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Amendements aux textes de la Cour pénale internationale: ouverture de la 12e session de l’Assemblée des États parties sur fond de tensions

Jérôme Massé

Jérôme Massé est avocat et candidat à la maîtrise en droit international. Il est diplômé de l’Université Laval (LL.B., 2010) et de l’Université d’Ottawa (J.D., 2012).

Au cours des sessions d’hiver et d’été 2013, il a participé aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux du Bureau du Président du Tribunal Spécial pour le Liban. Il continue son implication cette année en collaborant au Projet « Outils Juridiques » de la Cour pénale internationale.

Il a par ailleurs été sélectionné pour représenter la faculté de droit de l’Université Laval à l’édition 2014 du concours de droit international humanitaire Jean-Pictet.

https://www.cdiph.ulaval.ca/sites/cdiph.ulaval.ca/files/jerome_masse.png
Nom de famille: 
Massé
Prénom: 
Jérôme
20 November 2013

 

La douzième session de l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale (ci-après « AÉP ») s’est ouverte aujourd’hui, 20 novembre 2013, à La Haye, sur fond de tensions entre les États africains et la CPI. En effet, après que l’ONU ait rejeté la suspension des procès des dirigeants kenyans Uhuru Kenyatta et William Ruto, les diplomates africains changent de stratégie et projettent maintenant d’utiliser la tribune qui leur sera offerte lors de l’AÉP pour demander que soit amendé le Statut de Rome (ci-après « le Statut »). Leur cheval de bataille : les immunités protégeant les chefs d’État d’éventuelles poursuites.

En tant que principal administrateur et organe législatif de la CPI, l’AÉP veille à l’actualisation du Statut et du Règlement de procédure et de preuve (ci-après « le Règlement »). À cette fin, elle s’est dotée en 2009 d’un groupe de travail sur les amendements (ci-après « le GTA »). Suivant la résolution de l’AÉP qui l’a créé, le GTA est investi du mandat « d’examiner « tout […] amendement éventuel du Statut de Rome et du Règlement de procédure et de preuve, aux fin de recenser, conformément au Statut de Rome et au Règlement intérieur de l’AÉP, les amendement à adopter ».

Pour la 12e session de l’AÉP, le GTA recommande l’adoption d’amendements aux règles 68 et 100 du Règlement, qui concernent respectivement les témoignages enregistrés à l’avance et la possibilité de tenir des procès en dehors du siège de la Cour. Ces amendements visent d’une part à « permettr[e] aux juges de la Cour d’accélérer la procédure et d’alléger le processus de présentation des éléments de preuve en augmentant le nombre de circonstances dans lesquelles un témoignage préalablement enregistré peut être présenté en l’absence du témoin » et, d’autre part, à faciliter la « désignation d’un lieu autre que La Haye en donnant à la Chambre de première instance l’autorité de décider d’adresser une demande en ce sens au Président de la Cour sur la recommandation de la majorité absolue des juges de la Chambre en question ».

Il y a pourtant fort à parier que compte tenu du contexte actuel, ce sont surtout les amendements au Statut proposés par le Kenya qui retiendront l’attention. En effet, dans une lettre confidentielle datée du 7 novembre 2013 adressée au président du GTA, les autorités kenyanes proposeraient d’amender le Statut.

Concrètement, le Kenya proposerait de revoir la rédaction de l’article, 27 du Statut, qui prévoit qu’aucune qualité officielle – en particulier celle de chef d’État ou de gouvernement (art. 27(1)) - ou immunité (art. 27(2))  ne peuvent être opposées à la CPI. En soutenant que cette disposition va à l’encontre des principes de base du droit international relatifs aux immunités attachées à la qualité officielle d’une personne, le gouvernement kenyan propose d’ajouter un troisième paragraphe à l’article 27 qui mentionnerait que nonobstant les paragraphes 1 et 2, les chefs d’État en exercice ne doivent pas faire l’objet de poursuite. Évidemment, les grandes ONG comme Human Rights Watch et Amnistie internationale s’opposent vivement à l’adoption d’un tel amendement et recommandent aux États parties de maintenir le défaut de la qualité officielle sous l’article 27. Elles invitent en outre les États à rejeter les efforts visant à accorder aux responsables gouvernementaux en exercice une immunité vis-à-vis des poursuites en justice puisque ceci aurait comme effet pervers de les inciter à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, avis que semble d’ailleurs partager certains universitaires blogueurs.

Toutefois, comme plusieurs commentateurs l’ont déjà fait remarquer, ces propositions d’amendement n’ayant pas été notifiées 90 jours avant la tenue de l’AÉP comme le prévoit la règle générale édictée à l’article 121 du Statut, leur adoption ne sera vraisemblablement pas considérée lors de la présente assemblée (du moins selon l’ordre du jour provisoire). Il n’est toutefois pas impossible qu’elles soient néanmoins discutées en vue d’une adoption future d’autant plus que l’AÉP a, lors de sa première séance plénière et à la demande de l’Union Africaine, ajouté à l’ordre du jour un point spécial qui portera sur l’ « inculpation de chefs d’État ou de gouvernement encore en fonction, et ses conséquences pour la paix, la stabilité et la réconciliation ».  Il est à espérer que cette discussion fasse avancer la réflexion sur l’impact que les poursuites contre les hauts dirigeants politiques peuvent avoir sur la paix et la sécurité.

Au surplus, selon les informations recueillies par Hirondelle News Agency, les autorités kenyanes auraient un plan B. S’ils n’obtiennent pas l’amendement requis pour l’article 27, ils pourraient demander une modification de l’article 63 du Statut, qui pose le principe de la présence de l’accusé à son procès, ou encore l’ajout de dispositions au Règlement, de façon à permettre à certains accusés d’assister à leur procès par vidéoconférence, notamment. Contrairement à ce qui est prévu pour les amendements au Statut, il n’y a pas d’exigence de notification de 90 jours pour les amendements au Règlement. À l’aube de la deuxième journée de l’AÉP, il semblerait d’ailleurs que c’est cette voie qui sera privilégiée, compte tenu de la volonté des États, mais également du temps imparti à la discussion, une modification du Règlement étant moins longue à opérer qu’un changement au Statut.

À suivre…

 

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