17 juillet - Journée de la justice internationale pénale
Fannie Lafontaine
Fannie Lafontaine est professeure de droit à la Faculté de droit de l'Université Laval et directrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire.
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Alain-Guy Tachou Sipowo
Alain-Guy Tachou-Sipowo détient une licence et une maîtrise en droit public de l’Université de Yaoundé II au Cameroun (2005, 2006), un Master en droit international et européen des droits de l’homme de l’Université de Nantes en France (2008), un Diplôme d’études supérieures spécialisées en relations internationales, option contentieux international de l'Institut des Relations internationales du Cameroun (2008). Il a été chargé de programme d’une association camerounaise de promotion de droits de l’homme de 2003 à 2008 et a successivement travaillé à la division des affaires juridiques du ministère camerounais des Affaires étrangères, au service des affaires juridiques et de la coopération internationale de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle, au greffe du Tribunal pénal international pour le Rwanda et à la Division des victimes et des Conseils de la Cour pénale internationale. À l’automne 2008, il a rejoint l’Université Laval où il a obtenu une maîtrise en droit (2011) et termine actuellement ses études de doctorat en droit international pénal sur la question de l’impact de la confidentialité sur l’effectivité de la Cour pénale internationale. Il détient plusieurs honneurs au Canada et à l’étranger, dont la bourse John Peters Humphrey en droits de l’homme et organisations internationales du Conseil canadien de droit international (2009 et 2010) et le Diplôme de l’Académie de droit international de La Haye (2011). Il a servi comme officier de droits de l’homme à la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (2010-2011) et a régulièrement été assistant de recherche au Programme Paix et sécurité internationales de l’Institut québécois des hautes études internationales. Il est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Laval.
La Cour pénale internationale a 15 ans : la lune de miel est terminée, le travail ne fait que commencer
Omar Al-Bashir, le président du Soudan, qui fait l’objet de deux mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour, est le présumé criminel le plus mobile de la terre. Encore hier, il arpentait les rues d’Abuja au Nigéria, serrant les mains des autres chefs d’État lors d’une rencontre régionale, sans crainte réelle d’être importuné par les forces de l’ordre. Pourtant, c’est le tout-puissant Conseil de sécurité des Nations Unies qui avait demandé à la CPI, en mars 2005, d’enquêter sur les crimes commis au Darfour. Cette décision historique (il s’agissait du premier renvoi de l’organe politique à la nouvelle Cour) semblait indiquer clairement que la solution du conflit au Darfour passait entre autres par la justice. Que l’impunité était un obstacle à la paix. Une de nous avait écrit dans Le Devoir, il y a exactement 5 ans, le 17 juillet 2008, à la suite de la décision du Procureur d’alors d’inculper Bashir, que « si la CPI décide d’émettre un mandat d’arrêt, cette décision devra être appuyée sans équivoque par la communauté internationale, au risque d’ébranler les fragiles fondations du système de justice pénale internationale. … De cet effort collectif dépend la crédibilité de la CPI ». Cet effort n’est pas venu. Bashir est libre. D’autres aussi. Le Conseil de sécurité ne fait rien pour aider la CPI, qui dépend pourtant des États pour mener à bien son mandat. L’Union africaine a adopté une attitude belliqueuse envers la CPI et refuse la coopération. Où en est la Cour et qu’en est-il de cette entreprise de lutte contre l’impunité née après la Deuxième Guerre mondiale qui se pérennisait enfin avec sa création ?
Il y a en effet 15 ans, le 17 juillet 1998 à Rome, les États adoptaient le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, un traité international créant la première juridiction permanente à vocation universelle responsable de juger les auteurs présumés des crimes internationaux les plus graves, à savoir le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression. Portée essentiellement par les « puissances moyennes », le Canada en tête, et la plupart des pays en voie de développement, la Cour est entrée en vigueur en juillet 2002 en se passant de la participation des puissances de premier ordre que sont les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde et Israël. Cette fracture, que l’on connaît très peu dans un système international où rien ne se fait sans l’appui des plus grands, découlait pourtant d’une prise de conscience unanime que « trop c’était trop », plus jamais on ne tolérerait « ça ». La tragédie des Balkans et du Rwanda du début des années 1990 et la réponse judiciaire que le Conseil de sécurité y apporta en créant les tribunaux pénaux internationaux ad hoc des Nations Unies pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda avaient fini de convaincre beaucoup que la paix par la justice n’est pas qu’une utopie. En créant la CPI, on voulait donner un second souffle à l’héritage de Nuremberg.
La CPI est donc née dans une période de grands espoirs. Les ONGs de par le monde ont activement participé à sa création. Il en est résulté une institution qui, si elle répond dans les textes aux attentes légitimes de la société civile, est à certains égards en contradiction avec les intérêts nationaux des États, du moins ceux impliqués d’une façon ou d’une autre dans une situation de conflit. Qu’on se rappelle pour preuve la sourde oreille du Conseil de sécurité à l’appel de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et d’un groupe de plusieurs dizaines d’États pour que la situation actuelle en Syrie fasse l’objet d’enquêtes par le Bureau du Procureur de la CPI. Les espoirs (démesurés ?) placés en la Cour se confrontent au fait que la CPI se détache de l’axe de la puissance internationale pour se rapprocher des plus faibles. D’où la politique de n’exempter personne de répondre de ses crimes, y compris les présidents en exercice. Dans les pays où elle enquête, notamment en République démocratique du Congo, en Ouganda, en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine, au Kenya et au Soudan, elle n’a ainsi visé essentiellement que des chefs militaires, civils et politiques.
D’autre part, parce qu’elle n’est plus uniquement une justice pour la paix dans l’intérêt des vainqueurs des conflits, la CPI est proche des victimes à qui elle a promis la parole, la guérison, la réconciliation et l’établissement de la mémoire historique de leurs souffrances. À travers les procès ouverts dans les pays en conflit où la Cour intervient, de nombreuses victimes d’abus de pouvoir se sont vues offrir la possibilité de monter au créneau pour faire entendre leurs voix.
En dépit de ces objectifs louables, la Cour fait aujourd’hui face, après 15 années d’existence seulement, à des critiques de toutes parts, dont les plus véhémentes proviennent le plus souvent des États. Bien qu’on perçoive un réchauffement des relations entre les États-Unis et la Cour depuis peu, les principales puissances sont loin d’être prêtes à faire le pas pour rejoindre l’institution internationale dont elle dénonce essentiellement le pouvoir de son Procureur. Pour l’Union africaine qui appelle ses États membres à quitter la Cour, celle-ci a écorné sa crédibilité parce que son procureur ne poursuivrait que les Africains. Sans être nécessairement bien articulée, parce que les situations africaines, à l’exception de la Libye et du Soudan, renvoyées par le Conseil de sécurité, et du Kenya, où le Procureur a agi de façon autonome, ont été renvoyées par les États africains eux-mêmes, cette critique nécessite, dans l’optique du réchauffement des relations avec l’Union et par souci d’apparence de justice, que la Cour diversifie ses poursuites. Il en va de sa légitimité et de sa crédibilité. La prochaine décennie sera cruciale à cet égard.
En tout état de cause, nous serions de mauvaise foi de ne pas reconnaître que l’avènement de la Cour n’a pas changé quelque chose dans l’ordre international. Sa création a permis le développement au niveau national d’une sensibilité plus accrue aux atrocités commises à travers le monde. Le principe découlant du Statut de Rome selon lequel il revient en premier lieu aux États de lutter contre les crimes graves doit devenir le chantier prioritaire de la justice internationale pénale. L’avenir de cette dernière sera, nous en sommes convaincus, déterminé par le rôle des institutions nationales, moins vulnérables aux contradictions associées aux intérêts géostratégiques. Toutefois, pour intéressant qu’il soit, ce paradigme ne peut véritablement atteindre les objectifs escomptés de lutte contre l’impunité et de réparation des victimes que si la coopération internationale est mise à contribution.
Dans ce contexte, en tant que pionnier dans le maintien de la paix et artisan de la CPI, le Canada a une partition importante à jouer, au pays comme à l’étranger. Il doit continuer de poursuivre les auteurs présumés de crimes internationaux qui se trouvent sur son territoire au lieu de simplement les renvoyer chez eux et soutenir activement les processus nationaux visant la poursuite des criminels de guerre, par le biais de l’aide internationale ou par l’entremise des organismes de coopération de la société civile. Son leadership mondial dans le domaine en dépend et de son soutien, ainsi que celui d’autres États de droit, dépend l’avenir de la justice internationale pénale.