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Mathieu Ngudjolo Chui : un autre "Ntagerura" ?

Raymond Ouigou Savadogo

Raymond O. Savadogo détient un Baccalauréat en droit avec distinction (major de promotion), une maitrise en droit international et transnational avec distinction et il a servi à titre de Professionnel de recherche et d’assistant d’enseignement en droit international pénal à la Faculté de droit de l’Université Laval. Ancien étudiant de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (Bobo Dioulasso-Burkina Faso), il est intervenu à la Cour pénale internationale comme membre pro bonodu Conseil de la défense de Callixte Mbarushimana jusqu’à sa mise en liberté. Par le biais de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, il a également servi comme travailleur contractuel des Outils juridiques de la Cour pénale internationale et a assisté le Conseil des victimes devant les Chambres africaines extraordinaires instituées au sein des tribunaux sénégalais pour juger l’ancien Président tchadien, Hissène Habré. Devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, il a agi à titre d’assistant du Conseil de la défense de Callixte Nzabonimana de même que du Conseil de la défense des personnes acquittées, à savoir André Ntagerura, Jérôme Clément Bicamumpaka, Gratien Kabiligi et Casimir Bizimungu aux fins de leur réinstallation dans des pays d’accueil. Reçu en 2010 comme stagiaire au Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) et engagé plus tard comme « enquêteur terrain associé » pour une étude Afrobaromètre sur l’éducation citoyenne à la démocratie et aux droits humains, Raymond est passionné du droit international pénal, du droit international humanitaire et du droit international des droits de la personne. Il est aussi récipiendaire de plusieurs honneurs et distinctions et a également représenté l’Université Laval à la 25ème édition du Concours international de droit international humanitaire (Concours international Jean Pictet) qui s’est tenue en Thaïlande en mars 2013. Sa thèse de doctorat portera sur la poursuite des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide devant les juridictions africaines. Suivez-le sur Twitter : @raysava.

https://www.cdiph.ulaval.ca/sites/cdiph.ulaval.ca/files/sans_titre_0_0.jpg
Nom de famille: 
Ouigou Savadogo
Prénom: 
Raymond
20 December 2012

 

MATHIEU NGUDJOLO CHUI : UN AUTRE « NTAGERURA » ? 

par Raymond Ouigou Savadogo[1]

Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité : tel était le slogan qui se lisait sur toutes les lèvres des passionné(e)s inconditionnel(le)s de la justice pénale internationale quand la Chambre de première instance I de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu son tout premier jugement dans l’affaire Thomas Lubanga Dyilo. C’est avec une ferveur tout aussi similaire que ces mêmes fanatiques dévoués ont attendu le second verdict de cette Cour. Soudainement, « non coupable » !  La Chambre de première instance II – au banc de laquelle siègent les juges Bruno Cotte, Fatoumata Dembele Diarra et Christine Van den Wyngaert – est arrivée à la conclusion que le Procureur n’a pas pu démontrer la responsabilité pénale individuelle de Mathieu Ngudjolo Chui au-delà de tout doute raisonnable. Ainsi, il a été acquitté à l’unanimité des juges.

©Photo : ICC-CPI

En réponse à la requête de maintien en détention présentée par le Bureau du Procureur, cette même Chambre a considéré qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles justifiant le maintien en détention de Mathieu Ngudjolo Chui et a souligné que « la liberté est la règle et la détention l’exception ». Ce faisant, les juges ont donc ordonné au Greffe de prendre les dispositions appropriées afin de libérer M. Ngudjolo Chui à la suite de son acquittement. Quant au Procureur, il a fait valoir sa volonté de faire appel de cette décision. D’ores et déjà, Mathieu Ngudjolo Chui est censé humer véhémentement l’air de la liberté et disposer entièrement de sa personne comme il le veut. Le processus de sa mise en liberté, continue la Chambre, « doit être fait, en tenant compte de son avis, dans un État qui est tenu de le recevoir ou dans un autre État qui accepte de le recevoir » [nos italiques]. On peut se demander dès à présent où va-t-il aller ? Quel État est « tenu » de le recevoir et en vertu de quelle disposition ? De peur de parier sur une question qui se meut, le présent billet de blogue se limite in extremis à l’analyse des différents obstacles probables auxquels fait face un acquitté de la Cour.

Retourner en République Démocratique du Congo ?
À l’état actuel, on peut se demander si Mathieu Ngudjolo Chui a toutes les bonnes raisons de craindre non seulement pour sa sécurité personnelle, mais aussi des poursuites subséquentes s’il retournait en RDC. À mon avis, oui ! Au vu de l’instabilité continue et croissante qui règne dans ce pays, c’est de nos jours une vérité de La Palice de dire que même les civils n’y sont pas à l’abri, a fortiori un ancien commandant de milice présumé. Contrairement au contexte de l’ex-Yougoslavie où il y a eu éclatement de l’État, le contexte congolais est fort semblable à celui du Rwanda où les ennemis d’hier doivent cohabiter dans un même territoire et sous un même pouvoir politique dirigé par des adversaires [voir le billet de blogue sur le retour de Gotovina en Croatie].  

L’accueil dans un tiers État ?
La deuxième hypothèse serait de trouver un État d’accueil qui accepterait de recevoir sur son territoire Mathieu Ngudjolo Chui. Là encore, plusieurs écueils subsistent. L’article 93(1) du Statut de Rome prévoit des domaines de coopération qui sont tous liés à des demandes d’assistance quant aux poursuites. Plus spécifiquement son alinéa l) prévoit d’ « autre[s] forme[s] d'assistance non interdite par la législation de l'État requis propre à faciliter l'enquête et les poursuites relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour [nos italiques]. Cela inclut-il la relocalisation des personnes acquittées ? Vraisemblablement, non ! Cette disposition, quoique non exhaustive, ne saurait sortir des domaines de coopération qui sont propres « à faciliter l’enquête et les poursuites relatives aux crimes ». Il n’y a donc aucun véhicule juridique dans le Statut de Rome sur la base duquel un État, même partie, pourrait se voir contraindre d’accueillir sur son territoire une personne acquittée par la Cour pénale internationale.

Pourtant, cette Cour de même que ses instruments sont considérés comme un aboutissement. De la définition des crimes aux modes de responsabilité, en passant par la procédure, l’administration de la preuve, la protection des témoins, la réparation ainsi que la participation des victimes à la procédure, cette Cour est vue comme une juridiction « musclée » par les décennies d’expérience des tribunaux ad hoc. Ce faisant, on peut hausser les épaules en se félicitant que les failles d’hier soient devenues les forces d’aujourd’hui. Mais comment a-t-on pu passer à côté du problème de la relocalisation des acquittés alors que cette question a constitué et constitue toujours la plaie béante du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ? À mon humble avis, cela peut s’expliquer de la manière suivante. Avant le 17 juillet 1998, date d’adoption du Statut de Rome, aucun acquittement n’avait jusque-là été prononcé par aucun des deux tribunaux ad hoc. Le premier acquittement a été prononcé par  le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) le 14 janvier 2000 et, jusqu’à cette date, la question de la relocalisation ne se posait pas puisque ces personnes retournaient chaleureusement chez elles. L’acquittement qui a véritablement dénudé la question de la relocalisation des acquittés n’a été prononcé en appel que le 3 juillet 2002 dans Ignace Bagilishema alors que le Statut de Rome était déjà adopté et venait à peine d’entrer en vigueur.    

En plus de la faiblesse du cadre normatif de la Cour, un autre écueil non négligeable est contenu dans la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (Convention). Les États potentiels pourront  juridiquement évoquer l’article 1(f) de cette Convention au soutien de leur refus d’accueillir sur leur territoire une personne acquittée par la CPI de même que celles du TPIR. À titre d’exemple, son alinéa a) prévoit que « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser […] qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes » [nos italiques]. Que reste-t-il alors du sacrosaint principe de la présomption d’innocence ? Cette présomption d’innocence couvre-t-elle les personnes qui ont été acquittées ? Dit autrement, peut-on parler de présomption d’innocence post-acquittement ? Être acquitté par une juridiction pénale internationale au-delà de tout doute raisonnable implique-t-il qu’il n’y a plus de sérieuses raisons de croire que ces personnes ont commis le crime en question ? Sont-elles « blanches » comme neige ? En évaluant le fardeau de la preuve, la Chambre de première instance II a laissé lire un obiter dictum qui semble donner une réponse à ces interrogations. Elle a courageusement martelé au paragraphe 36 de son jugement que

le fait qu'une allégation ne soit, selon elle, pas prouvée au-delà de tout doute raisonnable n'implique pas pour autant qu'elle mette en cause l'existence même du fait allégué. Cela signifie seulement qu'elle estime, au vu du standard de preuve, ne pas disposer de suffisamment de preuves fiables pour se prononcer sur la véracité du fait ainsi allégué. Dès lors, déclarer qu'un accusé n'est pas coupable ne veut pas nécessairement dire que la Chambre constate son innocence. Une telle décision démontre simplement que les preuves présentées au soutien de la culpabilité ne lui ont pas permis de se forger une conviction ‘au-delà de tout doute raisonnable’ [nos italiques].

L’horizon était déjà sombre et s’assombrit davantage en matière de quête de solutions relatives à la relocalisation dans un tiers État. Toutefois Mathieu Ngudjolo Chui restera-t-il confiné à La Haye ?

Le confinement à La Haye ?
Au regard de plusieurs obstacles dont quelques un ont été mentionnés ci-dessus, il n’est pas exclu que le confinement à La Haye soit l’hypothèse la plus probable pour Mathieu Ngudjolo Chui et ce, pour plusieurs raisons dont la principale est la suivante. À la lecture de l’article 48(1) de l’Accord de siège, repris par la Règle 185(1) du Règlement de procédure et de preuve (RPP), on s’aperçoit que

[l]orsqu’une personne remise à la Cour est libérée parce que la Cour n’est pas compétente, que l’affaire est irrecevable au regard des alinéas b), c) ou d) du paragraphe 1 de l’article 17 du Statut, que les charges n’ont pas été confirmées au regard de l’article 61 du Statut, que la personne a été acquittée lors du procès ou en appel, ou pour toute autre raison, la Cour prend, aussitôt que possible, les dispositions qu’elle juge appropriées pour le transfèrement de l’intéressé, en tenant compte de son avis, dans un État qui est tenu de le recevoir, dans un autre État qui l’accepte, ou encore dans un État qui a demandé son extradition avec l’assentiment de l’État qui l’a remis initialement [nos italiques].

L’expression la plus importante dans cette disposition, il me semble, c’est « aussitôt que possible ». Elle pourrait signifier que la Cour doit instamment prendre des mesures nécessaires pour le transfèrement de Mathieu Ngudjolo. Elle pourrait aussi dire qu’aussi longtemps que la Cour, en l’espèce le Greffe, ne parvient pas à trouver une solution,  Mathieu Ngudjolo reste à La Haye. Considérant la reluctance des États d’accepter des acquittés sur le territoire et la récurrence de ce problème au TPIR, il y a fort à parier qu’« aussitôt que possible » soit une période plus longue.

En définitive, quoiqu’intrinsèquement similaire, la situation de Mathieu Ngudjolo Chui, diffère de celle des acquittés du TPIR pour trois raisons non exclusives. Primo, pour le cas des tribunaux ad hoc, une simple résolution du Conseil de sécurité pourrait changer la donne. En revanche, cela diffère du contexte de la Cour pénale internationale, où toute modification du Statut de Rome – fut-elle pour inclure la relocalisation des acquittés – doit se faire par le biais d’un amendement. Secundo, l’éventail d’État est beaucoup plus restreint à la CPI qu’au TPIR où  l’obligation de coopération s’impose aux 193 États membres de l’Organisation des Nations Unies.  Cette distinction a une importance capitale puisque des acquittés du TPIR avaient identifié les États-Unis parmi les États d’accueil potentiels, ce qui vraisemblablement n’aurait pas été possible à la CPI, puisque les États-Unis ne sont pas parties au Statut de Rome. Tertio, une autre différence résulte du fait que, contrairement au TPIR qui a, en toute évidence, une durée de vie ad hoc et qui, par ailleurs, est au crépuscule de son mandat, la CPI est amenée à perdurer de manière permanente. De ce fait, cette équation y restera récurrente. En attendant que cette situation épineuse soit véritablement décantée, Mathieu Ngudjolo Chui passera éventuellement son quotidien entre la bibliothèque de la Cour et son lieu de détention, tout comme André Ntagerura au siège du TPIR. Serait-il donc un autre « Ntagerura » ? L’actualité à venir nous en dira plus.

 


[1] Je tiens à remercier Édith-Farah Elassal, Philippe Larochelle et Sébastien Chartrand pour leur apport considérable. Suivez-moi sur Twitter : @raysava. Les informations contenues dans ce billet sont à jour au  19 décembre 2012 à 14 h (GMT-5).

 

 

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