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Crimes de guerre en Syrie : Quelle justice ?

Cécilia Foissard

Cécilia Foissard est titulaire d’une licence de droit public interne et international délivrée par l’Université de Nice Sophia Antipolis. Après un échange à l’Université Laval à sa première année de maitrise en droit international et transnational, elle a décidé d’y poursuivre la fin de son cursus universitaire. À la session d’hiver 2013, elle a été recrutée par la Clinique de droit international pénal et humanitaire et a contribué à la rédaction d’un rapport pour l’organisation non-gouvernementale Peace and Justice Initiative analysant la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale au Mali. Elle participera à l’édition 2014 du Concours de procès simulé en droit international Charles-Rousseau. 

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Nom de famille: 
Foissard
Prénom: 
Cécilia
14 October 2013

C'est avec le cœur lourd que je soumets au Conseil de sécurité le rapport de la Mission des Nations Unies en charge de l'enquête sur les allégations de l'utilisation des armes chimiques sur l'incident qui s'est produit le 21 août 2013 dans le quartier de la Ghouta à Damas. 

-Ban Ki Moon

Depuis mars 2011, la Syrie est le théâtre d’un conflit qui ne tarit pas. L’escalade de la violence et la multiplication des crimes à l’encontre de la population civile ne semblent cesser, bien au contraire. Malgré de nombreux signaux d’alarme, la réaction de la communauté internationale a été lente et semée d’embûches. Pourtant, un événement moteur a la capacité de changer la donne et rendre possible une intervention imminente. Il s’agit des attaques du 21 août 2013 faites à l’aide d’armes chimiques. Or, ces armements sont prohibés par le droit international humanitaire. C’est ainsi que leur utilisation à l’encontre des civils a rendu impératif la mise en place d’une commission d’experts onusiens chargés de mener des investigations sur le terrain. Les faits parlant d’eux mêmes, une réaction de la communauté internationale est impérieuse. La Cour pénale internationale (CPI) constitue une issue potentielle et favorable pour rendre justice aux victimes. Mais sa saisine se heurte à de nombreux problèmes politiques.

Les faits

De nombreuses allégations concernant la potentielle commission de crime de guerre ce 21 août a rendu nécessaire la constitution d’un organe chargé de mener une enquête sur le terrain, en Syrie. C’est le dessein de la Commission d’experts des Nations Unies, envoyés dans la région de la Ghouta sur le lieu de la commission des crimes de guerre. Les investigations et observations  ont été répertoriées dans un rapport. Selon les termes de celui-ci :

The Secretary-General decided to establish the UN Mission to Investigate Allegations of the Use of Chemical Weapons in the Syrian Arab Republic […]. The purpose of this Mission is to ascertain the facts related to the allegations of use of chemical weapons and to gather relevant data and undertake the necessary analyses for this purpose and to deliver a report to the Secretary-General (à la p. 1 du rapport).

Il est apparu que les indices trouvés par les experts en charge d’enquêter sont troublants. Et le constat est sans appel. Les symptômes des victimes sont en tous points révélateurs et tendent à corroborer l’hypothèse selon laquelle des armes prohibées ont été utilisées : « Victims consistently showed symptoms including suffocation; constricted, irregular, and infrequent breathing; involuntary muscle spasms; nausea; frothing at the mouth; fluid coming out of noses and eyes; convulsing; dizziness; blurred vision; and red and irritated eyes, and pin-point pupils ». 

Le rapport, sur la base d’analyses, de témoignages et d’observations a ainsi conclu à l’utilisation d’armes chimiques. Il énonce ainsi : « On the basis of the evidence obtained during our investigations of the Ghouta incident the conclusions is that, on 21 August 2013, chemical weapons have been used in the ongoing conflict between the parties in the Syrian Arab Republic, also against civilians, including children, on a relatively large scale (à la p. 5 du rapport).

Pour conforter ces observations, la commission d’enquête des NU a annoncé vouloir réitérer les investigations, probablement pour trouver davantage de preuves. À cet égard, Aake Sellström, chef des inspecteurs en charge de l’affaire, a déclaré vouloir retourner en Syrie. Il a par ailleurs ajouté : « Notre calendrier n'est pas encore établi, donc je ne peux pas dire quand, mais ce sera bientôt ».  

Les allégations de crimes de guerre

Juridiquement, ces faits sont constitutifs de crimes de guerre au regard de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et leur destruction, du Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques ainsi que du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (« Statut de Rome »). Ce qui est paradoxal, c’est que la Syrie est partie à ces traités, à l’exception du Statut de Rome.

La commission de tels crimes rend impérieux une saisine de la CPI. Cette dernière  dispose par ailleurs de la compétence matérielle pour connaître de la situation, conformément à l’article 8 du Statut de Rome. Cette idée a déjà été avancée par certains membres du gouvernement français tel Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. Il a suggéré la mise sur pied d’une résolution du CSNU visant à saisir la CPI, conformément à l’article 12 du Statut de Rome. Il en va de même pour Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale à Human Rights Watch. Celui-ci a par ailleurs affirmé que « [p]lacer les armes chimiques sous contrôle international sans poursuivre en justice les responsables de leur utilisation serait un affront à la mémoire des civils tués par ces armes ».  La volonté de saisir la CPI est donc forte. Néanmoins, à ce jour, l’espoir de voir un jour la justice saisie de la situation en Syrie est encore illusoire. Les conditions juridiques à réunir pour sa saisine font encore défaut.

Les freins à la mise en œuvre de la justice internationale

Il s’avère que la commission de crimes de guerre devrait rendre impératif la saisine de la CPI. Pourtant, même si l’apport de la justice internationale semble être la solution, il va de soi qu’elle n’est pas la plus aisée à mettre en œuvre. Et pour cause, un adversaire de taille conteste vigoureusement cette initiative : la Russie. En effet, Moscou considère cette hypothèse comme étant inopportune et contreproductive.

Par ailleurs la Syrie ne reconnaît pas la compétence de la CPI car elle n’est pas partie au Statut de Rome. Mais, une autre possibilité existe, celle de l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité (CSNU) en vertu du chapitre VII visant à déférer une situation d’un État non partie à la CPI conformément à l’article 13(b) du Statut de Rome. Toutefois, lorsqu’une décision est prise par cet organe, il faut rassembler 9 voix sur 15 et aucun veto de la part des cinq membres permanents, soit la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie. Si un seul d’entre eux pose un veto, la résolution ne peut être votée. Dans cette situation, la Russie, partenaire politique de Bachar Al Assad, ne donnera pas son accord pour adopter une résolution invoquant le chapitre VII qui autoriserait, d’une part, une intervention militairement, ou, d’autre part, la saisine de la CPI. 

Ce système comporte ainsi certaines failles. Ce qui est constatable, c’est de voir à quel point l’organe politique qu’est le CSNU a un poids important dans la mise en œuvre de la justice pénale internationale, au détriment – souvent – des victimes. Ce système va à rebours de la vocation première de la CPI : celle de rendre justice. À cet égard, les mots de Richard Dicker sont significatifs : « Le monde ne deviendra un endroit plus sûr que lorsque ceux qui gazent des enfants pendant leur sommeil ou commettent d’autres atrocités devront rendre des comptes ».

Conclusion 

D’après les dires de Dicker, tout espoir de rendre justice aux victimes ne serait pas totalement vain. En effet, il demande à ce que justice soit faite, qu’aucun de ces crimes ne soit ignoré de la compétence de la CPI. Pourtant, cette saisine reste-elle possible ? Aiguiserait-elle le conflit ? Serait-elle susceptible d’ouvrir la voie à la paix ? Ou seule l’issue du conflit armé pourra déterminer s’il y aura une justice internationale pour les crimes commis ? Ces questions restent en suspens et constituent des débats sans fin.

En réalité, tout dépend de l’ampleur du conflit et des acteurs impliqués. Chaque conflit armé est différent et l’impact de la justice appliquée dans l’objectif de ramener la paix reste incertain.

La voie vers la justice internationale ne doit aucunement avoir pour but d’embraser le conflit armé. La responsable du bureau Justice internationale de la Fédération internationale des droits de l’Homme, Karine Bonneau, ajoute aussi un élément important à la réflexion en considérant que, dans cette situation, la CPI pourrait offrir un rôle préventif contre de futurs crimes. Néanmoins, une saisine de la CPI n’arrêtera pas le conflit en Syrie.

La justice ne semble donc pas être un palliatif assez puissant pour apporter la paix. Néanmoins, une chose est certaine : c’est que la paix n’existe pas sans la justice.

Malgré tout, les discussions ont commencé le 24 septembre dernier. À la suite de ces discussions, un consensus a été établi. En effet, le CSNU a trouvé un accord pour éliminer les armes chimiques de Syrie et a approuvé un processus de paix. Néanmoins, cet accord est de loin satisfaisant. L’élimination de l’arsenal chimique est un début, certes. Mais, parallèlement, la nécessité de saisine de la CPI a été ignorée.

Par ailleurs, cette résolution n’est-elle pas un faux problème ? Ne fait-elle pas que réitérer une interdiction déjà connue en droit international ? Il est vrai que la résolution agit au nom de la paix et de la sécurité internationales afin d’éviter que d’autres crimes ne soient commis. Le CSNU a donc agit pour prévenir d’éventuelles répétitions des crimes commis. Toutefois, il ne s’est pas soucié de ceux qui résultent de l’utilisation de ces armes, du moins en opérant une saisine en bonne et due forme de la CPI. Sans compter les autres atteintes graves commises à l’encontre de la population depuis bientôt deux ans. Si la communauté internationale semble les omettre, les victimes, elles, n’ont pas oublié. 

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[1] Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques. 

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