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Entre attentes des victimes et interrogations des juristes : l’affaire Dominic Ongwen devant la CPI

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Audrey Eprinchard

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Marie Lugaz

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23 Février 2015

Dessin représentant Dominic Ongwen.

Crédit Photo : Muhammad Tamale.

Le 6 février 2015, Dominic Ongwen a été transféré devant la Cour pénale internationale (ci-après « CPI »). Tenant compte du fait que les trois autres suspects mis en cause dans l’affaire Le Procureur c. Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen n’avaient toujours pas été appréhendés, la Chambre préliminaire II a décidé de disjoindre cette affaire des procédures préliminaires concernant M. Ongwen. De ce fait, il existe désormais deux affaires ougandaises devant la CPI.

La remise de M. Ongwen à la CPI n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations. Nous vous proposons donc, au travers de ce billet, de revenir tant sur les enjeux entourant cette procédure, à savoir l’éventualité d’un plaidoyer de culpabilité et la poursuite d’anciens enfants-soldats, que sur les attentes des victimes dans cette affaire.

L’Armée de résistance du Seigneur

L’Armée de résistance du Seigneur (ci-après « LRA », pour Lord’s Resistance Army) a été fondée par un groupuscule de rebelles Acholi au Nord de l’Ouganda à la suite de la défaite du Holy Spirit Movement face aux forces armées ougandaises en 1987. Ce mouvement a été créé en 1986 par Alice Lakwena, qui se serait vue confier par le Saint Esprit la mission de destituer le gouvernement ougandais. Chef emblématique de la LRA, Joseph Kony poursuivait aussi un objectif bien précis : renverser Yoweri Musevini, à la tête de la République d’Ouganda depuis 1986, pour créer un État fondé sur sa propre interprétation de la Bible. Lors de leur création, ces deux mouvements reçurent un fort soutien populaire au Nord de l’Ouganda, région qui subissait la répression des forces gouvernementales depuis le début des années 1980. Mais ce soutien a faibli, et Joseph Kony a fini par diriger ses opérations contre la population. La LRA est alors devenue tristement célèbre pour la brutalité des exactions commises à l’encontre des civils, tels que les pillages, les massacres, les kidnappings, les mutilations et violences sexuelles... Plus de deux décennies de conflit auraient fait environ 200.000 morts, et causé le déplacement de plus de 2 millions de personnes en Afrique centrale. Au moins 66.000 enfants[1] auraient été enlevés : les garçons devenaient des soldats et les filles étaient victimes de grossesses forcées, car Joseph Kony projetait de créer une nouvelle génération d'Ougandais, qu’il aurait éduqués pour parvenir à ses fins.

En juin 2007, un accord de paix a été signé à Juba (Sud Soudan) par le gouvernement ougandais et la LRA. Depuis 2010, les campagnes militaires successives, conduites par les forces spéciales ougandaises avec l’appui des États-Unis, n'ont toujours pas permis d'appréhender les dirigeants de la LRA, Joseph Kony étant toujours en fuite. Bien qu’ils soient de moins en moins nombreux, les rebelles demeurent actifs en Centrafrique et en République Démocratique du Congo (ci-après « RDC »). Depuis décembre 2008, 5.346 personnes auraient été enlevées.

De l’enfant soldat au cercle de commandement de la LRA

Dominic Ongwen serait originaire de Gulu, ville du Nord-Ouest de l’Ouganda. Né en 1975, il avait 14 ans lorsqu'il a été enlevé sur le chemin de l’école. Il aurait été confié à Vincent Otti, alors second commandant de la LRA (contre qui un mandat d'arrêt a également été délivré par la CPI) auprès duquel il a reçu une formation militaire. Les tâches physiques éprouvantes, les marches forcées et les maltraitances s’ajoutaient à cet apprentissage de la violence. Endoctrinés, les enfants-soldats étaient incités à oublier leur vie passée.

Une étude explique que Dominic Ongwen a rapidement été promu au grade de haut commandant de la LRA, et ce, pour trois raisons : combattant loyal, il est également devenu un brillant stratège, qui a survécu à ses supérieurs. Après que les rebelles aient été chassés de l’Ouganda, il aurait été à l’origine de certaines attaques les plus brutales commises par la LRA, et notamment du massacre de Makombo (Nord-Est de la RDC) : en quatre jours fin 2009, une dizaine de villages ont été attaqués, 321 civils ont été tués et 250 enlevés.

Premiers pas devant la CPI

En décembre 2003, soit une année et demi après l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la situation concernant la LRA est renvoyée devant la CPI par le Président de l’Ouganda. Sept mois plus tard, cette situation fera l’objet de l’ouverture d’une enquête par la Cour.

Le 8 juillet 2005, cinq mandats d’arrêt ont été émis par la Chambre préliminaire II de la CPI. Les charges portées à l’encontre de Dominic Ongwen concernent sept chefs de crimes. Ces crimes datent de 2004 et auraient été commis dans le Nord de l’Ouganda. Le mandat d’arrêt le concernant vise tout d’abord trois chefs de crimes contre l’humanité, mais également quatre chefs de crimes de guerre.

Le 26 janvier 2015, Dominic Ongwen a comparu pour la première fois devant la Chambre préliminaire II de la CPI statuant à juge unique, plus précisément devant l’honorable Ekaterina Trendafilova. L’audience de confirmation des charges a été fixée de façon provisoire au 24 août 2015. Cette audience servira à déterminer s’il existe des motifs substantiels de croire que le suspect a commis les crimes qui lui sont reprochés. Si tel est le cas, ce dernier sera renvoyé devant la Chambre de première instance de la CPI en vue de son procès.

Quelques controverses entourant les conditions précédant sa remise à la CPI

Les conditions précédant la remise de Dominic Ongwen à la CPI ont entraîné une certaine polémique. En effet, alors que les forces américaines en République centrafricaine affirment qu’il se serait rendu, des rebelles centrafricains ont soutenu au contraire l’avoir arrêté. Cette divergence de point de vue est d’autant plus intéressante que les États-Unis avaient décidé d’offrir une récompense allant jusqu’à 5 millions de dollars américains pour toute information pouvant mener à son arrestation. La Procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, est venue mettre un terme à ce débat en se réjouissant, dans sa déclaration du 21 janvier 2015, du fait que Dominic Ongwen se soit « rendu » à la Cour.

Ce sont donc les forces américaines déployées en République centrafricaine qui ont livré M. Ongwen au contingent ougandais de la force d’intervention anti-LRA de l’Union africaine. À la suite de cela, de manière assez surprenante, Kampala a affirmé vouloir le juger sur son territoire, avant de consentir à sa remise à la CPI par les autorités centrafricaines. Rappelons sur ce point que la situation ougandaise a atterri devant la CPI à la suite du renvoi opéré par le Président ougandais, un mode de saisine de la Cour qui est prévu par l’article 14 du Statut de Rome. Précisons néanmoins que sur place, la Division des crimes internationaux a été créée en 2011, afin de poursuivre et juger les auteurs des crimes graves commis en violation du droit international.

Les principaux enjeux entourant la suite de la procédure

Pour commencer, à la suite du transfert de Dominic Ongwen à la CPI, un article suggérait que ce dernier « pourrait être le premier suspect de la CPI à passer aux aveux ». Le suspect n’ayant à ce jour pas encore plaidé coupable ou non-coupable des crimes qui lui sont reprochés, il nous semble intéressant de nous attarder rapidement sur la question d’un éventuel plaidoyer de culpabilité.

Cette procédure, prévue à l’article 64-8-a du Statut de Rome, a été utilisée pour la première fois de manière plus générale dans le cadre de l’affaire Erdemović devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Ce plaidoyer est généralement accompagné d’une négociation avec le Procureur concernant une diminution de la peine. Ce qui rend cette procédure assez délicate est le fait que la vérité est laissée de côté. En effet, il n’y a plus de procès en tant que tel et la Cour en vient directement à l’étape de la condamnation. Néanmoins, dans le cadre de son article 65, le Statut de Rome tente d’atténuer les effets néfastes de cette procédure sur les intérêts de la justice, en prévoyant que le juge ne peut accepter le plaidoyer de culpabilité que dans la mesure où celui-ci est corroboré par des éléments de preuve. L’affaire Dominic Ongwen pourrait donc être la première occasion pour la CPI de constater – ou non – l’amélioration de la procédure de plaidoyer de culpabilité.

Le deuxième enjeu que nous avons choisi de soulever dans le cadre de cette procédure est lié au fait que Dominic Ongwen, visé par des charges concernant des crimes prétendument commis alors qu’il était adulte, est un ancien enfant-soldat. Cette circonstance met en lumière la problématique de l’enlèvement d’enfants et des enfants-soldats au sein de la LRA en Ouganda. Nous pensons que cela ne pourra avoir de répercussion sur la question de la responsabilité pénale de M. Ongwen, étant donné que les crimes qu’il est suspecté d’avoir commis l’auraient été alors qu’il n’était plus mineur. Néanmoins, cela pourrait éventuellement avoir des conséquences sur la fixation de la peine, étant donné que son enlèvement alors qu’il était enfant pourrait intervenir comme une circonstance atténuante liée à sa situation personnelle, une considération qui est prévue à l’article 78-1 du Statut de Rome.

Les victimes de la LRA : entre espoir et désillusions

La Conférence nationale sur les victimes de guerre s’est tenue à Kampala du 28 au 30 mai 2014. Elle a été organisée par AYINET, à la suite d’une série de consultations conduites avec Avocats sans frontières - Belgique. Huit ans se sont écoulés depuis la fin du conflit, et les victimes aspirent plus que jamais à ce que justice soit faite pour les crimes commis. Pourtant, elles étaient mitigées quant au transfert de Dominic Ongwen à la CPI. Si certaines se réjouissaient, d’autres auraient souhaité qu'il reçoive l'amnistie et qu'il soit « purifié » au cours d'une cérémonie traditionnelle acholie - le « mato oput », ayant pour objectif la réintégration de criminels dans la communauté, pardonnés après avoir confessé et avoué leurs crimes -, ou qu’il soit jugé en Ouganda par la Division des crimes internationaux. Depuis juillet 2011, cette division de la Haute cour examine le cas de Thomas Kwoyelo, ancien commandant de la LRA capturé en RDC, poursuivi pour douze chefs de crimes de guerre. Si ce procès est une avancée majeure pour le pays, la procédure est suspendue depuis août 2011, date à laquelle la Cour constitutionnelle a ordonné la remise en liberté immédiate de M. Kwoyelo. La Cour suprême, saisie par le Procureur général à la suite de cette décision, ne s’est toujours pas prononcée.  

Selon des estimations de 2012, sur 26.000 amnisties accordées, 13.000 concernent d'anciens combattants de la LRA. La loi d’amnistie a été adoptée en 2000, pour inciter les combattants à rendre les armes et mettre un terme au conflit. Toutefois, les experts internationaux sont unanimes : cette loi n'est pas conforme aux standards internationaux existants. D’une part, cette loi prévoit une amnistie générale (article 3, paragraphe 2), empêchant ainsi la poursuite de tout ancien combattant qui aurait pu commettre des crimes internationaux. Par conséquent, cette disposition viole le droit à un recours et à réparation pour les victimes. D’autre part, l’amnistie n’étant pas conditionnée à des aveux, elle porte également atteinte au droit des victimes à la vérité.

Par ailleurs, nombreuses sont les victimes qui ont manifesté leur mécontentement lors de la Conférence : en effet, les hommes, les femmes et les enfants enlevés par la LRA ont également dû se soumettre à cette procédure d’amnistie à leur retour, et donc accepter la responsabilité qu’impliquait l’obtention d’un tel certificat. En outre, une phase de démobilisation complétait le processus d’amnistie, concentrant ainsi l’attention des autorités sur les bourreaux et non sur les besoins des victimes.

Actuellement, il faut savoir que la prise en charge des victimes du conflit entre le Gouvernement ougandais et la LRA repose exclusivement sur les organisations de la société civile. Ces organisations font un travail fantastique auprès des communautés affectées par les violences : certaines fournissent notamment une assistance chirurgicale, d’autres documentent les expériences de guerre, assurent un soutien psychologique aux victimes et tentent de promouvoir la réintégration des hommes, femmes et enfants enlevés par la LRA. Pourtant, ces initiatives sont limitées, que ce soit au niveau budgétaire, matériel ou humain, et seules quelques victimes peuvent donc en bénéficier. En outre, la mise en place d’une politique nationale de justice transitionnelle[2] se fait attendre. En juillet 2013, le groupe de travail sur la justice transitionnelle, créé en 2007, a soumis au Gouvernement la quatrième version du projet de loi sur la justice transitionnelle. Une résolution, pressant le Gouvernement à prendre des mesures pour les victimes de la LRA, a été adoptée le 9 avril 2014 par le Parlement ougandais. Or, depuis la signature des accords de paix, le processus souffre d’un grand manque de volonté politique.

Conclusion

L’affaire Le Procureur c. Dominic Ongwen amène de nouvelles questions, jusque-là non traitées par la CPI, que ce soit sur le plaidoyer de culpabilité ou la responsabilité d’anciens enfants-soldats. Comme nous l’avons vu ci-dessus, s’il venait à se tenir, ce procès constituerait donc une première en matière de justice pour les crimes commis durant le conflit entre le Gouvernement ougandais et la LRA. Au regard des diverses réactions que le transfert à la CPI de M. Ongwen a suscité, si justice devait être rendue, il sera essentiel qu'elle soit effectivement perçue comme telle aux yeux des victimes.

En outre, l’article 67 du Statut de Rome garantit à Dominic Ongwen, le droit à un procès dans un délai raisonnable. Conformément au Principe fondamental 7 b) concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, il en est de même pour les victimes, qui ont droit à une réparation « adéquate, effective, et rapide » pour les préjudices subis. Or, huit ans après la signature des accords de paix de Juba, les victimes se sentent oubliées. L’inaction délibérée du Gouvernement ougandais retarde le processus de guérison de la population au Nord du pays. Il sera impossible d’effacer les blessures physiques et psychologiques causées par deux décennies de conflit particulièrement brutales. Pourtant, il est plus que jamais nécessaire que des mesures concrètes soient prises : aujourd’hui, la région demeure sous-développée par rapport au reste du pays, nourrissant la frustration et la colère des victimes, fatiguées d’attendre de recevoir l’aide médicale, psychologique et économique dont elles ont besoin pour se reconstruire.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

 

[1] Conformément à l’article premier de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 septembre 1990, et à l’article 2 de la Loi sur les enfants adoptée en 1997 par le Parlement ougandais, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans ».

[2] Conformément au rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur le Rétablissement de l'état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit du 23 août 2004 (S/2004/616), le concept de justice transitionnelle englobe « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation » (Paragraphe 8). 

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