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La destruction des mausolées au Mali

Roger Kodje Agode

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Nom de famille: 
Kodje Agode
Prénom: 
Roger

Marie-Hélène Arseneault

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Arseneault
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Marie-Hélène

Samia Benmou

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Nom de famille: 
Benmou
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Samia
29 May 2014

 

Depuis quelques années, le Mali fait face à une crise politique où différents groupes armés se disputent le nord du territoire. ​Le 22 mars 2012, le gouvernement malien est renversé et accusé de ne pas avoir su comment gérer le conflit. Une semaine après le coup d’État, alors que le pouvoir militaire en place est très fortement critiqué, les rebelles s’emparent des principales villes du Nord Mali et y appliquent la loi islamique (charia). Parmi les groupes rebelles présents, on retrouve le groupe malien Ansar Dine, c’est-à-dire les « défenseurs de l’Islam », appuyé par Al-Qaïda au Maghreb islamique, qui, depuis le printemps 2012, s'adonne à une série d’actes profanatoires ayant pour but de détruire la totalité des mausolées se trouvant à Tombouctou. Ces mausolées font partie du patrimoine mondial depuis 1988 et sont des éléments riches d'histoire et de culture, le plus ancien étant celui de Cheikh Abul Kassim Attouaty, décédé en 1529. Ces destructions ont amené l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) à inscrire le site sur la Liste du patrimoine mondial en péril le 28 juin 2012. L’UNESCO s’inquiète également pour les 300 000 manuscrits anciens datant du 13e au 16e siècle.

La situation malienne répond aux critères du conflit armé non international et, par conséquent, les biens culturels bénéficient d’une certaine protection. Dans le présent article, il sera fait état de la situation malienne en relation avec la notion de bien culturel, de la protection juridique qui leur est accordée en cas de conflit armé (y compris la notion de « l'exception de la nécessité militaire ») ainsi que de la répression des infractions du point de vue de la responsabilité pénale individuelle.

LA PROTECTION LÉGALE ET LA RÉPRESSION DES INFRACTIONS CONTRE LES BIENS CULTURELS EN CAS DE CONFLIT ARMÉ

En droit international des conflits armés, la protection spécifique des biens culturels remonte au XIXe siècle. Les articles 27 et 56 des Règlements de la Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907, annexés aux Conventions II et IV concernant les lois et coutume de la guerre sur terre, l'article 5 de la Convention (IX) de La Haye concernant le bombardement des forces navales en temps de guerre du 18 octobre 1907 et le Pacte Roerich adopté à Washington le 15 avril 1935 dans le cadre de l'Union panaméricaine, sont des dispositions qui règlent la matière. Il convient de signaler que le Pacte Roerich, (du nom de son inspirateur Nicholas C. Roerich) est un traité pour la protection des institutions artistiques et scientifiques et des monuments historiques.

Cependant, le système de la Convention de la Haye de 1954 constitue le corpus législatif le plus important. Il convient de signaler que cette convention s’accompagne d’un Protocole facultatif qui a été institué pour empêcher l'exportation des biens culturels des territoires occupés et garantir leur restitution à la fin des hostilités. Adopté en même temps que la Convention, le 14 mai 1954, le Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé est aussi connu sous le nom de « Premier protocole ».

Le Deuxième protocole relatif à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé a été adopté le 26 mars 1999. Il a été élaboré sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies pour la science et la culture (UNESCO) et se caractérise par l'intégration de l'évolution du droit international humanitaire et du droit relatif à la protection du patrimoine culturel, selon Vittorio Mainetti, un expert international dans le domaine. Lors du processus d’élaboration du Deuxième protocole, cinq points ont été examinés, soit :

  1. la définition des mesures préventives;
  2. une meilleure définition de l'exception de la nécessité militaire;
  3. la revitalisation du système de la protection spéciale;
  4. la répression des infractions et la mise au point d'un système de sanctions en cas de violations graves (responsabilité pénale de l'individu et compétence);
  5. la révision du système de contrôle de la mise en œuvre des obligations conventionnelles et la définition des structures permanentes chargées de ce contrôle (dans ses aspects institutionnels).

L'une des innovations de ce Deuxième protocole est qu'il prévoit, à son article 19, l'entraide judiciaire la plus large possible pour les investigations ou les procédures pénales ou d'extraditions relatives aux violations graves de ce protocole, et qu'il s'applique entièrement en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international sur le territoire de l'un des États Parties. L'autre innovation étant le renforcement du système de protection des biens culturels, sous réserve qu'ils soient protégés par des mesures internes et qu'ils ne soient pas utilisés, d'une manière ou d'une autre, à des fins militaires (article 11).

  1. L'exception de la nécessité militaire

Cette notion découle de l'application de la notion d'objectif militaire au bien culturel. Le Protocole additionnel I de 1977 relatif aux Conventions de Genève définit l'objectif militaire comme « un objet qui, par sa nature, son emplacement, sa destination ou son utilisation, apporte une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis ». En d'autres termes, les biens culturels ne doivent pas être utilisés, en principe, à des fins militaires (article 52 du Protocole additionnel I de 1977 relatif aux Conventions de Genève). Cette règle impose aux belligérants des obligations aussi bien actives que passives dans la conduite des hostilités. Les premières sont les précautions à prendre lorsqu'on procède à une attaque (article 8 du Deuxième protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et Deuxième protocole relatif à la convention de la Haye de 1954) tandis que les deuxièmes sont celles qu'on doit prendre contre les effets d'une attaque ennemie (article 9 de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé). Pour l'expert Vittorio Mainetti, « la clause de la nécessité militaire est une dérogation au principe du respect des biens culturels, cependant, cette dérogation doit obéir à deux conditions cumulatives ». L'article 6 du Deuxième protocole relatif à la convention de la Haye de 1954 les définit en ces termes :

une dérogation sur le fondement d’une «nécessité militaire impérative […] ne peut être invoquée pour diriger un acte d’hostilité contre un bien culturel que lorsque et aussi longtemps que: 1) ce bien, par sa fonction, a été transformé en objectif militaire, et 2) il n’existe pas d’autre solution pratiquement possible pour obtenir un avantage militaire équivalent à celui qui est offert par le fait de diriger un acte d’hostilité contre cet objectif.

Le Deuxième protocole relatif à la convention de la Haye de 1954 prévoit également un système de protection renforcée des biens culturels, ce qui est une avancée par rapport à la protection spéciale prévue par la Convention. À cet égard, Vittorio Mainetti relève que « la protection spéciale était envisagée pour une catégorie restreinte de biens inscrits dans un Registre international des biens culturels sous protection spéciale tandis que le système de la protection renforcée est appelé à s'appliquer aux biens culturels inscrits sur une liste - la Liste des biens culturels sous protection renforcée - qui sera gérée par un organe intergouvernemental »[1].

  1. La nature de la responsabilité et la question de la compétence

L’un des plus importants apports du Deuxième protocole à la Convention de la Haye de 1954 est la criminalisation de certains comportements (qualifiés de « violations graves ») et la mise en place d’un système de répression des violations. Si la Convention envisage, dans son article 28, des sanctions plutôt vagues dans ces termes : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre, dans le cadre de leur système de droit pénal, toutes mesures nécessaires pour que soient recherchées et frappées de sanctions pénales ou disciplinaires les personnes, quelle que soit leur nationalité, qui ont commis ou donné l'ordre de commettre une infraction à la présente Convention », le chapitre IV de son Deuxième Protocole prévoit les violations graves (article 15) et les autres infractions (article 21). Les infractions graves sont définies par l'article 15 du Deuxième protocole  à la convention de la Haye de 1954 :

a) faire d’un bien culturel sous protection renforcée l’objet d’une attaque ;b) utiliser un bien sous protection renforcée ou ses abords immédiats à l’appui d'une action militaire; c) détruire ou s’approprier sur une grande échelle des biens protégés par la Convention de La Haye de 1954 et le Deuxième Protocole; d) faire d’un bien culturel couvert par la Convention de La Haye de 1954 et le Deuxième Protocole l’objet d’une attaque; le vol, le pillage et le détournement et les actes de vandalisme dirigés contre les biens culturels protégés par la Convention de La Haye de 1954.

En plus de ces infractions, l'article 21 énumère une autre catégorie d'infractions qui n’entraînent pas nécessairement une responsabilité pénale de l’auteur. À cet égard, il y est mentionné :

a) toute utilisation de biens culturels en violation de la Convention et du Protocole et; b) toute exportation, autre déplacement ou transfert de propriété illicites de biens culturels depuis un territoire occupé, en violation de la Convention ou du Protocole.

Quant à l'État, il est tenu de réparer toute violation de l'obligation de respecter les biens culturels (art. 38 du Deuxième protocole à la convention de la Haye de 1954). Quant à la responsabilité pénale individuelle, les juridictions internes aux Hautes parties contractantes sont compétentes pour juger l'auteur des infractions passibles de peines pénales, quelle que soit sa nationalité (art. 28 précité de la Convention).

  1. La jurisprudence en matière de répression des infractions contre les biens culturels en période de conflit armée

Le procès d’Alfred Rosenberg, du nom du responsable d'un centre culturel sous le régime Nazi, parait être le premier des temps modernes en matière de répression des crimes contre les biens culturels. Il lui était reproché, entre autres, « d'avoir organisé, au cours de la deuxième guerre mondiale le pillage de musées et de bibliothèques, des œuvres d’art que les Nazis ont considéré comme de [l']art dégénéré ». Ayant été le responsable du groupe qui a détruit les biens culturels et confisqué des œuvres d’art et de collections publiques et privées,  il a comparu pour crimes de guerre devant le Tribunal international militaire de Nuremberg qui l'a condamné à la pendaison, sentence exécutée le 16 octobre 1946.

Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) également a rendu une série de décisions concernant la destruction des biens culturels en Bosnie-Herzégovine, notamment dans l'affaire Le Procureur c. Dusko Tadic, ou encore concernant « la destruction ou l'endommagement délibéré des biens culturels » aux termes des articles 3(D) et 7(3) du Statut du TPIY dans l'affaire Le Procureur c . Pavle Strugar . L'enquête ouverte par la Procureure de la Cour pénale internationale au Mali, à la suite de la destruction des biens culturels dont certains relèvent du patrimoine mondial, conforte la tendance à la protection de ces biens dans la mesure où elle aboutira au jugement des auteurs de ces infractions conformément à l'article 8(2)b-ii du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) .

Le 15 novembre 2012, le Mali a ratifié le Deuxième protocole relatif à la Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Il convient de signaler que l'État malien est partie aux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 (dont l’article 16 du Protocole II), également applicables en la matière, depuis le 8 février 1989. Quant aux biens culturels détruits, en l'espèce les mausolées de Tombouctou, ils ont été inscrits au Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1988 et bénéficient de ce fait de son régime de protection renforcée prévu à l'article 12 du Deuxième protocole  relatif à la Convention de la Haye de 1954.

En raison de la gravité des actes (destruction, pillage et vandalisme) dirigés contre les mausolées, leurs auteurs tombent sous le coup de l'article 15 du Protocole qui prévoit la poursuite pénale par les juridictions internes de l'État partie. Au cas où les instances judiciaires maliennes n'auraient pas la capacité de poursuivre les auteurs qui résideraient sur le territoire de cet État, la poursuite déjà engagée par la Cour pénale internationale en vertu du principe de complémentarité devra bénéficier de la coopération du Mali et des autres États parties sur le territoire desquels ces auteurs trouveraient refuge. Dans cette hypothèse, à défaut de les juger, ces États devront extrader les auteurs vers toute juridiction susceptible de les juger, conformément à l'article 18 du Protocole. Ainsi, au-delà de la protection renforcée conventionnelle dont pourraient bénéficier d'autres sites ayant valeur de patrimoine culturel, l'action judiciaire dans le cas d'espèce servirait de mesure dissuasive. Les biens culturels profiteraient donc d'un niveau de protection de plus. 

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


[1] Pour des détails sur cette question, voir Vittorio Mainetti, « De nouvelles perspectives pour la protection des biens culturels en cas de conflit armés : l'entrée en vigueur du Deuxième Protocole relatif à la Convention de la Haye de 1954 » (2004) 86: 854 RICR 337 à la p 354. 

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