L’Accord de Ouagadougou : Une prime à l’impunité ?
Ibrahim Maïga
Ibrahim Maïga est candidat à la maîtrise en droit international et transnational. Il est également ancien étudiant de la Clinique de droit international pénal et humanitaire où il a assisté l’équipe de défense d’Augustin Ngirabatware devant le TPIR. Dans le cadre de sa maîtrise, il s’intéresse particulièrement aux relations entre la Cour pénale internationale et le continent africain.
Le 18 juin 2013, un accord préliminaire a été conclu entre, d’une part, les autorités de transition du Mali et, d’autre part, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MLNA) et le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). L’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali (« l’Accord ») ouvre la voie à la tenue de l’élection présidentielle sur toute l’étendue du territoire national. Il marque également le début d’un long processus politique devant aboutir à une paix définitive et globale dans le pays. Toutefois, cet accord a été diversement accueilli par la population malienne. En plus de certains aspects politiques, c’est surtout la marginalisation des questions de justice dans l’architecture de l’Accord qui a fait l’objet de vives préoccupations.
Depuis le début de l’année 2012, le Mali traverse la pire crise politico-militaire de son histoire. Cette tragédie a commencé par une énième rébellion suivie d’une invasion terroriste qui n’a été repoussée que grâce à l’intervention de la France. Durant cet épisode qui a concerné la région du Nord en particulier, plusieurs crimes et violations graves des droits humains auraient été commis selon Amnesty International. Le 18 juillet 2012, le gouvernement intérimaire du Mali a saisi la Cour pénale internationale (« CPI ») de la situation. Le 16 janvier 2013 le procureur de la Cour a décidé d’ouvrir une enquête sur les crimes présumés commis sur le territoire malien depuis 2012. Pour sa part, la justice malienne a ouvert une série d’enquêtes ayant conduit à l’émission de mandats d’arrêt nationaux et internationaux contre certains responsables de la rébellion du Mouvement national de libération de l’Azawad, extrémistes religieux et autres narcotrafiquants.
Ces actions démontrent une ferme volonté des autorités maliennes de lutter contre l’impunité. Le volet judiciaire est fondamental pour une résolution durable de la crise. En effet, s’il y a un point sur lequel la majorité des observateurs se mettent d’accord, c’est bien le fait que l’impunité constitue une des causes de résurgence du conflit et probablement de son intensification. Pourtant, il semblerait une fois de plus qu’on veuille sacrifier la justice au profit de la paix. L’article 17 de la version préliminaire de l’Accord qui préconisait une suspension des mandats d’arrêt et des poursuites judiciaires engagés par la justice malienne en est l’exemple flagrant. De plus, cet article invite toutes les parties à remettre en liberté toutes les personnes détenues du fait du conflit. Au regard du droit international humanitaire, cette dernière disposition ne peut s’appliquer pour les individus ayant commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
Toutes ces dispositions ont fait l’objet d’intenses discussions entre l’État malien et les groupes armés rebelles dont plusieurs hauts responsables sont poursuivis par la justice nationale. Face à l’intransigeance du négociateur malien et après d’interminables réunions, le point sur les poursuites nationales a été savamment éludé dans le nouveau texte tout en déléguant les questions de justice à une commission d’enquête internationale. En effet, l’article 18 de l’Accord dispose que :
[l]es Parties conviennent de la mise en place, dans les meilleurs délais, d’une commission d’enquête internationale sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide, les crimes de violence sexuelle, le trafic de drogue et les autres violations graves du droit international humanitaire sur tout le territoire national du Mali.
Les Parties s’engagent en outre, à prendre les mesures de confiance appropriées pour faciliter la mise en œuvre du présent Accord.
À cet égard, elles s’engagent à libérer les personnes détenues du fait du conflit armé dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.
Ce point confirme une fois de plus la frilosité des négociateurs quant au rôle de la justice dans la résolution durable des conflits. Sinon, quelle serait la pertinence d’une commission internationale quand on sait que la CPI a déjà été saisie et qu’elle a même ouvert une enquête ? Sans doute que le réalisme des négociateurs l’a emporté sur l’idéalisme des juristes. Et même si les autorités politiques maliennes s’en défendent, il appert que les dispositions de l’article 18 consacrent une impunité de facto. La signature même d’un accord avec des individus recherchés par la justice nationale renforce grandement cette perception.
Autre problème posé par cet Accord, la violation flagrante de la résolution 2100 qui a pourtant servi de cadre de référence aux pourparlers de Ouagadougou. En effet, contrairement aux dispositions de l’Accord la résolution soutient explicitement les actions menées aux niveaux national et international pour traduire en justice les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Mali. Il convient donc de se questionner sur le bien fondé des dispositions de l’article 18 au regard de la position affichée par la communauté internationale sur les crimes commis au Mali.
Aujourd’hui, la guerre est presque terminée mais le Mali se trouve confronté au dilemme de la paix et de la justice. Il lui faudra choisir entre poursuivre ceux qui ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou les associer au processus de transition au nom de la paix. Ce débat dichotomique peut également être dépassé s’il décide de choisir la solution médiane, c’est-à-dire poursuivre uniquement ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les violations. Les expériences des différents pays en sortie de conflit armé permettent d’avancer qu’il n’existe pas de modèle unique. Par conséquent, c’est à chaque pays de puiser dans sa propre histoire pour trouver les mécanismes susceptibles de satisfaire le besoin de justice et d’apporter une paix durable. L’histoire récente du Mali nous pousse à croire que la lutte contre l’impunité est une condition sine qua non pour une résolution définitive de la crise. Reste aux autorités maliennes d’en assumer l’entière responsabilité.