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Pour que justice soit rendue : la poursuite des collaborateurs de Jean-Claude Duvalier

Roxanne Bossé-Morin

Roxanne Bossé-Morin est actuellement finissante au Baccalauréat en droit (LL.B.) à l’Université Laval. Elle s’est notamment impliquée à titre de membre du Comité Pro Bono et dans le cadre d’un stage au Centre psycho-pédagogique de Québec. Elle a également réalisé une session d’études à la Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion de l’Université de Strasbourg (France).

Depuis l’été 2014, elle participe aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux d’Avocats sans frontières Canada dans le dossier de Jean-Claude Duvalier. Par ailleurs, elle effectue actuellement une recherche dirigée sur les droits des personnes LGBTI en Haïti pour Avocats sans frontières Canada en partenariat avec l’organisme Défenseur des Opprimé-e-s (DOP).

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Nom de famille: 
Bossé-Morin
Prénom: 
Roxanne

Barbara Sofia Poulain

Barbara Sofia Poulain, étudiante d’origine argentine, est actuellement étudiante à la Maîtrise en études internationales de l’Institut québécois des hautes études internationales (profil Relations internationales) et diplômée du Baccalauréat intégré en études internationales et langues modernes (B.A.) de l’Université Laval. Elle a réalisé une session d’études à l’Université de Stirling en Écosse (2013) et a participé à deux simulations politiques étudiantes dans le monde, soit celles de l’OEA en espagnol et en anglais (2011-2012). Très sensibilisée au cours de ses voyages et de ses études à la nécessité de défendre les droits humains, elle participe actuellement aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux d’Avocats sans frontières Canada.

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Nom de famille: 
Poulain
Prénom: 
Barbara Sofia

Steevel Agbogla

D’origine béninoise et titulaire d’une Licence en droit privé (obtenue en 2013 au Sénégal), Steevel Agbogla est actuellement inscrite au Diplôme d’études supérieures spécialisées en droit international et transnational de l’Université Laval. Passionnée du droit, et toujours dans l’optique de l’apprentissage des différents systèmes judiciaires, elle a effectué plusieurs stages au sein de deux différents cabinets d’avocat ainsi que d’une étude d’huissier de justice dans son pays d’origine. Steevel s’intéresse également au droit international de la personne et des réfugiés, domaines dans lesquels elle envisage de se spécialiser.

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Nom de famille: 
Agbogla
Prénom: 
Steevel
3 December 2014

 

Le 4 octobre dernier, l’ancien dictateur d’Haïti, Jean-Claude Duvalier, est décédé d’une crise cardiaque avant même que la justice haïtienne ait pu le juger. Laissant planer un doute concernant la continuité des procédures, la mort de « Bébé Doc » suscita une réponse ferme du Collectif contre l’impunité, un regroupement de plaignants-(es) contre l’ex-dictateur et consorts, à l’effet que « [l]e décès de Jean-Claude Duvalier ne peut servir de prétexte pour perpétuer l’impunité ».

Dans ce billet de blogue, nous aborderons la question de la nécessité de poursuivre les procédures judiciaires contre les acolytes de Jean-Claude Duvalier. Nous démontrerons d’abord que la mort de l’ex-dictateur ne met pas fin à l’action pénale à l’encontre des autres collaborateurs. En conséquence, nous affirmons qu’il incombe toujours à Haïti d’enquêter et, le cas échéant, de poursuivre ceux-ci pour crimes contre l’humanité. Enfin, nous conclurons avec trois objectifs tributaires de la continuité des procédures, soit la réparation des droits des victimes, le devoir de mémoire et la lutte contre l’impunité. 

Historique de la procédure

Le 16 janvier 2011, Jean-Claude Duvalier revenait de façon inattendue en Haïti après 25 ans d’exil en France. Il ne fallut que 48 heures au gouvernement haïtien pour ordonner la réouverture d’une enquête datant de 2008 et portant sur des crimes financiers commis sous sa présidence.

Conjointement à cette décision, des victimes de violations des droits humains portèrent plainte contre l’ancien « Président à vie » et ses collaborateurs pour crimes contre l’humanité. En réponse à ces plaintes, le Procureur de Port-au-Prince, Me Harycidas Auguste, pris la brave décision d’engager des poursuites pour crimes contre l’humanité à l’égard de ces derniers, décision félicitée par les défenseurs des droits humains. Renforçant l’appel pour que justice soit rendue en Haïti, Amnistie internationale et Human Rights Watch publièrent des rapports portant sur la nécessité d’enquêter sur les graves violations des droits humains commises sous le régime duvaliériste.

Le dossier fut confié à Carvès Jean, juge d’instruction du Tribunal de première instance de Port-au-Prince. Dans l’ordonnance qu’il rendit le 27 janvier 2012, il ordonna le renvoi de l’affaire devant un Tribunal correctionnel pour délit de détournements de fonds publics, mais jugea qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre Jean-Claude Duvalier pour crimes contre l’humanité. Maintes erreurs furent commises durant l’instruction. À ce titre, mentionnons le fait que les inculpés ne furent pas tous entendus et que les crimes contre l’humanité furent laissés de côté au motif qu’ils étaient étrangers au droit haïtien. Une vague d’indignation se fit ressentir au sein des victimes du régime duvaliériste et de toute la communauté internationale.

Les parties civiles interjetèrent rapidement appel de cette décision. La Cour d’appel de Port-au-Prince rendit son arrêt en février 2014. Dans celui-ci, elle annula la décision rendue en première instance et renvoya l’affaire à un nouveau juge d’instruction. La Cour affirma d’ailleurs que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et qu’ils peuvent donner lieu à des poursuites en vertu du droit haïtien, ce qui redonna espoir aux victimes du régime. Sur ce point, il apparaît crucial de souligner l’importance du rôle de la partie civile, représentée principalement par le Collectif contre l’impunité, et de son principal partenaire, Avocats sans frontières Canada (ASFC), dans cette lutte.

L’action n’est pas éteinte par le décès de Jean-Claude Duvalier

Le départ de « Bébé Doc » pris par surprise tant les nostalgiques du régime que ses détracteurs. S’il est certes déplorable que la justice haïtienne ne se soit pas prononcée avant la mort de l’ex-dictateur – son décès marquant la fin des poursuites contre sa personne en vertu de l’article 2 du Code d’instruction criminelle haïtien – il n’en demeure pas moins que la responsabilité de ses collaborateurs est toujours engagée. Il est primordial de rappeler que dès le début des poursuites initiées par l’État haïtien lui-même, la procédure judiciaire ne se limitait pas à l’ancien « Président à vie » mais concernait également plus d’une dizaine de collaborateurs au régime, dont Jean Valmé, Rony Gilot et Emmanuel Orcel. La Cour d’appel de Port-au-Prince a écarté tout doute possible à ce sujet en affirmant que le nouveau juge d’instruction devait convoquer et interroger tous les inculpés cités dans les réquisitoires du Ministère public.

De manière similaire, la Cour pénale internationale a notamment affirmé en 2013 que le décès d’un co-auteur n’entraine pas l’extinction de l’action pénale à l’encontre de l’autre co-auteur. Ce principe a également été appliqué par les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. En effet, la mort de Ieng Sary durant les procédures n’a pas empêché la condamnation des deux autres co-accusés Nuon Chea et Khieu Samphân, tous deux anciens hauts responsables Khmers rouges.

L’obligation d’Haïti d’enquêter et de poursuivre

Considérant dès lors qu’une action pénale est toujours en vigueur contre les consorts du régime Duvalier, l’État haïtien n’est pas dispensé de son obligation d’enquêter et de poursuivre au regard du droit international. L’article 276 (2) de la Constitution haïtienne de 1987 établit que les traités, conventions et accords ratifiés par décret font partie du droit haïtien et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires. Haïti a ratifié deux traités relatifs aux droits humains qui viennent concrétiser son devoir d’enquêter et de sanctionner les auteurs de graves violations de droits humains : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[1] et la Convention américaine relative aux droits de l’homme[2].

À ce propos, prenant appui sur une jurisprudence constante de la Cour interaméricaine des droits de l’homme – mentionnons les arrêts Almonacid-Arellano et autres c. Chili et Manuel Cepeda Vargas c. Colombie –  la Commission interaméricaine des droits de l’homme a rappelé à la République d’Haïti la teneur de cette obligation. Ainsi, au regard des dispositions internationales incorporées dans la législation haïtienne et de la jurisprudence, il ne fait aucun doute que les autorités haïtiennes doivent veiller à ce que les consorts de Duvalier soient « poursuivis en justice, jugés et condamnés à la hauteur des faits avérés ».

Précision importante, les crimes contre l’humanité ne sauraient par ailleurs être prescriptibles. Non seulement la Cour interaméricaine des droits de l’homme – dont les interprétations s’appliquent en Haïti – vient affirmer dans l’affaire Almonacid Arellano c. le Chili l’inapplicabilité des règles de la prescription[3] aux crimes contre l’humanité, mais la prohibition des crimes contre l’humanité ainsi que l’obligation de les poursuivre constituent des règles de jus cogens[4].

Réparation des droits des victimes, devoir de mémoire et lutte contre l’impunité

Il ne faut jamais proposer l'oubli comme un moyen de la paix sociale. La mémoire fait partie de la paix sociale.

- Bronislaw Geremek

Au-delà des considérations strictement juridiques, la poursuite des consorts de Jean-Claude Duvalier répond également aux impératifs de réparation des droits des victimes, du devoir de mémoire et de la lutte contre l’impunité. Ces trois objectifs sont essentiels à la construction d’un État démocratique.

Les victimes du régime duvaliériste bénéficient du droit à la réparation des crimes commis à leur égard. Ce droit est affirmé dans plusieurs instruments internationaux, notamment à l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[5] de 1984, à l’article 2 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’à l’article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. En vertu de ces dispositions, tout individu ayant été victime d’une violation de ses droits fondamentaux a droit à un recours devant les tribunaux compétents et l’État a l’obligation de tout mettre en œuvre pour assurer l’effectivité de ce droit. Ainsi, l’État haïtien pourrait être condamné en cas de manquements à ses obligations vis-à-vis des règles du droit international des droits de la personne.

Fait intéressant, le Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies a érigé certains principes essentiels quant au recours et à la réparation des victimes, notamment concernant le droit des victimes au recours (principe VI), l’accès à la justice (principe VIII) et la réparation du préjudice subi (principe IX).

Le procès des acolytes de Duvalier revêt également un caractère symbolique en ce qu’il permettrait à la société haïtienne d’aujourd’hui et de demain de connaître la vérité sur les faits commis sous le règne des Duvalier. La pratique du devoir de mémoire ne pourrait être complétée sans la poursuite des principaux responsables des atrocités commises sous le régime duvaliériste. Cet indispensable devoir est plus que nécessaire aujourd’hui au regard des appuis encore vifs au régime. À ce titre, il ne suffit que de se rappeler du ralliement du Ministère public, représenté par Florence Mathieu, aux prétentions du dictateur déchu en Cour d’appel, ou encore de souligner l’attitude de l’actuel président Michel Martelly. Le président haïtien a en effet multiplié les gestes de proximité à l’endroit de Jean-Claude Duvalier. À cet égard, mentionnons la présence de ce dernier à diverses cérémonies officielles ainsi que de sa réaction au lendemain de la mort de l’ex-dictateur

À titre de précédent, la poursuite des collaborateurs du régime duvaliériste est d’autant plus cruciale pour le peuple haïtien qu’un de ses objectifs est de « comprendre ce qui s’est passé pour que cela ne se reproduise plus jamais ». On ne peut qu’espérer que cela aura un effet dissuasif à l’égard des autres dirigeants, en Haïti ou ailleurs, qui seraient tentés de commettre de telles atrocités. Il s’agirait d’un message clair à l’idée que de telles violations des droits humains engagent leur responsabilité pénale.

Le pays a besoin de justice pour les nombreuses victimes qui ont perdu leurs droits les plus fondamentaux pendant la dictature duvaliériste. Ce besoin ne sera satisfait que par la mise en lumière des mécanismes de la dictature, l’établissement d’un bilan des violations commises pendant celle-ci et la poursuite des responsables. Ainsi, la répression des violations systématiques des droits de l’Homme commises par les consorts de Jean-Claude Duvalier s’impose en vertu du droit national haïtien et du droit international.

Considérant les obstacles auxquels se heurtent la justice haïtienne, autant au niveau de la fragilité de ses structures que de son emprise par le pouvoir politique, peut-on envisager que les autorités judiciaires respecteront leur obligation d’enquêter et de poursuivre les collaborateurs de l’ex- « Président à vie » ? Nous espérons que l’État haïtien saura rendre hommage aux victimes du régime duvaliériste et servira ainsi d’exemple sur la scène internationale.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

 

[1] Voir article 2. Haïti a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 6 février 1991.

[2] Voir articles 1 (1), 2 et 25. Haïti a ratifié la Convention américaine relative aux droits de l’homme le 14 septembre 1977.

[3] Voir Code d’instruction criminelle d’Haïti, articles 464- 466.

[4] Voir par exemple Kupresksić et autres, IT-95-16-T, Jugement (14 janvier 2000) au par. 520 (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Chambre de première instance).

[5] Haïti a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 16 août 2013, mais ne l’a toujours pas ratifiée. 

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