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Jacques Mungwarere et son procès au Canada

Janine Lespérance

Janine Lespérance est une étudiante en dernière année du programme conjoint MA/JD offert par le Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton, et la Faculté de Droit, Section de common law, de l'Université d'Ottawa. Récemment, elle a reçu une bourse de stage pour l'avancement de l'intérêt public de l'Université d'Ottawa, pour appuyer son travail avec Amnistie internationale Canada (anglophone) et le Centre canadien pour la justice internationale (CCJI). Elle a observé le procès de Jacques Mungwarere pour le CCJI entre mai et juillet 2012. Consultez son profil LinkedIn. 

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Nom de famille: 
Lespérance
Prénom: 
Janine
16 November 2012

 

Le printemps dernier, le procès pénal de Jacques Mungwarere a débuté au palais de justice d’Ottawa. Ce Rwandais d’origine, arrêté en 2009 à Windsor, en Ontario, n’est que la deuxième personne à être accusée au Canada en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Il est accusé de génocide et de crimes contre l’humanité pour les meurtres de membres de l’ethnie tutsie dans l’ancienne préfecture de Kibuye, au Rwanda, pendant le génocide de 1994.

J’ai assisté aux audiences de la Cour entre le 28 mai et le 23 juillet 2012 en tant qu’observatrice pour le Centre canadien pour la justice internationale. J’ai entendu tous les témoins de la Couronne : un expert américain sur le contexte historique et politique du Rwanda, trois enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») et huit témoins rwandais. Le procès a ensuite été suspendu jusqu’au 9 octobre, date à laquelle la défense a commencé la présentation de sa preuve. Cette dernière a fait entendre son propre expert sur le Rwanda et son enquêteur, et a commencé l’interrogatoire de ses témoins rwandais.  La Cour continuera d’entendre la preuve de la défense dans les semaines à venir.

Il n’y a pas de doute que les accusations contre Jacques Mungwarere sont très sérieuses. Selon les témoins de la Couronne, l’accusé, armé d’un fusil, aurait été l’un des attaquants ayant participé au massacre survenu au complexe adventiste de Mugonero, qui comprenait une église, un hôpital et une école pour les infirmières. On estime que le 16 avril 1994, environ 3 000 personnes réfugiées au complexe auraient été tuées par des militants hutus. Dans les semaines suivantes, ces militants auraient pourchassé les Tutsis qui essayaient de se sauver en se cachant dans les collines de Bisesero. 

Les témoins de la Couronne ont impliqué Jacques Mungwarere dans cet événement. Un des témoins qui a déclaré que l’accusé était un des attaquants du complexe Mugonero avait lui-même été condamné pour sa participation dans ce massacre. Un autre témoin a dit qu’il l’avait vu tuer un jeune enfant et célébrer une décapitation. D’autres ont témoigné l’avoir vu parmi les hommes qui se rassemblaient « nuit et jour » pour aller tuer les réfugiés dans les collines. Presque tous les témoins connaissaient Jacques Mungwarere depuis longtemps et pouvaient nommer les membres de sa famille.

Un des arguments principaux de la défense est de suggérer que la preuve contre Jacques Mungwarere est fabriquée. La défense a utilisé les déclarations que les témoins de la Couronne ont antérieurement faites aux enquêteurs, au Tribunal pénal international pour le Rwanda et aux juridictions rwandaises gacacas, par exemple, pour remettre en question leur crédibilité. Elle a aussi soulevé l’existence de contradictions et mentionné des occasions où ces mêmes témoins auraient omis d’impliquer Jacques Mungwarere dans l’événement de Mugonero.

Le procès de Jacques Mungwarere est important non seulement à cause de la gravité des actes qu’on lui reproche, mais également parce qu’il attire l’attention sur les défis pratiques que pose l’exercice de la compétence universelle.

En effet, pour qu’un tel procès soit possible, il faut que les autorités étrangères coopèrent à l’enquête canadienne. Par exemple, l’enquêteur principal de la GRC a témoigné qu’il avait retrouvé des témoins potentiels avec l’aide de « pisteurs » fournis par le gouvernement rwandais. 

On peut aussi mentionner les difficultés qui découlent, durant l’enquête et le procès, des différences linguistiques et culturelles. En effet, il est devenu évident, pendant les audiences, que la précision de la traduction était très importante. Pendant la présentation de la preuve de la Couronne, deux interprètes traduisaient du kinyarwanda au français pour la Cour, la Couronne avait son propre interprète pour apporter des précisions additionnelles si nécessaire, et il y avait des interprètes avec les témoins au Rwanda.

Lors du procès, sept des huit témoins rwandais de la Couronne ont été entendus par la Cour grâce à des moyens technologiques alors qu’ils étaient dans un hôtel de Kigali. On entend également les témoins de la défense par vidéoconférence. Bien que ce soit utile, ce mécanisme paraissait avoir quelques désavantages. Par exemple, cela empêchait les témoins d’estimer les distances en utilisant des points de référence de la salle et aggravait la confusion de quelques-uns des témoins à propos des rôles respectifs des acteurs au procès.

De plus, il était possible de noter la frustration des témoins lorsque des questions, souvent très précises, à propos de leurs expériences traumatisantes étaient posées. Une des témoins a affirmé : « je ne suis pas folle ! ». D’autres témoins semblaient énervés parce qu’ils avaient l’impression que les avocats ne comprenaient pas l’affreuse réalité qu’ils ont confrontée durant le génocide. À la suite d’une question concernant la qualité d’un pansement improvisé pour une blessure par balle, un des témoins a demandé « est-ce que vous pensez qu’on était sur un pique-nique ? ».

À l’exception du fait que ce ne soit pas facile de parler d’événements violents et de se rappeler, de façon détaillée, d’événements survenus il y a plus que de 18 ans, certains des témoins craignent pour leur sécurité et ont demandé à la Cour des mesures de protection.  Depuis la reprise du procès cet automne, plusieurs sessions ont été menées à huis clos afin de protéger l’identité des témoins de la défense. 

Le procès contre Jacques Mungwarere est une occasion de réfléchir sur la manière de surmonter les défis associés à l’exercice de la compétence universelle, ainsi que sur la meilleure façon de contribuer à la construction d’un État de droit global et de prévenir la future commission de graves violations des droits humains. De plus, ce procès est hautement symbolique : il sert à rassurer les réfugiés vivant au Canada en démontrant qu’il est un véritable refuge pour eux, plutôt que pour les criminels de guerre, et qu’il fait sa part pour combattre l’impunité. Reste à voir si l’éventuel verdict aura un impact sur les futures activités du programme canadien de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.  

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Pour en savoir plus sur le procès de Jacques Mungwarere, visitez le site web du CCIJ , où se trouvent l’acte d’accusation et les résumés hebdomadaires du procès.

 

Janine Lespérance est une étudiante en dernière année dans le programme conjoint MA/JD offert par le Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton, et la Faculté de Droit, Section de common law, de l'Université d'Ottawa.  Récemment, elle a reçu une bourse de stage pour l'avancement de l'intérêt public de l'Université d'Ottawa, pour appuyer son travail avec Amnistie Internationale Canada (anglophone) et le Centre canadien pour la justice internationale (CCJI).  Elle a observé le procès de Jacques Mungwarere pour le CCJI entre mai et juillet 2012.

 

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