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La responsabilité pénale de Pascal Simbikangwa : complicité de crimes contre l’humanité et de génocide… crimes contre l’humanité et génocide, qui dit mieux ?

Fabrice Bousquet

Fabrice Bousquet est doctorant en droit à l’Université Laval depuis 2013. Son sujet de recherche - à la croisée du droit pénal international, du droit pénal comparé et des droits de l’homme - s’intitule : « Améliorer l’efficience du modèle procédural de la Cour pénale internationale, sous les lumières d’une étude comparative (Allemagne, Angleterre, Canada, France). L’essence du juge d’instruction comme source d’inspiration ? »

Il est diplômé d’une Licence de gestion de l’Institut d’administration des entreprises de Toulouse ainsi que d’une Licence en droit et d’un Master 2 droit pénal et sciences criminelles de la Faculté de droit de Toulouse. Une visite d’études de deux mois au sein de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et deux stages, six mois au sein du Bureau du conseil public pour la défense de la Cour pénale internationale (CPI) et six mois au Bureau de la défense (puis de l’équipe de défense de M. Oneissi) du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), ont complété ses études. Il a également travaillé, à travers la Clinique de droit international pénal et humanitaire (CDIPH), pour le respect des droits des victimes du génocide cambodgiens et celles du dictateur Hissène Habré au Tchad.

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Nom de famille: 
Bousquet
Prénom: 
Fabrice
14 March 2014

- À jour du 13 mars 2014, avant le prononcé du verdict - 

Le procès de M. Pascal Simbikangwa a débuté en France le 4 février 2014. Après six semaines d’audiences devant la cour d’assises de Paris, le verdict sera rendu le 14 mars 2014. Le présent billet n’a cependant pas pour objet de revenir sur le déroulement de ce procès, le premier en France ouvert pour juger de faits allégués lors du génocide rwandais. Son objet est de s’attarder sur une particularité du droit français qui peut sembler étrange, voire incompréhensible, à des observateurs étrangers. Il s’agit de la requalification des faits.

M. Pascal Simbikangwa a été mis en accusation devant la cour d’assises de Paris pour complicité de génocide et autres crimes contre l’humanité[1]. Cette mise en accusation a été décidée par les juges d’instruction en charge du dossier, conformément à l’article 181 du Code de procédure pénal français. Le 12 mars 2013, lors de ses réquisitions orales et finales à l’audience, le représentant du ministère public a cependant requis la condamnation de l’accusé à la perpétuité, pour génocide et non plus pour complicité de génocide[2]. Un juriste de formation de droit anglo-saxon s’étonnera que le mode de responsabilité reproché à l’accusé puisse faire l’objet d’une telle requalification, à l’audience même.

C’est qu’en droit français, les juridictions d’instruction et les juridictions de jugement, peu importe le type d’infraction, ne sont précisément pas saisies d’une infraction en particulier. Elles sont saisies in rem, c’est-à-dire des faits matériels et non de leur qualification juridique. Ainsi, les juges d’instruction, saisis par le procureur de la République ou par la victime, sont libres de renvoyer l’accusé devant la juridiction de jugement, sur la qualification qui leur semble la plus appropriée. De même, les juges du fond ont tout pouvoir de requalification sur les faits qui leur sont soumis. Leur rôle est justement d’examiner les faits sous toutes les qualifications juridiques possibles.

Deux limites s’imposent cependant à eux[3]. D’abord, ils ne peuvent pas modifier la teneur des faits se trouvant dans l’acte de saisine. Ensuite, et surtout, cette requalification doit respecter les droits de la défense. Comment ? La réponse à cette question et cette exigence ont été développées sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment dans l’arrêt de Grande chambre Pélissier et Sassi c. France (n° 25444/94, CEDH 1999-II). La problématique se situe eu égard au droit de l’accusé à un procès équitable. Plus précisément, sont en jeu le droit de l’accusé d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui[4] et son droit de préparer sa défense[5]. Le premier donne droit à l’accusé « d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, […] d’une manière détaillée »[6]. Ce premier droit doit être envisagé à la lumière du second[7].

La requalification des faits par les juges n’est, pour autant, pas inadmissible par nature. Elle n’est cependant possible que si l’accusé a eu une connaissance suffisante de la possibilité d’une telle requalification. L’arrêt précité donne des indications quant aux éléments importants pour savoir si cette requalification est compatible avec le droit à un procès équitable. Tout d’abord, la CEDH s’est intéressée à savoir si le juge d’instruction avait envisagé la qualification alternative[8]. Ensuite, elle a regardé si les écritures des parties et les débats avaient porté sur celle-ci[9]. Elle a également tenu compte du fait que les juges du fond ou le représentant du ministère public ont évoqué ou relevé, ou non, cette possibilité de requalification[10]. En l’espèce, la CEDH n’a été satisfaite sur aucun de ces points. Enfin, elle s’est intéressée à la nature de la requalification, c’est-à-dire à la différence des éléments constitutifs entre l’infraction originellement reprochée et celle finalement retenue. En l’espèce, il s’agissait d’une requalification du mode de responsabilité d’auteur à complice. La CEDH a estimé cette requalification conséquente, dans la mesure où l’accusé aurait pu invoquer des moyens de défense différents, puisque mettant en jeu des éléments constitutifs différents[11]. Elle a conclu à la violation du droit de l’accusé à un procès équitable. On comprend dès lors, dans l’affaire Simbikangwa, l’insistance du procureur, au cours du procès, à souligner la responsabilité de l’accusé en tant qu’auteur des faits reprochés, et non simple complice.

Le procureur reproche en définitive à l’accusé d’avoir été un instigateur du génocide. Ce mode de responsabilité peut dérouter, cette fois, les juristes français. En effet, traditionnellement en droit français, l’instigation est une modalité de la complicité[12]. Pourquoi vouloir obtenir une condamnation de l’accusé en tant qu’auteur ? C’est que le législateur français a jugé l’instigation de génocide aussi grave que sa commission directe. Ainsi, le Code pénal français, par son article 211-1, a érigé l’instigation, pour le génocide, en mode de responsabilité principale :

Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants […] [nos soulignés].

Il reviendra aux trois juges professionnels et aux six jurés de se prononcer[13].

 

 

 

[1] Selon le code pénal français, le génocide est considéré comme un crime contre l’humanité, le plus grave existant (voir les articles 211-1 et 212-1 du Code pénal français).

[2] Il n’est pas clair si le ministère public a également demandé une requalification semblable pour les autres crimes contre l’humanité reprochés.

[3] Il existe également en matière de droit de la consommation et de droit de la presse certaines limites à la requalification.

[4] Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, STCE n° 005, Rome, 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 [CSDH], art. 6(3)(a).

[5] Ibid., art. 6(3)(b).

[6] Pélissier et Sassi c. France, [GC], n° 25444/94, CEDH 1999-II, par. 51.

[7] Ibid., par. 54.

[8] Ibid., par. 55.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid., par. 58-60.

[12] Voir l’article 121-7 al. 2 du Code pénal français.

[13] En droit français, contrairement au droit canadien, les juges professionnels et les jurés se prononcent sur le fond de l’affaire.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

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