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La défense au Tribunal pénal international pour le Rwanda : un rôle crucial pour l'avenir du droit international pénal

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Valérie Lamarche

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16 Janvier 2013

 

La défense au Tribunal pénal international pour le Rwanda : un rôle crucial pour l’avenir du droit international pénal

par Valérie Lamarche[1]

La tâche de défendre un présumé génocidaire ne soulève certes pas l’enthousiasme, à priori. De l’aveu même de certains avocats de la défense, certains se sont sentis aussi coupables que leur client sous le poids des préjugés populaires[2]. Or, de ce que j’ai pu constater depuis le début de mon mandat, à l’automne 2012, il m’apparaît clairement que le rôle des avocats de la défense est crucial pour une justice internationale pénale saine et durable. La lutte contre l’impunité, l’apparence de justice, le respect des règles de preuve et la crédibilité des témoins sont notamment des aspects du droit international pénal qui méritent une attention particulière du point de vue de la défense.

Cet article se base notamment sur mes acquis et mes impressions depuis le début de mon mandat à la Clinique de droit international pénal et humanitaire et sur la 3e Conférence internationale de la défense sur le droit pénal international : « Justice pénale internationale : Justice pour qui ? » qui a eu lieu au Centre Saint-Pierre à Montréal le 29 septembre 2012. Pour les notes biographiques des conférenciers, je vous réfère au programme de cette conférence.

Bref historique du génocide[3]
Si le génocide qui a eu lieu au Rwanda du 6 avril au 4 juillet 1994 est un fait connu, son origine est d’une complexité suscitant beaucoup de débats, encore aujourd’hui. Certains faits marquant demeurent, néanmoins, et il importe d’en dresser un bref portrait afin de mieux cerner le contexte juridique dans lequel s’articule la répression post-conflit.  

Même avant la colonisation, le Rwanda était composé d’une vaste majorité de Hutus, lesquels étaient en grande partie des paysans agriculteurs, ainsi que d’une élite aristocrate, les Tutsis. Ces deux groupes coexistaient sans discrimination. Le Rwanda fut d’abord sous possession allemande en 1885, puis sous le mandat belge après la Première Guerre mondiale. Ces deux puissances creuseront le fossé ethnique entre les Hutus et les Tutsis : les Tutsis se verront attribuer le monopole du pouvoir sous la tutelle de l’administration coloniale belge et un système d’identification discriminatoire fondé notamment sur des considérations morphologiques sera mis en place.

Vers 1959, les Hutus se soulèvent contre l’exclusivité du pouvoir détenu par les Tutsis. Cette révolution sociale a abouti à la prise du pouvoir par un gouvernement hutu (Mouvement démocratique rwandais ou MDR) mené par Grégoire Kayibanda en 1960 ainsi qu’à l’indépendance du Rwanda en 1962. Durant cette révolution, plusieurs Tutsis s’exilent alors dans des pays voisins, où s’ensuivront des attaques contre le nouveau régime rwandais, causant la mort de plus de 10 000 Hutus.

Le 1er octobre 1990, l’Armée patriotique rwandaise (branche militaire du Front patriotique rwandais ou FPR) composée de Tutsis exilés et de l’armée ougandaise envahit le Rwanda. Le gouvernement hutu et la population percevront cette invasion comme une menace révolutionnaire visant à rétablir l’aristocratie tutsie. Le début du génocide sera cristallisé le 6 avril 1994, date à laquelle le président Habyarimana, fondateur du parti Mouvement révolutionnaire national pour le développement et successeur de Kayibanda, fut assassiné, et prendra fin le 4 juillet 1994.

Un gouvernement intérimaire est alors mis en place, sous lequel se déroulera le génocide et dont une grande partie sera jugée devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Malgré la victoire du Front patriotique rwandais, lequel forme aujourd’hui le parti majoritaire depuis 1994, près d’un million de personnes furent tuées durant ces trois mois, Tutsis comme Hutus, bien que majoritairement Tutsis.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Quatre mois après la fin du génocide, le Conseil de sécurité établit, sous la résolution 955, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), tribunal ad hoc se trouvant à Arusha, en République-Unie de Tanzanie.

Trois organes composent le TPIR : les Chambres de première instance et la Chambre d’appel; le Bureau du Procureur, chargé des enquêtes et des poursuites; et le Greffe qui fournit un appui général judiciaire et administratif aux Chambres et au Procureur.

Son mandat, stipulé dans la résolution 955 et à l’article 1 du Statut du TPIR, est notamment de juger les « personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du Droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».

Or, le TPIR n’a poursuivi que des Hutus; aucun Tutsi ou autre « citoyen rwandais ». Une première faille majeure, selon le chef Charles A. Tuku. En effet, on se rappelle que la première attaque origine de l’Armée patriotique rwandaise et que cette attaque aurait causé la mort de plus de 10 000 Hutus. Par ailleurs, durant les trois mois du génocide, plusieurs Tutsis de l’Armée patriotique rwandaise auraient contribué au massacre. 

Si on peut se rassurer du fait que le Conseil de sécurité n’a pas visé, dans la résolution 955, la poursuite sélective, on peut se demander en revanche pourquoi la poursuite voit-elle le conflit d’un seul côté, et, surtout, si l’intégrité et la crédibilité de la justice internationale en sont entachées. Le chef Charles A. Tuku conclut qu’il résulte de cette poursuite sélective une justice basée sur les Hutus « génocidaires » et des Tutsis « victimes » et que ce balancier fait fi d’une importante composante du conflit, laissant un goût amer d’impunité, nuisant à la réconciliation du Rwanda. Il insista durant la Conférence sur l’humiliation qui découle de cette impunité en Afrique, laquelle divise profondément le peuple rwandais. Certains conférenciers ont également soulevé l’impunité des États et de la communauté internationale, lesquels ont brillé par leur inaction tout en ayant connaissance du génocide.

Tel que mentionné précédemment, le respect de la résolution 955 aurait évité cette impunité, car on n’y fait nullement mention d’une quelconque poursuite sélective. Or, si les résolutions du Conseil de sécurité ont une valeur juridique probante, qui s’assure du respect de celles-ci ? Non seulement personne ne s’assure de l’application effective des résolutions du Conseil de sécurité puisqu’il est l’organe suprême, la valeur juridique probante de ces résolutions repose sur le caractère impératif du libellé de la résolution. En effet, en vertu de l’article 25 de la Charte des Nations Unies, « les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ». En scrutant la résolution 955, on constate toutefois qu’aucun mécanisme n’y est prévu relativement à l’inexécution de celle-ci.

Le conflit est politique : sa solution juridique mène-t-elle à l’injustice ?
Comme tout autre système de justice, la justice internationale pénale pourrait être une solution juste si elle était accessoire à d’autres mesures correctives. Combinée à des mesures gouvernementales d’éducation et d’information, la justice internationale pénale pourrait aider à la réconciliation et à la réhabilitation du pays. Or, lorsque le poids de la solution post-conflit repose entièrement sur un tribunal ad hoc et que celui-ci s’immisce dans un conflit intrinsèquement politique, la justice devient rapidement lacunaire.

Au lendemain du génocide, les yeux de la communauté internationale étaient rivés sur le TPIR, créant ainsi de lourdes attentes, ainsi qu’un désir d’apparence de justice probablement plus fort qu’un désir de justice en soi. Au fil des lectures du jugement qui m’a été attribué pour mon mandat, j’ai réalisé qu’à trop vouloir cette apparence de justice, l’effet inverse se produit : lorsqu’un tribunal souhaite tellement condamner quelqu’un qu’il fait fi des règles de preuve et de procédure fondamentales, on peut douter de la crédibilité d’un tel jugement.

Le Dr. Théogène Rudasingwa conclut par ailleurs que le TPIR ne rend pas justice et ne semble pas la rendre non plus. Beth S. Lyons abonde dans le même sens : une preuve déficiente mène à un jugement déficient. Son exposé sur le livre Fact-Finding Without Facts, The Uncertain Evidentiary Foundations of International Criminal Convictions rédigé par la professeure Nancy Amoury Combs relate notamment les faiblesses de la preuve au TPIR[4].

À ce sujet, je m’attarderai plus particulièrement sur la faiblesse des témoignages, d’abord parce qu’ils revêtent une importance capitale du fait qu’il s’agit du principal moyen de preuve devant le TPIR, ensuite parce que mon premier mandat consistait essentiellement à repérer dans le jugement les contradictions et omissions des témoins entérinées par les juges de la Chambre de première instance.

J’ai d’emblée été surprise de constater la quantité importante de contradictions et d’omissions qui découlaient des témoignages et qui, au lieu de soulever un doute raisonnable dans l’esprit des juges, suffisaient au contraire à prouver un fait, à corroborer un autre témoignage ou à identifier une personne et qui, au final, suffisaient à condamner une personne pour génocide. Par exemple, un témoin incapable d’identifier correctement le défendeur présent dans la Chambre de première instance pouvait quand même corroborer le témoignage d’un témoin de la poursuite relativement à une scène de crime impliquant le défendeur. La crédibilité de ces témoignages n’étant assujettie à aucun critère uniforme, elle devient alors essentiellement discrétionnaire[5].

Autre fait étonnant : le ouï-dire est admissible au TPIR, le juge de la Chambre de première instance a discrétion pour en juger sa portée et il n’existe pas non plus de critère uniforme[6]. C’est ainsi qu’un ouï-dire provenant d’un témoin de la défense est très souvent écarté, alors que celui d’un témoin du procureur sera admissible. Par ailleurs, selon un assistant légal au TPIR, chaque fois que les juges de la Chambre de première instance accepte un témoignage malgré une contradiction, une omission ou un ouï-dire, la Chambre d’appel reconnaît son pouvoir de discrétion et renverse rarement sa conclusion.

On peut ainsi comprendre qu’un certain cynisme était palpable lors de la Conférence, alors qu’une majorité d’avocats de la défense du TPIR témoignait sur son expérience d’injustice vécue. Me Philippe Larochelle citait quelques exemples où la justice internationale était dénaturée au point de causer de l’injustice, notamment le cas de Jérôme Bicamumpaka, lequel aurait subi une « présomption de culpabilité » en raison de la suspicion des juges (voir notamment les paragraphes 776, 959, 1058 et 1059 du Jugement). Bicamumpaka a finalement été acquitté après treize ans d’emprisonnement, car les avocats de la défense ont découvert par hasard des éléments de preuve prouvant sa non-culpabilité dans le cadre d’un autre dossier. Les procureurs avaient omis de divulguer ces éléments de preuve lors de son procès[7].

Il m’apparaît légitime que des avocats qui se battent depuis des années pour faire respecter des règles de preuve de base pour un minimum de respect des droits de leur client puissent perdre espoir envers la justice au TPIR. En revanche, Me Cainnech Lussiaa-Berdou, également avocat de la défense devant le TPIR, dans le cadre de son allocution à la Formation continue sur la justice internationale[8], s’est montré plutôt optimiste. Malgré les nombreuses difficultés rencontrées au TPIR, il croit tout de même que le rôle de l’avocat de la défense demeurera toujours nécessaire au sein de la justice pénale internationale. L’efficacité en sera peut-être affectée, mais, somme toute, l’équité procédurale telle qu’on l’entend dans un système accusatoire, triomphera toujours des obstacles rencontrés.

Une vision réaliste
Sans tomber dans l’idéalisme utopique, on aurait fort à gagner à ne pas confondre justice imparfaite et absence de justice. Bien qu’il soit admis que la justice internationale pénale sera toujours vraisemblablement empreinte de politique, ce fait ne demeurera un frein que dans la mesure où la justice n’est pas accompagnée de mesures gouvernementales à l’échelle nationale.

Les faiblesses du TPIR, qui résultent en grande partie de ces considérations politiques, ne cessent de faire l’objet de discussions, notamment lors de plusieurs conférences, et de publications[9] : il s’agit, selon moi, d’un pas énorme vers le progrès de la justice internationale. À mon avis, la promesse du progrès est d’autant plus réelle après un examen attentif des erreurs au TPIR, d’où la nécessité d’adopter une vision de la défense pour nous aider à mettre en lumière ces lacunes dans la recherche d’une justice saine et durable. Si certains doutent encore du rôle de l’avocat de la défense, il suffit de se rappeler qu’un jugement rendu sans l’accès à une défense pleine et entière pour un accusé serait dénué d’impact, de crédibilité, d’équité et de justice.

 

 

[1] Étudiante en troisième année au baccalauréat en droit à l’Université Laval et membre passionnée de la Clinique de droit international pénal et humanitaire.

[2] Me John Philpot, « Droit international versus souveraineté étatique – Conclusion », 3e Conférence internationale de la défense sur le droit pénal international : « Justice pénale internationale : Justice pour qui ? », présentée au Centre Saint-Pierre, 29 septembre 2012, en ligne : <http://www.tpirheritagedefense.org/>.

[3] Robin Philpot, Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, Montréal, Les Éditions Intouchables, 2003, p. 15-17; L. J. van den Herik, The Contribution of the Rwanda Tribunal to the Development of International Law, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2005, p. 14-26.

[4] Beth S. Lyons a par ailleurs publié un article à ce sujet : « Enough is enough: the illegitimacy of international criminal convictions: a review essay of Fact-Finding Without Facts, The Uncertain Evidentiary Foundations of International Criminal Convictions by Nancy Amoury Combs » (2011) 13:3 Journal of Genocide Research, 287.

[5] Idem.

[6] Idem.

[7] Me Philippe Larochelle, « Politique canadienne : enjeux criminel ou d’immigration », 3e Conférence internationale de la défense sur le droit pénal international : « Justice pénale internationale : Justice pour qui ? », présentée au Centre Saint-Pierre, 29 septembre 2012, en ligne : <http://www.tpirheritagedefense.org/>.

[8] Organisée conjointement par le Centre canadien pour la justice international pénale (CCJI) et la Clinique de droit international pénal et humanitaire (CDIPH), la Formation continue sur la justice internationale « Dix ans de Cour pénale internationale : Le Canada et la justice internationale » a eu lieu le 16 et 17 novembre 2012 à l’Université Laval, Québec.

[9] La publication d’un ouvrage collectif sur les allocations des conférenciers de la 3e Conférence internationale de la défense sur le droit pénal international : « Justice pénale internationale : Justice pour qui ? » est prévue dans un futur rapproché.

 

 

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