déviant de la norme ». L’impulsion de cet ajout est venue des États-Unis. Dans ce pays particulièrement, l’ajout du « Q » a une symbolique toute particulière, car, en 2017, encore une trentaine d’États appliquent des lois discriminatoires contre les personnes LGBT+ en matière de logement ou d’emploi par exemple. Le fait d’inclure une autre catégorie de personne montre la volonté des militants de vouloir étendre la protection des minorités de genre et d’orientation sexuelle. Reconnaître une nouvelle catégorie officiellement, c’est également prendre en compte la discrimination et la violence que subit ce groupe et donc lui accorder une protection spéciale. Le Canada aura même adopté l’acronyme LGBTTIQQ2SA lors de la marche des fiertés de Toronto de 2010 afin d’inclure les transgenres (terme qui réfère aux personnes ayant adopté une apparence et un mode de vie d’un sexe différent que leur sexe de naissance.), les personnes intersexes (personnes avec des organes génitaux qui ne peuvent être qualifiés de féminins ou de masculins selon les critères de la médecine actuelle.), les queers (personnes qui ne se reconnaissent pas dans la division binaire des genres ou dont l’orientation sexuelle est autre qu’hétérosexuelle.), les personnes « qui se questionnent » sur leur genre ou leur orientation, la communauté des deux esprits des premières nations (ces personnes disent posséder les caractéristiques des deux genres : homme et femme.) et les alliés. Le besoin croissant de protection se faisant sentir proportionnellement avec l’extension de la liste des différents genres et orientations sexuelles, le risque serait de retenir un acronyme de plus en plus long tout en continuant à exclure certaines personnes qui ne se reconnaitraient pas dans la liste officielle des lettres retenues. C’est pourquoi certains militants et certains organismes ont préféré retenir l’acronyme LGBT+, plus inclusif, même si la visibilité de certains groupes est moins présente.
Sur la scène internationale, les personnes LGBT+ ne semblent pas être désignées par cet acronyme. En effet, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés utilise l’expression LGBTI (Lesbienne, Gay, Trans et Intersexe), moins large que LGBT+, tandis que les autres instances internationales ne semblent pas avoir de dénomination propre pour les personnes LGBT+. Si elles ne sont pas nommées explicitement, comment ces personnes peuvent-elles être protégées par le droit international ?
Les personnes LGBT+ sont-elles en dehors de toute protection internationale ?
Si les personnes relevant de la communauté LGBT+ ne sont pas protégées par une convention spéciale, elles ne sont tout de même pas laissées sans la protection du droit international. En effet, elles sont en premier lieu protégées par les droits inhérents à la personne humaine, qui protègent tous les êtres humains, indépendamment de leur genre ou de leur orientation sexuelle comme le déclare l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Plus particulièrement, les personnes qui se revendiquent LGBT+ sont protégées directement par les principes de non-discrimination présents dans plusieurs instruments internationaux qui incluent le genre et l’orientation sexuelle dans les motifs de discrimination. Ainsi, l’article 2.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prohibe explicitement la discrimination fondée sur le sexe. De plus, il prohibe également les discriminations fondées sur « toute autre situation ». La liste des discriminations interdites n’est pas exhaustive et, à ce titre, il est envisageable d’opérer une interprétation extensive de l’article pour y faire entrer l’orientation sexuelle ainsi que l’identité de genre au titre des motifs de discrimination interdits. Un article similaire à savoir l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) interdit lui aussi les discriminations fondées sur le sexe, ainsi que sur l’orientation sexuelle, en suivant la même interprétation extensive, l’article disposant également de la mention « toute autre situation ». Par ailleurs, l’interprétation extensive des articles pour inclure l’identité de genre et l’orientation sexuelle comme motifs de discrimination interdits a été confirmée par la jurisprudence du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies. Par exemple, dans l’affaire Toonen contre Australie, le Comité a reconnu qu’une loi condamnant certaines pratiques sexuelles était discriminatoire contre les personnes homosexuelles. Le Comité a donc reconnu l’orientation sexuelle comme un motif interdit de discrimination au titre du PIDCP. En ce qui concerne l’identité de genre, le Comité, dans son Observation générale 20, au paragraphe 32 précise que « l’identité sexuelle est reconnue parmi les motifs de discrimination interdits » [3]. Des dispositions interdisant la discrimination se retrouvent dans d’autres conventions spécialisées dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à l’article deux.
De plus, les personnes LGBT+ sont aussi protégées par le droit à la vie privée, à l’article 17 du PIDCP, par exemple. Cela pourrait en théorie contribuer à invalider des lois nationales qui criminalisent certaines pratiques sexuelles ou certaines lois concernant le droit des réfugiés. Par exemple, en 2014 dans l’affaire A, B, C Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie la Cour européenne des droits de l’homme a décidé de condamner certains procédés servant à déterminer l’orientation sexuelle des demandeurs, par exemple les tests de phallométrie (test destiné à mesurer la réaction d’un individu regardant un film pornographique) pratiqués en République tchèque[4] ou même des interrogatoires sur les détails de la vie sexuelle des requérants pratiqués aux Pays-Bas. Sur le même motif de respect de la vie privée, la Cour interdit aux requérants demandant l’asile de prouver leur orientation sexuelle à l’aide d’un sexe tape. De même, la Cour européenne des droits de l’Homme a invoqué le droit à la vie familiale prévu à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour que les couples homosexuels puissent bénéficier du droit à l’égalité avec les couples hétérosexuels dans les cas où la loi nationale le permet. En effet, dans l’arrêt Schalk et Kopf contre Autriche de 2010, la Cour statue sur une analyse croisée de l’article 14 et de l’article 8 qui, respectivement, interdit la et protège la vie privée et familiale afin de faire entrer les mariages entre personnes de même sexe dans la « vie familiale ». Cependant, la Cour estime dans cet arrêt que la convention n’oblige pas un État à ouvrir le droit au mariage homosexuel.
Par ailleurs, les personnes LGBT+ sont aussi protégées par des instruments régionaux, lorsque ceux-ci interdisent explicitement l’orientation sexuelle comme motif de discrimination, comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à son article 21 ou encore une résolution de l’Organisation des États américains de 2016 portant sur les droits de l’Homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Ainsi, s’il n’existe aucune mention spécifique concernant la protection des personnes LGBT+ dans les conventions internationales, ces personnes sont néanmoins protégées implicitement par plusieurs autres droits humains garantis en droit international.
Par ailleurs, le Conseil des droits de l’Homme, en juin 2011, a adopté la résolution 17/19 sur les droits de l’Homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Il s’agit de la première résolution consacrée à ce sujet. Dans cette résolution, le Conseil se dit « gravement préoccupé par les actes de violence et de discrimination, dans toutes les régions du monde, commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre ». À la suite de l’adoption de cette résolution, l’ONU a continué de s’intéresser à la problématique des LGBT+ en publiant notamment un rapport (A/HRC/29/23) préparé par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme qui devrait servir à établir les bonnes pratiques et les moyens de lutter contre la violence et la discrimination. Enfin, le 30 juin 2016, l’ONU a créé un poste de Rapporteur spécial la protection contre la violence et la discrimination en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre qui aura pour mandat de :
« Sensibiliser le public à la violence et à la discrimination envers des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, de recenser les causes profondes de la violence et de la discrimination et de s'y attaquer. Il aura également pour mandat de remédier aux formes multiples et aggravées de violence et de discrimination dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre; et d'organiser la fourniture de services consultatifs, l'assistance technique, le renforcement des capacités et la coopération internationale à l'appui des efforts déployés au niveau national pour combattre la violence et la discrimination dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. »
Finalement, une grande avancée a été faite en matière de protection internationale de la communauté LGBT+ avec les principes de Jogjakarta établis en 2006 par un groupe d’experts en matière de droits humains. Ces principes concernent l’application de la législation internationale des droits humains en matière de genre et d’orientation sexuelle. Ils rappellent les normes existantes en matière de droit de droits humains, mais font aussi la promotion de leur mise en œuvre auprès des États, en particulier en ce qui concerne les personnes LGBT+ sous leur juridiction afin d’assurer une meilleure protection de cette communauté. Ces principes suggèrent dans un premier temps de mettre fin à la discrimination à leur égard, et dans un deuxième temps de les protéger contre certaines violences spécifiques comme les violences sexuelles, la torture ou les disparitions forcées, pour ne citer que quelques exemples. Chaque principe dégagé par le groupe d’experts s’accompagne de recommandations faites aux États sur la manière dont ils devraient mettre en œuvre ces obligations. Ces principes ne sont pas contraignants, mais ils semblent refléter les principes établis du droit international. D’ailleurs, certains pays, notamment la Belgique, avec entre autres la résolution 602 du parlement wallon, ont décidé de faire référence à ces derniers dans leur législation, montrant que, bien que non contraignants, ces principes ne restent pas lettres mortes.
Enfin, le droit international des réfugiés, quant à lui, prend également en compte la spécificité des personnes LGBT+, puisque dans son principe directeur sur la protection internationale numéro 9, le HCR précise que la définition du réfugié doit tenir compte de l’interdiction de la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.
Une convention internationale pour les LGBT+ ?
Ainsi, les personnes LGBT+ ne sont protégées en droit international par aucune convention spécifique, bien que se réclamant d’une minorité particulièrement persécutée jusqu’à ce jour. À titre d’exemple, encore 76 pays ont des lois discriminantes envers les homosexuels. Ces lois peuvent prendre différentes formes ; elles peuvent criminaliser soit directement les relations entre personnes de même sexe, soit le faire par des moyens détournés tels que la condamnation de certaines pratiques sexuelles propres à la communauté LGBT+. L’homophobie peut même parfois servir d’argument politique, comme cela a été le cas par exemple lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis opposant Donald Trump à Hillary Clinton. En effet, lors d’une entrevue avec Fox News Sunday, Trump a adopté une position ferme contre le mariage pour tous.
En outre, certains États semblent peu disposés à mettre en œuvre les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU en ce qui concerne la protection des personnes LGBT+. Ces résolutions ont eu un accueil mitigé dans certains États tels que les États-Unis, l’Irak, l’Arabie Saoudite ou la Chine, même auprès de la société civile, ceux-ci invoquant des justifications culturelles et leurs valeurs traditionnelles pour justifier des dérogations à l’application de certains droits fondamentaux. [5]
L’hétérosexualité et les personnes cisgenres (c’est-à-dire les personnes dont le sexe biologique correspond au genre ressenti) semblent donc rester une norme pour un certain nombre d’États peu enclins à changer leur législation pour plus d’égalité entre les genres et les orientations sexuelles. Il est notable que les droits et la protection des personnes LGBT+ évoluent, mais cette évolution est encore imparfaite.
Pour ces raisons il semble peu probable qu’une convention protégeant spécialement la communauté LGBT+ soit signée entre les États dans un avenir proche.
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Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.
[1] Selon Maria Nengeh Mensah (2005) : « D’un point de vue intellectuel, la désignation d’une troisième vague concorde avec la déconstruction de la catégorie «femme» comme référent unique et monolithique d’une supposée position féministe dominante, sous l’influence des théories de la postmodernité. »
[2] Diane Lamoureux, « Y a-t-il une troisième vague féministe?» (2006) HS n°1 Cahier du genre 3 57 à la p 61.
[3] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, observation générale no 20 relative à la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, 2009, paragraphe 32
[4] Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, Homophobie, transphobie et discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les États membres de l’Union européenne (2011) à la p 36
[5] Mark E. Wojcik, « NEW FRONTIERS IN LGBTI RIGHTS », rencontre annuelle de la société américaine de droit international, présentée à Washington, 31 mars 2016 (2016) Cambridge University Press.