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Une résolution du Conseil de sécurité pour protéger les soins de santé dans les conflits armés

Julia Grignon

Julia Grignon est professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et Chercheuse à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Institut de l’École Militaire (IRSEM). Elle est spécialisée en droit international humanitaire et dirige Osons le DIH !, un développement de partenariat pour la promotion et le renforcement du droit international humanitaire. Elle est codirectrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire.

Consultez le profil complet de la professeure Grignon.

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julia.grignon@fd.ulaval.ca
Nom de famille: 
Grignon
Prénom: 
Julia
3 May 2016

 

Aujourd’hui, 3 mai 2016, marque l’adoption d’une résolution importante du Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés portant sur la protection de la mission médicale. À cette occasion, le Conseil de sécurité avait convié le Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, et la Présidente de Médecins sans frontières (MSF), Joanne Liu, à s’exprimer. En effet, cette résolution fait suite au très grand nombre d’attaques perpétrées contre des unités médicales dans des contextes récents, tels qu’en Afghanistan, au Yémen, au Soudan du Sud et en Syrie, et en particulier à l’attaque de l'hôpital pédiatrique d'Alep, le 29 avril dernier.

Leurs deux organisations, ou des centres de soins qu’elles soutiennent, ont fait l’objet d’attaques répétées au cours des derniers mois. Comme l’a souligné Peter Maurer, alors que les hôpitaux étaient auparavant un lieu dans lequel se mettre en sécurité pour se faire soigner, ils sont devenus un lieu dans lequel il est devenu dangereux de se rendre. Ceci est un non sens absolu.

Telles qu’elles ont été documentées par de nombreuses organisations dont Physicians for Human Rights et Amnistie internationale notamment, il est possible aujourd’hui de considérer que les attaques contre les centres médicaux sont devenues une méthode de guerre dans les conflits armés. En visant ces établissements, ceux qui perpètrent ces attaques souhaitent viser leurs opposants et annihiler toute velléité de soutien à leur cause par la population civile. Il faut bien avoir à l’esprit que lorsqu’un hôpital qui traite des personnes ayant pris part aux hostilités est pris pour cible (ce qui est illicite au terme du droit international humanitaire : voir ci-dessous), ce sont non seulement ces personnes qui sont affectées par ces attaques, mais aussi tout le personnel soignant et par ricochet l’ensemble de la population civile qui en subissent les conséquences. Les personnes atteintes de maladies chroniques, tels que les diabétiques, les personnes nécessitant un suivi régulier, telles que les femmes enceintes, ou encore les personnes en âge de se faire vacciner, par exemple, n’ont alors plus accès à aucune ressource permettant de prendre soin d’elles. Tel que l’a souligné le président du CICR aujourd’hui, il en résulte que des femmes accouchent dans des caves et que si les personnes ne meurent pas du fait des attaques directes perpétrées contre elles, elles meurent faute d’avoir accès à des médicaments ou à des structures médicales. Chaque fois qu’un hôpital est touché, ce sont des milliers, voire des centaines de milliers de personnes qui perdent accès aux soins de santé.

Le droit international humanitaire contemporain (ou droit des conflits armés) s’est formé autour de la protection des blessés et malades et corolairement des sociétés de secours, telles qu’elles étaient désignées à l’époque. C’est sur ce thème que porte la toute première Convention de Genève adoptée il y 152 ans, en 1864. Au fil des années, la protection de la mission médicale s’est renforcée dans les instruments de droit international humanitaire. Ainsi, aujourd’hui, l’article 19 de la première Convention de Genève, applicable dans le cadre des conflits armés internationaux, dispose : « Les établissements fixes et les formations sanitaires mobiles du Service de santé ne pourront en aucune circonstance être l'objet d'attaques, mais seront en tout temps respectés et protégés par les Parties au conflit. » Les articles suivant énoncent les conditions auxquelles cette protection peut cesser, à savoir « s'il en est fait usage pour commettre, en dehors de leurs devoirs humanitaires, des actes nuisibles à l'ennemi »[1] et seulement si la garantie additionnelle voulant que la protection « ne cessera qu'après sommation fixant, dans tous les cas opportuns, un délai raisonnable et qui serait demeurée sans effet »[2] soit respectée. De son côté, l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 prévoit pour les conflits armés non internationaux que « [l]es personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris […] les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité. […] À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard [de ces] personnes […] les atteintes portées à la vie »[3], disposition que vient compléter le deuxième Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, selon lequel « [t]ous les blessés, les malades et les naufragés, qu'ils aient ou non pris part au conflit armé, seront respectés et protégés […] »[4] et « le personnel sanitaire et religieux sera respecté et protégé. »[5]

Ces dispositions conventionnelles sont aujourd’hui reconnues comme ayant acquis une valeur coutumière. Ainsi, l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier rappelle que le personnel humanitaire ainsi que les biens qui servent à leurs activités de secours doivent être respectés et protégés[6] et consacre que « [l]es parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin […] »[7].

La résolution adoptée aujourd’hui n’a pas qu’un caractère symbolique. Cette résolution est une réponse positive aux demandes des organismes humanitaires confrontés à cette question. Quatre-vingt-cinq États ont coparrainés la résolution qui a été adoptée à l’unanimité. Ce chiffre marque l’intérêt porté par les États membres des Nations unies à cette question cruciale. Ainsi, cette résolution représente tout d’abord un engagement clair des États membres des Nations unies à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour faire cesser ces attaques odieuses. Toutefois, tel qu’il a été souligné lors du débat qui a suivi l’adoption de la résolution, celle-ci ne marque pas la fin d’un processus, mais tout au contraire représente une première étape vers un meilleur respect du droit international humanitaire. Elle contribue en outre « à attirer l’attention sur un problème auquel il y aurait un risque de s’habituer compte-tenu de leur fréquence »[8]. Ensuite, si elle est une réaffirmation politique et morale de l’attachement des États membres du Conseil de sécurité au droit international humanitaire, elle a également vocation à devenir un instrument de mise en œuvre. Les États sont les premiers responsables de la mise en œuvre du droit international humanitaire et de faire cesser les attaques contre les hôpitaux et contre le personnel de santé, et c’est à eux que revient la responsabilité de faire en sorte que cette résolution de soit pas « simplement être une rhétorique creuse »[9]. Cela signifie qu’il est de leur responsabilité de prévenir ces attaques et de punir les responsables lorsqu’elles se produisent. Mais cette résolution présente également un intérêt en tant qu’instrument de plaidoyer pour les organisations humanitaires et les organismes de défense des droits humains. Ceux-ci pourront se saisir de son contenu pour rappeler les États à leurs engagements et souligner leur intention d’en faire une priorité par son adoption. Les organismes humanitaires sont en dialogue permanent avec les autorités et, lorsque c’est possible, se placent sur le terrain de la coopération. Avec cette résolution, ils disposeront d’un outil additionnel pour faire valoir leurs droits.

La guerre a des limites. Le droit international humanitaire, un droit qui trouve ses origines dans toutes les sociétés et dans des temps aussi anciens que la guerre est ancienne, en est l’expression. Or, cette expression n’est pas celle d’une poignée d’humanitaires idéalistes : elle est celle des États eux-mêmes, qui, réunis en conférence diplomatique en 1949 et en 1977 principalement, mais également au gré des différents instruments applicables dans les conflits armés adoptés par la suite, ont choisi de s’engager à respecter certaines règles dans des contextes de violence extrême. Personne ne les a forcés à adopter ces règles et certains d’entre eux ont même participé à ces réunions accompagnés de représentants de leurs forces armées. Il s’agit donc bien d’un droit tout à fait réaliste qu’en l’occurrence toutes les parties au conflit sont en mesure de respecter : il n’est pas difficile de ne pas attaquer un hôpital. Il s’agit simplement d’admettre que l’humanité prévaut sur la barbarie. Les États seront donc « jugés sur leurs actions. [Et l]eur travail ne fait que commencer. »[10]

Parmi les points saillants de la résolution, on peut noter :

  • La condamnation ferme des attaques menées contre les soins de santé et la reconnaissance de leurs effets néfastes durables;
  • La réitération que les parties aux conflits doivent accepter le libre passage des agences humanitaires et de leur matériel;
  • La demande formulée aux États d’adopter des mesures de prévention pour que ces attaques ne se reproduisent plus, qu’ils adoptent des législations nationales à cet effet et qu’ils partagent les défis qu’ils rencontrent et les bonnes pratiques en la matière;
  • Le rôle central attribué à la diffusion et à la formation en droit international humanitaire, en tant qu’outil permettant de prévenir la survenance de violations;
  • La réitération que les auteurs de ces attaques doivent être poursuivis et punis, tout en soulignant que l’impunité crée un terrain favorable à ce que ces actes se reproduisent;
  • La demande que les rapports thématiques du Secrétaire général incluent spécifiquement cette question;
  • La demande que le Secrétaire général fasse rapport sur la mise en œuvre de cette résolution tous les ans.

Au moment d’écrire ces lignes, seul le projet de résolution est accessible en ligne. Le texte final de la résolution sera bientôt disponible sur le site du Conseil de sécurité des Nations unies et peut actuellement être consultée ici en version provisoire.

Les allocutions délivrées par Joanne Liu et Peter Maurer sont disponibles ici et , ainsi que leur conférence de presse à l’issue de la rencontre. Enfin, l’auteure a offert une entrevue sur ce sujet à l’émission « Le 15-18 » sur Ici Radio-Canada Première, avec Annie Desrochers.


[1] Article 21 de la première Convention de Genève de 1949.

[2] Ibid.

[3] Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949.

[4] Article 7 du Protocole Additionnel II aux Conventions de Genève.

[5] Article 9 du Protocole Additionnel II aux Conventions de Genève.

[6] Règle 31 et Règle 32 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier.

[7] Règle 55 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier.

[8] Selon les propos de Peter Maurer devant le Conseil de sécurité : https://www.icrc.org/en/document/hcid-statement. Notre traduction.

[9] Selon les propos de Joanne Liu devant le Conseil de sécurité : http://www.msf.org/en/article/msf-president-dr-joanne-liu-un-security-council-resolution-2286-healthcare-armed-conflict. Notre traduction.

[10] Conclusion de l’allocution de Joanne Liu devant le Conseil de sécurité : http://www.msf.org/en/article/msf-president-dr-joanne-liu-un-security-council-resolution-2286-healthcare-armed-conflict. Notre traduction.