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Cour pénale spéciale en République centrafricaine : Un optimisme prudent devant les multiples défis

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Maxime Mariage

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18 Décembre 2017

Au moment de la naissance de la Cour pénale internationale (CPI), il y a quinze ans, le sentiment que cette institution marquerait la fin des tribunaux ad hoc était répandu au sein de la communauté internationale. Pourquoi, après tout, aurions-nous toujours besoin de ces tribunaux internationalisés ou hybrides, alors que la CPI était dorénavant en mesure de traiter les crimes internationaux ?

Au cours des dernières années, néanmoins, cette idée s’est progressivement estompée. Là où les perspectives d'intervention de la CPI sont minces, les membres de la communauté internationale ont appelé à la mise en place de tribunaux ad hoc or hybrides, comme ce fut le cas pour la Syrie ou le Soudan du Sud. La Cour pénale spéciale (CPS) en République centrafricaine (RCA) marque la consécration de cette nouvelle vague d’enthousiasme pour ce type de tribunal, et ce, même alors que la CPI a ouvert deux enquêtes dans le pays depuis 2007. La CPS sera cependant différente des modèles précédents dans la mesure où elle représente une tentative de compléter une intervention de la CPI plutôt que de présenter une alternative à la Cour.

 

La Cour pénale spéciale en bref

Créée par la loi no 15.003 du 3 juin 2015, la Cour a pour objectif d’ « enquêter, instruire et juger les violations graves des droits humains et les violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire de la République Centrafricaine depuis le 1er janvier 2003 », telle que définie par le Code Pénal Centrafricain et le droit international. Le CPS est devenu par le fait même le premier tribunal hybride à être créé dans un pays où une enquête de la CPI est déjà en cour.

Le 14 février 2017, le magistrat congolais Toussaint Muntazini Mukimapa a été nommé procureur spécial au sein d’une Cour composée de 25 magistrats. Bien qu’hybride, étant composée de 13 magistrats nationaux et 12 internationaux, la Cour est néanmoins entièrement intégrée à l’appareil judiciaire national. La CPS aura initialement un mandat de 5 ans, qui pourra être renouvelé par la suite.

Plusieurs défis attendent cependant cette Cour, qui tarde d’ailleurs à se mettre en marche. Ces défis relèvent notamment de questions financières, sécuritaires et de compétence.

 

Un financement insuffisant

En date de juillet, le gouvernement et l’ONU n’avaient toujours pas amassé les fonds nécessaires pour les 14 premiers mois de l’établissement de la CPS. En effet, le projet de soutien à la Cour mené conjointement par la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) n’a recueilli que 5,2 des 7 millions de dollars prévus pour mettre en marche la Cour. Encore en novembre, Toussaint Makimapa affirmait que la CPS bénéficiait d’un financement qui ne pouvait couvrir que les quinze premiers mois de son fonctionnement.

La viabilité financière à long terme de la Cour demeure en doute. Il a été décidé, pour l’instant, d’établir la CPS en plusieurs étapes, afin de réduire les coûts. Malgré tout, des 37 millions de dollars estimés pour le fonctionnement de la Cour sur cinq ans, 32 millions de dollars n'ont toujours pas été engagés. Pour ajouter aux difficultés, un malentendu relatif à la modification de la liste des officiers chargés d'enquêter pour la CPS vers la fin novembre a causé des tensions entre le gouvernement centrafricain et les bailleurs de fonds principaux – États-Unis, France, MINUSCA – ces derniers accusant le ministère de la Justice d’ingérence dans les affaires de la Cour. 

Compte tenu du fait que la Cour est financée exclusivement par des contributions volontaires , il est difficile d’imaginer comment la CPS pourra « échapper à des crises financières comme celles qui ont déstabilisé et nui au travail du Tribunal spécial pour la Sierra Leone et qui continuent encore aujourd’hui d’affecter le travail des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ».

 

Des conditions difficiles

Des difficultés d’ordre logistique et sécuritaire risquent également de se présenter au cours des prochains mois. Comme le mentionne Elise Keppler, la mise en place d’une nouvelle Cour pour juger des crimes de guerre est une tâche compliquée dans les meilleures circonstances. En République centrafricaine cependant, les infrastructures, les capacités technologiques et les ressources humaines (magistrats locaux, police judiciaire, etc.) rendent difficile la poursuite de la justice, situation d’autant plus compliquée avec la poursuite des combats dans plusieurs régions du pays qui demeurent hors du contrôle du gouvernement (70 % du pays). La CPS se heurtera donc à des difficultés importantes au moment de mener des enquêtes et de procéder à des arrestations.

Bien que les 14 groupes armés identifiés en RCA participent régulièrement au comité consultatif de désarmement, démobilisation et réintégration mené par le gouvernement, ceux-ci sont réticents à rendre leurs armes, craignant que cela les rende vulnérables à des attaques de la part de groupes rivaux qui ne veulent pas mettre fin aux hostilités.

Il est particulièrement troublant de constater que les forces de maintien de la paix des Nations unies ont été prises pour cible à maintes reprises et qu’elles ont dû par conséquent réagir par la force. Étant donné que le Procureur Muntazini et son équipe dépendent grandement des Casques bleus pour procéder à des arrestations, la participation de l’ONU aux hostilités pourrait causer des défis opérationnels et de légitimité pour la CPS, d’autant plus que la population centrafricaine démontre un manque de confiance à l’égard de l’appareil judiciaire.

La MINUSCA a néanmoins été en mesure de publier son rapport sur la cartographie des crimes graves commis en RCA de 2003 à 2015, rapport qui recense 620 incidents qui pourraient relever de la compétence de la CPS. Compte tenu de l'ampleur considérable de la criminalité reflétée dans le rapport, la poursuite de ces crimes en RCA devra nécessairement être sélective. Par conséquent, il est raisonnable de croire qu’il faudra bien plus de cinq ans pour enquêter sur les crimes complexes commis au cours des quinze dernières années.

 

Réconciliation ou justice ?

Les premières versions de la loi portant sur la création de la CPS comprenaient des dispositions qui interdisaient l'octroi d'immunités. Toutefois, ces dispositions ne sont plus présentes, ce qui laisse supposer que le gouvernement peut offrir l'immunité de poursuites dans certains cas.  Compte tenu de l'échec des efforts déployés pour amener les groupes armés à coopérer, certains font valoir que la suppression de l'élément de justice pourrait inciter ces groupes à déposer leurs armes en échange de l'amnistie. D'autres soutiennent que l'amnistie ne fera qu'encourager la culture croissante d'impunité dans le pays.

Un accord de paix signé en juin 2017 sous l’égide de Sant’Edigio a mis l’accent sur la possibilité d’accorder des amnisties, l’ouverture de négociations en vue de lever des sanctions et la priorité à accorder à la vérité et à la réconciliation sur la justice. Cependant, ces initiatives vont à l’encontre des conclusions du Forum de Bangui sur la réconciliation nationale de mai 2015, qui a rejeté catégoriquement toute possibilité d’amnistie. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le gouvernement de l'ancienne présidente par intérim Catherine Samba-Panza à promulguer la création de la Cour pénale spéciale en juin 2015. Il reste à voir si le gouvernement est prêt à troquer la responsabilisation pour la paix avec des éléments anti-balakas et Sélékas.

 

Une complémentarité inversée      

Une question se pose également quant au rôle de la CPS par rapport à la CPI qui, rappelons-le, mène des enquêtes dans le pays. L’article 37 de la loi portant sur la création de la CPS prévoit que s’il « est établi que le Procureur de la Cour Pénale Internationale s'est saisi d'un cas entrant concurremment dans la compétence de la Cour Pénale Internationale et de la Cour Pénale Spéciale, la seconde se dessaisît au profit de la première ».

Il est difficile d’imaginer que cette disposition puisse être conciliée avec les dispositions du Statut de Rome de la CPI relatives à la complémentarité. En effet, en vertu du principe de complémentarité, la CPI est censée agir en tant que tribunal de dernier recours, « à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites » (article 17(1) a)). L’article 37 de la loi no 15.003 suggère néanmoins que la Procureure est libre de choisir qui elle veut poursuivre. En d’autres mots, au lieu d'avoir un pouvoir discrétionnaire, le procureur de la CPS doit en fait demander à la CPI la permission avant de mener une enquête. Comme l’explique Patryk Lubuda dans le Journal of International Criminal Justice, cet aspect de la CPS viole le droit international, alors que la Procureure Bensouda devrait s’en remettre aux enquêtes de la CPS et laisser la justice nationale suivre son cours.

Cela dit, la CPI devrait intervenir là où la CPS n’est pas en mesure de le faire. La CPS étant un tribunal intégré à la magistrature centrafricaine, elle ne peut poursuivre les hauts responsables politiques centrafricains qui jouissent de l'immunité en vertu de la Constitution de 2015. Cette limitation ne s’applique cependant pas à la CPI, puisque les immunités nationales n’empêchent pas les poursuites en vertu de l’article 27 du Statut de Rome. Il reste toutefois à voir si la CPI sera disposée à compromettre la coopération en ciblant les hauts fonctionnaires gouvernementaux.

 

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Si tout se passe bien, la Cour devrait se mettre en marche en décembre. Selon Patryk Lubuda, le véritable défi que devra relever la communauté internationale sera de savoir comment transformer les réussites éventuelles de la CPS en gains à long terme.

La CPS est une solution temporaire par conception. Cependant, si la Cour doit avoir une signification à long terme, elle se devra de laisser un héritage durable pour le système de justice ordinaire. Le tribunal ne peut être qu’un « éléphant blanc », soit un tribunal qui offre un emploi lucratif à quelques avocats internationaux et nationaux chanceux, mais qui n’a aucun impact sur la vie des Centrafricains ordinaires.

Si, au contraire, la Cour s'avère plus qu'une institution mort-née ou un tigre de papier, comme l’écrivait Mark Kersten au moment de l’annonce de sa création, elle pourrait créer de nouveaux précédents en matière de responsabilité partagée entre les institutions nationales et internationales dans la poursuite des crimes internationaux.

 

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Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.

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