Alain-Guy Tachou Sipowo
Alain-Guy Tachou-Sipowo détient une licence et une maîtrise en droit public de l’Université de Yaoundé II au Cameroun (2005, 2006), un Master en droit international et européen des droits de l’homme de l’Université de Nantes en France (2008), un Diplôme d’études supérieures spécialisées en relations internationales, option contentieux international de l'Institut des Relations internationales du Cameroun (2008). Il a été chargé de programme d’une association camerounaise de promotion de droits de l’homme de 2003 à 2008 et a successivement travaillé à la division des affaires juridiques du ministère camerounais des Affaires étrangères, au service des affaires juridiques et de la coopération internationale de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle, au greffe du Tribunal pénal international pour le Rwanda et à la Division des victimes et des Conseils de la Cour pénale internationale. À l’automne 2008, il a rejoint l’Université Laval où il a obtenu une maîtrise en droit (2011) et termine actuellement ses études de doctorat en droit international pénal sur la question de l’impact de la confidentialité sur l’effectivité de la Cour pénale internationale. Il détient plusieurs honneurs au Canada et à l’étranger, dont la bourse John Peters Humphrey en droits de l’homme et organisations internationales du Conseil canadien de droit international (2009 et 2010) et le Diplôme de l’Académie de droit international de La Haye (2011). Il a servi comme officier de droits de l’homme à la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (2010-2011) et a régulièrement été assistant de recherche au Programme Paix et sécurité internationales de l’Institut québécois des hautes études internationales. Il est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Laval.
Note : Dans ce billet, l’auteur fait référence aux Principes sur l’investissement international pour le développement durable en Afrique, de la Société africaine pour le droit international [en anglais].
Pendant que la signature de l’accord économique commercial global (AÉCG) UE-Canada bloquait sur le système de règlement des différends dit « privé », la Société africaine pour le droit international (SADI) tenait sa cinquième conférence annuelle à Accra au Ghana sur l’Afrique, l’investissement étranger et le droit international des investissements. L’auteur revient dans les lignes qui suivent sur la déclaration de principes adoptée à l’occasion de cette conférence et soutient que ce document, bien que relevant de la soft law, démontre qu’il est possible de concilier l’intérêt privé des investisseurs à maximiser leur profit et l’intérêt public des États africains et leurs populations de se développer de manière durable.
Enjeu
L’Afrique entretient avec les investissements directs étrangers (IDE), des rapports ambigus. Les IDE ont été vendus et continuent d’être vendus aux pays africains comme la voie royale pour sortir du sous-développement. Or, leur contribution au relèvement des économies africaines et à la lutte contre la pauvreté n’est pas démontrée. Les participants à la conférence annuelle de la SADI ont souligné, statistiques à l’appui, que l’Afrique attire moins de 0,6% des IDE. Cette piètre performance serait attribuable à un environnement des affaires caractérisé par l’instabilité et l’insécurité, sur le plan juridique comme sur le plan politique. Mais à l’inverse, ils ont fustigé le jeu des investisseurs étrangers qui, tout en appelant à la réforme des cadres légaux et politiques pour favoriser la promotion et la protection des IDE, n’ont pas permis à l’Afrique de se développer. Au contraire, plusieurs conférenciers ont pointé du doigt la duplicité des sociétés multinationales et des investisseurs étrangers qui seraient à la fois responsables du retard de développement accusé par l’Afrique et de l’affaiblissement des standards de régulation et de gouvernance dans les pays africains. Ainsi, selon le professeur à l’Université de Yaoundé II et ancien président de la Commission du droit international, Maurice Kamto, qui prononçait une conférence spéciale sur le développement du droit international des investissements en Afrique, la fonction de développement de l’investissement a été trahie. Il a décrié que cette branche du droit se préoccupe davantage de renforcer la protection de l’intérêt privé des investisseurs, souvent au détriment de l’intérêt général dont fait partie, entre autres, la protection des droits de la personne.
De la durabilité de l’investissement
Les participants à la conférence annuelle de la SADI n’ont pas passé sous silence la responsabilité des États africains dans le déséquilibre des régimes internationaux et régionaux des investissements. Ils ont reconnu, de manière unanime, que les États africains ne pouvaient plus, sans critique ni remise en question, se contenter de traités d’investissement résultant de « copier-coller ». Les intervenants ont été nombreux à soutenir que les pays africains doivent recourir à l’expertise du continent et promouvoir la recherche en matière de développement durable et d’investissement. Pour eux, les conséquences du copier-coller ont été dramatiques pour les pays africains.
D’une part, le « copier-coller » de régimes d’investissement a une part importante à voir avec le déséquilibre des accords bilatéraux et autres partenariats auxquels les pays africains sont parties, notamment en ce ce qui concerne la conciliation de l’intérêt des investisseurs et ceux des États et leurs populations. Les États africains ont souvent concédé, sans contrepartie, des largesses aux investisseurs au mépris du droit à l’environnement, à la santé, à l’eau, à l’alimentation et à la sécurité de leurs populations.
D’autre part, la pratique du copier-coller est à l’origine de l’éclosion des différends d’investissement qui mettent aux prises les investisseurs étrangers et les États et au cœur desquels se trouvent souvent des enjeux de politique et d’intérêt public. En effet, parfois à la faveur de la critique de l’opinion, lorsqu’une question de politique publique est au cœur de l’investissement, l’État africain a été contraint de prendre des mesures en contradiction avec les garanties offertes aux investisseurs. Cette situation a donné lieu à de nombreux arbitrages impliquant les pays africains sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends liés aux investissements (CIRDI). Comme à l’égard de AÉCG UE-Canada, la conférence annuelle est revenue sur la question de savoir si ce mode privé de règlement des différends était approprié pour trancher des questions cruciales d’intérêt public. Dans le contexte de l’Afrique surtout, l’arbitrage est vu comme un moyen pour l’investisseur d’échapper à la régulation étatique, ce d’autant que ce moyen de règlement des litiges est parfois imposé par les institutions internationales ou par les partenaires économiques comme conditionnalité à l’aide au développement.
La préférence pour l’arbitrage, mode de règlement des différends dit « privé », parce qu’il n’est pas accessible au public et ne peut être initié que par l’investisseur, quand bien même sont abordés des questions de politique publique, ne peut plus être fondée sur la seule mauvaise gouvernance des pays africains en matière de justice et d’état de droit. Les participants ont insisté sur la nécessité de promouvoir les systèmes juridiques et politiques nationaux non seulement pour les investisseurs, mais également dans l’intérêt des populations africaines de manière générale. Plusieurs propositions ont été formulées à cet effet. Un nombre important de communications a traité d’un mouvement de remise en cause de l’arbitrage dans certains pays, l’instar de l’Afrique du Sud qui voudrait abroger l’arbitrage comme droit subjectif. D’autres communications ont abordé la possibilité de limiter la compétence matérielle des tribunaux arbitraux qui ne devraient pas, selon cette tendance, entendre des différends où des préoccupations d’intérêt public sont en cause. Enfin, d’autres propos, tout en défendant l’arbitrage, ont souligné la nécessité de revoir son fonctionnement, notamment en ouvrant son accès à d’autres parties prenantes comme les personnes, les communautés ou les États. À cet effet, les conférenciers ont évoqué les modèles naissant, notamment le système de tribunaux arbitraux envisagé dans le cadre de l’AÉCG qui prévoit la nomination et la rémunération des arbitres par les États et envisage, à terme, un système de cour permanente avec un contrôle exercé par la Cour de justice de l’Union européenne. On peut ironiser sur le fait que la signature de l’AÉCG ait bloqué sur cette question précise des mécanismes de règlement des différends quand on sait que les pays européens, dont la Belgique notamment, ont avec des États africains des traités d’investissement qui renvoient à l’arbitrage classique pour régler les différends.
Les principes de la SADI relatifs à l’investissement international pour le développement durable
Les principes adoptés à Accra sont une innovation de la SADI. Leur adoption correspond à ce qui se fait dans d’autres sociétés savantes en droit. Par leurs études, leurs recherches, ces sociétés contribuent à influencer le développement du droit international. Les principes relèvent à cet égard de la doctrine, source subsidiaire de détermination de la règle de droit international. De tels énoncés n’ont d’influence réelle qu’à raison de la réputation de ceux qui les formule. Sur ce plan, les principes de la SADI relatifs à l’investissement international pour le développement durable sont l’œuvre d’experts. Ils ont été élaborés et adoptés sous l’impulsion conjointe de l’ancien juge et vice-président de la Cour internationale de Justice, Raymond Ranjeva, et de l’ancien président de la Commission du droit international, fondateur de la SADI, Maurice Kamto. Ils se sont entourés de spécialistes du droit international économique de réputation internationale parmi lesquels Laurence Boisson de Chazournes, Diego Fernández-Arroyo, Makane Moïse Mbengue, Yenkong Hodu, Jean d’Aspremont, etc. Ayant souvent agi comme arbitres ou conseils dans des différends d’investissement, ces experts ont su faire preuve de recul pour poser un regard critique sur ce qui peut paraître comme leur chasse gardée.
Les principes sont contenus dans une déclaration dont le préambule rappelle la vision de l’Union africaine en matière d’intégration économique et de développement durable. Les auteurs inscrivent les principes dans les deux agendas de l’Union, l’agenda général 2063, consistant à réaliser l’intégration économique de l’Afrique et celui de 2030 en matière de développement durable. La suite du préambule reconnaît que l’investissement peut contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable, notamment en réduisant la pauvreté, créant la croissance, favorisant le transfert de technologie, ainsi qu’en promouvant les droits humains, le développement humain et la protection de l’environnement. Le préambule s’achève par une mise en perspective des principes et d’autres initiatives au sein de l’Union africaine, des regroupements régionaux et des Nations Unies, visant à réformer les régimes d’investissement (projet de code des investissements de l’UA).
Quant aux principes proprement dits, ils sont au nombre de quinze. Ils visent dans leur ensemble la promotion et la réalisation du développement durable. D’abord, la finalité de l’investissement est comprise comme devant inclure la réalisation du développement durable de l’Afrique (principe 1). Cette vision tranche de celle qui a toujours fait du droit de l’investissement le droit de la protection du seul investisseur. Pour les rédacteurs, le pouvoir de l’État africain de réguler l’investissement pour atteindre les objectifs du développement durable ou réaliser des politiques publiques ne doit pas être subordonné aux intérêts des investisseurs (principe 2). L’État n’accorde en conséquence des facilités à l’investisseur que pour autant que l’investissement contribue au développement durable (principe 3). Le mieux que les États puissent concéder aux investisseurs serait des accords d’investissement équilibrés (principe 5). Ils ne devraient jamais affaiblir leurs normes en matière d’environnement et d’état de droit en guise d’incitatifs aux sociétés multinationales (principe 6). En ce sens, les principes imposent un ensemble d’obligations négatives aux investisseurs dont l’interdiction ne pas corrompre les fonctionnaires publics (principe 8) et l’interdiction d’exploiter les ressources naturelles au détriment des droits et intérêts de l’État d’accueil (principe 9). Parmi leurs obligations positives, figure, outre celle de respecter les bonnes pratiques en matière de gouvernance des entreprises et de mener leurs affaires de manière responsable (principe 7), l’obligation des investisseurs de respecter les droits de l’homme proclamés dans des instruments juridiques internationaux et régionaux (principe 10).
Comme il ne saurait reposer sur les seules sociétés multinationales les objectifs du développement durable, les États sont eux aussi soumis à des obligations juridiques en lien avec l’accueil des investissements. Les principes d’Accra sont axés sur la responsabilité de l’État d’accueil et mettent un accent particulier sur la gouvernance des ses institutions politiques et juridiques dans la régulation de l’investissement. Les auteurs des principes n’ont pas de parti pris pour l’arbitrage comme mode de résolution des différends d’investissement, même s’ils reconnaissent que les politiques d’investissement devraient être fondées sur la certitude juridique, l’accès aux mécanismes de règlement des différends qui soient équitables, ouverts, transparents et susceptible de prévenir des abus (principe 11). L’État africain doit ainsi renforcer son système judiciaire dans l’intérêt de tous ses citoyens et des communautés, y compris les investisseurs (principe 15).
En somme, les principes d’Accra offrent un modèle théorique intéressant pour fonder la conciliation des droits humains et de l’investissement. Il ne reste aux États africains qu’à les traduire en normes juridiques applicables dans leurs rapports aux investisseurs étrangers.