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Recrutement d'enfants-soldats au Soudan du Sud

Patricia Laverdière

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Nom de famille: 
Laverdière
Prénom: 
Patricia

Marilyne Tremblay

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Nom de famille: 
Tremblay
Prénom: 
Marilyne

Alix Tapsoba

Guwendpulemde Alix Marie Joseph Tapsoba est titulaire d’un Master 1 en carrière internationale délivré par l’Université de Clermont-Ferrand en France et aspire à la Maîtrise en droit international et transnational de l’Université Laval.

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Nom de famille: 
Tapsoba
Prénom: 
Alix
27 June 2014

Les informations qui nous parviennent font état de tueries massives, d'exécutions extra-judiciaires, de destructions à grande échelle, de pillages et de recrutement d'enfants-soldats [1].

C’est ce qu’on pouvait lire dans un article du Journal de Montréal daté du 17 janvier dernier. Ces renseignements rapportés par le Secrétaire général-adjoint de l'ONU pour les droits de l’Homme, Ivan Simonovic, rappellent à la communauté internationale l’ampleur des drames humanitaires qui se déroulent au Soudan du Sud. C’est l’occasion pour nous de revenir dans ce billet de blogue sur la protection spéciale dont doivent bénéficier les enfants dans les situations de conflit armé, le statut des enfants-soldats et les éventuelles poursuites pénales dont ils pourraient faire l’objet.

Contexte et définition des enfants-soldats

Après 22 ans de guerre civile entre le nord et le sud du Soudan (1983-2005), la République du Soudan du Sud acquiert son indépendance en juillet 2011 (ici). Ce territoire nouvellement souverain a récemment été le théâtre de plusieurs confrontations entre l’Armée blanche, les troupes rebelles de l’ancien Vice-président Riek Machar, et les forces armées sud-soudanaises au service du Président Salva Kir. Des rivalités ancestrales entre les Nuer et les Dinka, respectivement l’ethnie du Vice-président et du Président, ont transformé la nature du conflit qui est désormais également à caractère ethnique. Bien que les affrontements n’aient commencé qu’en 2013, le degré d’organisation des différents protagonistes et l’intensité des combats portent à croire qu’ils peuvent déjà être qualifiés de conflit armé non-international (CANI).

L’article mentionné ci-haut fait état également de nombreux enfants-soldats recrutés par l'Armée blanche, constituée de membres appartenant à l’ethnie Nuer. Ainsi en droit international humanitaire (DIH), dans ce cas précis, ces enfants sont considérés comme appartenant à un groupe armé partie à un CANI.  

C’est dans cette optique que la question suivante s’est révélée pertinente : dans la situation sévissant au Sud-Soudan, quels sont, en DIH, le statut légal, la protection offerte ainsi que les possibilités de poursuites pénales concernant des enfants-soldats recrutés par un groupe armé et devant combattre ?

Il est important de s’interroger sur ce phénomène car il n’est pas exclusif au conflit du Sud-Soudan. Le recrutement d’enfants-soldats est un phénomène fréquent, comme il a été possible de le constater dans l’actualité, avec, notamment, le procès de Lubanga (ici) à la Cour pénale internationale sur le recrutement de nombreux enfants en Centrafrique ainsi qu’avec la situation actuelle en Syrie (ici).

Protection spéciale des enfants

Premièrement, il faut préciser que le recrutement des enfants pour en faire des soldats est expressément interdit par le DIH, comme le mentionnent les règles coutumières 135 à 137 établies par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 2005[2] ainsi que l’article 4, paragraphe 3, du Protocole additionnel II de 1977 (PA II).  Il est à noter que le Soudan du Sud est partie au PA II ainsi qu’aux Conventions de Genève de 1949 depuis le 1er janvier 2013 (ici). À l’alinéa c) de l’article 4, paragraphe 3, du PA II, il est clairement indiqué que « les enfants de moins de quinze ans [limite d’âge qui a été augmentée aux moins de 18 ans à l’article 38 de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989[3]] ne devront pas être recrutés dans les forces ou groupes armés, ni être autorisés à prendre part aux hostilités » (ici). Cette disposition, qui est également présente dans le droit coutumier, indique que le recrutement d’enfants-soldats par l’Armée blanche est une violation du DIH[4] et des droits de l’enfant et pourrait même être considéré comme un crime de guerre.

Malgré cette interdiction, les enfants-soldats constituent malheureusement une réalité. Cependant, ces enfants bénéficient d’une protection spéciale en DIH. À l’article 4 du PA II, à l’alinéa d), on mentionne que « [la] protection spéciale prévue par le présent article pour les enfants de moins de quinze ans leur restera applicable s'ils prennent directement part aux hostilités, en dépit des dispositions de l'alinéa c, et sont capturés » (ici) .

Statut juridique des enfant-soldats

Mais qu’en est-il donc du statut juridique des enfants-soldats en DIH lorsqu’ils sont recrutés de force dans un groupe armé : combattants ou civils ? Dans le cas d’un conflit armé international (CAI), selon certains experts en la matière, comme Marco Sassoli, si les enfants-soldats sont membres de forces armées malgré les interdictions, ils bénéficient aussi des statuts de combattants et de prisonniers de guerre[5].

Pour ce qui est d’un CANI, comme c’est le cas au Sud-Soudan, la situation est toute autre. Étant donné que ces enfants participent directement au conflit en tant que membres d’un groupe armé s’opposant aux forces gouvernementales et qu’il n’existe pas de « quasi-combattant » en DIH[6], il est possible de conclure qu’ils ont le statut de civils participant directement au conflit. L’important est de savoir qu’en DIH, les civils qui participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation perdent leur protection contre les attaques et cela est clairement exprimé à la règle coutumière 6 établie par le CICR en 2005[7].

M. Sassoli ajoute, dans son ouvrage « Un droit dans la guerre? », que le caractère préférentiel accordé aux enfants en DIH les protège du simple fait qu’ils puissent être visés lorsqu’ils participent au combat et pendant la durée de cette participation. Cependant, l’auteur souligne également qu’

il semble irréaliste que les parties acceptent de ne pas prendre pour cibles ces ennemis armés. Le principe de la nécessité militaire, qui restreint la violence même contre des cibles légitimes, devrait, au moins dans ce cas, exiger que, dans toute la mesure du possible, on arrête ces enfants au lieu de les tuer[8].

Il est, en effet, très improbable que les soldats des forces armées sud-soudanaises prennent le temps de demander l’âge de leurs opposants avant de se défendre ou d’attaquer des membres de l’Armée blanche. Par contre, étant donné leur désir de respecter les règles du DIH, comme le démontre leur adhésion aux Conventions de Genève et aux Protocoles additionnels, il est important qu’une fois détenu par les autorités, les enfants-soldats soient distingués des autres membres des groupes armées étant donné leur protection spéciale.

Poursuites pénales 

Ceci soulève un autre problème juridique. En effet, en tant que civils participant au conflit, ces enfants-soldats, malgré leur protection spéciale, pourraient se faire poursuivre par les tribunaux nationaux et être punis selon la législation nationale pour le simple fait d’avoir participé aux hostilités contre leur propre pays ou pour les crimes qu’ils ont commis dans un CANI contre les forces gouvernementales ou d’autres civils.

La particularité de certains de ces enfants-soldats recrutés par un groupe armé est que bien souvent ils peuvent avoir été conscrits et donc obligés à combattre, ce qui implique qu’ils ont probablement subi des atrocités, des préjudices mentaux et physiques. Toutefois, ils ont commis eux aussi des crimes, souvent sous la menace, mais il reste difficile de trancher si, une fois détenus par les forces ennemies, ces enfants doivent être traités comme des victimes ou des criminels.

En DIH, l’article 6, paragraphe 5, du PA II édicte qu’« à la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé » (ici). Selon cette disposition, et en vertu d’autres dispositions pertinentes du droit international, dont celles contenues à la Convention relative aux droits de l’enfant, les autorités sud-soudanaises en place à la fin du conflit pourraient envisager d’accorder une amnistie aux enfants-soldats recrutés par l’Armée blanche et particulièrement à ceux recrutés de force qui ont été obligés à combattre.

Dans cette optique, les autorités nationales et leurs tribunaux pourraient, à la fin d’un CANI, que ce soit au Soudan du Sud, en Centrafrique ou en Syrie, faire preuve d’indulgence et ne pas poursuivre les enfants-soldats pour des crimes qu’ils ont été contraints de commettre. Ils devraient plutôt leur rendre leur liberté tout en leur offrant, dans la mesure du possible, toute l’aide nécessaire au rétablissement physique et mental des victimes de crimes de guerre.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


[1] AFP, 2014, « Soudan du Sud : L’ONU dénonce l’enrôlement d’enfants-soldats, l’armée perd le contact avec Malakal ».  Journal de Montréal (Montréal),  17 janvier, [En ligne ] http://www.journaldemontreal.com/2014/01/17/soudan-du-sud-lonu-denonce-lenrolement-denfants-soldats--larmee-perd-le-contact-avec-Malakal (consulté le 1er février 2014).

[2] HENCKAERTS, Jean-Marie, « Étude sur le droit international humanitaire coutumier. Une contribution à la compréhension et au respect du droit des conflits armés », Revue internationale de la Croix Rouge, volume 87, 2005, p. 288-230.

[3]  SASSOLI (M), BOUVIER (A), QUITIN (A), Un droit dans la guerre?, CICR, Genève, 2012, p.9

[4] HENCKAERTS, Jean-Marie, Op. cit.

[5]Supra, note 3, à la p.9

[6] Ibid, à la p.8.

[7]Supra, note 2.

[8] Supra, note 3, à la p.10