Amendements aux textes de la Cour pénale internationale : retour sur les changements apportés lors de la 12e session de l'Assemblée des États parties
Jérôme Massé
Jérôme Massé est avocat et candidat à la maîtrise en droit international. Il est diplômé de l’Université Laval (LL.B., 2010) et de l’Université d’Ottawa (J.D., 2012).
Au cours des sessions d’hiver et d’été 2013, il a participé aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux du Bureau du Président du Tribunal Spécial pour le Liban. Il continue son implication cette année en collaborant au Projet « Outils Juridiques » de la Cour pénale internationale.
Il a par ailleurs été sélectionné pour représenter la faculté de droit de l’Université Laval à l’édition 2014 du concours de droit international humanitaire Jean-Pictet.
Amendements aux textes de la Cour pénale internationale : retour sur les changements apportés lors de la 12e session de l’Assemblée des États parties[1]
Par Jérôme Massé
La douzième session de l’Assemblée des États Parties (ci-après l’« AÉP ») de la Cour pénale internationale (ci-après la « CPI » ou la « Cour ») s’est achevée il y a un peu plus d’un mois, à la Haye, aux Pays-Bas. Cette année, la rencontre annuelle du principal organe administratif et législatif de la CPI « has not been business as usual », pour reprendre les termes utilisés par sa présidente, madame Tiina Intelmann, dans ses remarques finales au terme de neuf jours d’intenses discussions. Même son de cloche du côté de Willam R. Pace, Gouverneur de la Coalition pour la Cour pénale internationale, pour qui cette 12e session de l’AÉP représente « possiblement la plus importante depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002 ». Et pour cause ! Cette année, l’AÉP a adopté pas moins de huit résolutions, dont l’une apporte des modifications significatives au Règlement de procédure et de preuve (ci-après le « Règlement »).
De ces résolutions, c’est sans aucun doute cette dernière qui a suscité le plus d’engouement, les discussions et négociations de cette 12e session de l’AÉP ayant été teintées, du début jusqu’à la fin, des séances plénières jusqu’aux évènements parallèles, par les enjeux touchant la pertinence - ou pas - pour la Cour de mettre en accusation des chefs d’État ou de gouvernement en fonction.
En effet, à la suite de l’inculpation de certains chefs d’État africains et l’offensive subséquente de l’Union africaine contre la CPI, le Kenya militait pour l’amendement du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après le « Statut de Rome ») afin de donner une certaine immunité aux dirigeants d’États contre d’éventuelles poursuites de la Cour. Or, après la tenue d’une séance spéciale à l’issue de laquelle il a semblé qu’il serait peu probable que des modifications substantielles soient apportées au Statut de Rome, du moins à court terme, un large consensus s’est dégagé à l’effet que l’AÉP se devait de répondre aux préoccupations exprimées par l’Union africaine par des solutions pratiques compatibles avec le cadre juridique existant.
Si le Statut de Rome est demeuré intact, le Règlement a quant à lui subi certaines transformations. Avant de revenir plus en profondeur sur celles-ci et sur les négociations qui ont mené à ces modifications, il est opportun de commencer par un bref rappel historique factuel et juridique du cas kenyan, celui-ci étant à l’origine de toute cette discussion et donc aussi des amendements qui ont été apportés au Règlement.
Le cas du Kenya[2]
Lors des élections kenyanes de 2007, Uhuru Kenyatta et William Ruto s’affrontaient dans l’arène politique. Provenant de groupes ethniques différends, ils étaient alors tous deux des membres influents de mouvements politiques opposés et étaient perçus au sein de leurs communautés respectives comme des leaders du fait de leur statut social et politique avantageux. À la suite des crimes commis lors des violences postélectorales de 2007-2008 au Kenya, ils ont tous deux été inculpés par la CPI sous des chefs d’accusation de crimes contre l’humanité.
Par la suite, ces deux anciens adversaires politiques se sont alliés lors d’une campagne présidentielle au terme de laquelle ils ont été couronnés respectivement président et vice-président du Kenya au début de 2013.
À partir de ce moment, ils ont tenté de se soustraire à la compétence de la CPI. Après avoir, sans succès, tenté de se retirer de la CPI et remettre à plus tard leur procès, c’est avec la ferme intention d’éviter un éventuel voyage à La Haye pour messieurs Kenyatta et Ruto que le Kenya est arrivé à l’AÉP avec le projet de solliciter de multiples amendements au Statut de Rome et au Règlement.
Les propositions et les discussions
D’entrée de jeu, et à la suite des modifications proposées par la délégation kenyane, le président du Groupe de travail sur les amendements (« GTA »), un organe subsidiaire de l’AÉP chargé d’examiner les amendements au Statut de Rome et au Règlement, a, lors d’une réunion informelle, remis aux participants, un document compilant les propositions de rédaction soumises préalablement à la tenue de la 12e session de l’AÉP. De l’aveu même du président, cette compilation, loin d’être une proposition en bonne et due forme, avait pour unique but de réunir à un seul endroit l’ensemble des amendements proposés concernant la question de la présence de l’accusé à son procès afin d’aiguiller les discussions, le temps imparti lors des sessions de l’AÉP étant toujours limité.
Partant de ce document, les États parties avaient la difficile tâche de parvenir à un véritable compromis en ce qui concerne la présence - ou l’absence - d’un accusé à son procès qui pourrait, d’une part, satisfaire les gouvernements africains tout en préservant, d’autre part, l’intégrité et l’indépendance de la Cour. Autrement dit, il fallait trouver une règle qui, sans porter atteinte aux articles 63 (présence au procès) et 27 (défaut de pertinence de la qualité officielle) du Statut de Rome, permettrait, dans des cas exceptionnels, à un accusé de ne pas être présent en personne à son procès.
Si la plupart des discussions à cette fin ont pris place lors de rencontres informelles dont la participation était réservée exclusivement aux représentants des États parties, la première ronde de négociation s’est quant à elle déroulée en plénière et a permis de mieux cibler les enjeux et les questions importantes à traiter : un accusé peut-il être « présent » par vidéoconférence et, si oui, dans quelles circonstances et à qui cette possibilité peut-elle s’appliquer ?
Concernant la présence de l’accusé à son procès, le principe général est posé par l’article 63 du Statut de Rome (« Procès en présence de l’accusé »), qui prévoit, à son premier paragraphe, que « l’accusé est présent à son procès » [nous soulignons]. Or, le paragraphe suivant du même article énonce une exception à ce principe qui permet, dans des circonstances exceptionnelles, l’utilisation des moyens techniques de communication :
2. Si l'accusé, présent devant la Cour, trouble de manière persistante le déroulement du procès, la Chambre de première instance peut ordonner son expulsion de la salle d'audience et fait alors en sorte qu'il suive le procès et donne des instructions à son conseil de l'extérieur de la salle, au besoin à l'aide des moyens techniques de communication. De telles mesures ne sont prises que dans des circonstances exceptionnelles, quand d'autres solutions raisonnables se sont révélées vaines et seulement pour la durée strictement nécessaire [nous soulignons].
Si le recours aux technologies modernes semble aujourd’hui essentiel pour un grand nombre d’États parties qui jugent souhaitable de se prévaloir de ces avantages, des questions demeurent quant à l’éventuelle présence d’un accusé à l’aide des moyens techniques de communication.
Pour certains, la vidéoconférence constitue une véritable présence en tant que telle puisque le premier paragraphe de l’article 63 du Statut de Rome traite uniquement du fait que l’accusé doive être présent à son procès, et non qu’il doive être présent devant la Cour durant le procès. Cette subtile, mais non moins importante nuance est toutefois réfutée par d’autres pour qui la présence par vidéoconférence, aussi souhaitable soit-elle, ne peut constituer une véritable présence au sens strict du terme, et devrait, à ce titre, être réservée uniquement à des situations exceptionnelles. Afin d’appuyer cette interprétation voulant que la présence par vidéoconférence soit l’exception et non la règle, il a été rappelé qu’il était non seulement important que l’accusé soit traduit en justice, mais qu’il soit également confronté aux témoins et aux victimes.
Lors de la séance plénière, c’est cette dernière approche qui semblait être privilégiée par une majorité d’États parties. La vidéoconférence était donc vue comme une alternative envisageable, à condition toutefois que la Cour l’autorise et que certaines circonstances exceptionnelles le justifient. Restait donc à savoir qu’elles étaient ces « circonstances exceptionnelles » qui permettraient à une personne d’être « présente » à son procès via les moyens technologiques de communication.
En effet, une fois la question de la présence au procès clarifiée, il fallait définir qui pouvait bénéficier d’un tel traitement. Encore une fois, plusieurs visions différentes sur le sujet se sont exprimées.
Au départ, ce sont les chefs d’États et de gouvernement en fonction que la délégation kenyane cherchait à dispenser d’avoir à être présents à leur procès, car ce sont des individus à qui incombent des charges importantes, surtout dans les États où il y des situations d’instabilité (guerre, tension, maintien de la paix, réconciliation, terrorisme).
S’il est indéniable qu’un chef d’État occupe des fonctions occupées par peu de personnes, d’autres représentants d’États parties étaient davantage enclins à voir une description plutôt générique du bénéficiaire au lieu que soient spécifiquement désignés les chefs d’État ou de gouvernement. Pour les tenants de cette approche, ce sont les fonctions particulières et non la qualité de l’accusé qui doivent primer, le traitement spécial devant être accordé non en raison de la qualité de la personne, mais bien de ses fonctions, en conformité avec l’article 27 du Statut de Rome.
Il était donc nécessaire de décrire les fonctions qui sont si importantes que l’on doit les considérer comme des circonstances exceptionnelles. Il est ressorti des discussions qu’il n’était pas nécessaire de mettre en exergue une ou deux compétences spécifiques, mais qu’il valait mieux faire référence aux fonctions de l’accusé de manière plus générique. À cette fin, la Grèce et le Guatemala ont conjointement proposé l’expression « fonction importante d’une dimension extraordinaire » telle qu’utilisée dans une décision de la Chambre d’appel de la CPI. Ces mots étant selon plusieurs difficiles à interpréter, l’initiative gréco-guatémaltèque n’a pas été retenue.
N’ayant malheureusement pu suivre le reste des négociations qui se sont déroulées, tel que mentionné précédemment, à huis clos, il convient maintenant de regarder le contenu de la résolution adoptée à la suite des nombreuses réunions informelles tenues par le GTA.
La résolution
La résolution ICC-ASP/12/Res.7 amendant le Règlement a été adoptée par consensus le 27 novembre 2013. Elle prévoit des modifications aux règles 68 et 100 du Règlement ainsi que l’ajout des règles 134 bis, ter et quater.
Les propositions d’amendement aux règles 68 et 100 ayant été préalablement recommandées pour adoption à l’AÉP par le GTA, elles n’ont pas été l’objet de moult discussions. Compte tenu du contexte particulier entourant la 12e session de l’AÉP, ce sont les amendements à la règle 134, ou plutôt l’ajout des règles 134 bis à quater, qui ont retenu l’attention. En effet, à la suite des discussions résumées ci-dessus, l’AÉP a décidé qu’il convenait d’insérer, après la règle 134 du Règlement (« Requête se rapportant à la procédure »), le texte suivant :
Règle 134bis (Comparution au moyen d’une liaison vidéo)
1. Un accusé faisant l’objet d’une citation à comparaître peut demander par écrit à la Chambre de première instance l’autorisation de comparaître au moyen d’une liaison vidéo pendant une ou plusieurs parties de son procès.
2. La Chambre de première instance statue sur la demande au cas par cas, compte dûment tenu de l’objet des audiences en question.
Règle 134ter (Dispense de comparution au procès)
1. Un accusé faisant l’objet d’une citation à comparaître peut demander par écrit à la Chambre de première instance de lui accorder une dispense et de l’autoriser à être uniquement représenté par un conseil pendant une ou plusieurs parties de son procès.
2. La Chambre de première instance ne fait droit à la demande que si elle est convaincue que :
a) il existe des circonstances exceptionnelles justifiant une telle absence ;
b) d’autres mesures, comme la modification du calendrier du procès ou un bref ajournement du procès, seraient inadéquates ;
c) l’accusé a explicitement renoncé à son droit d’être présent au procès ; et
d) les droits de l’accusé seront pleinement garantis en son absence.
3. La Chambre de première instance statue sur la demande au cas par cas, compte dûment tenu de l’objet des audiences en question. L’absence doit être limitée au strict nécessaire et ne saurait devenir la règle.
Règle 134quater (Dispense de comparution au procès en raison de fonctions publiques extraordinaires)
1. Lorsqu’un accusé faisant l’objet d’une citation à comparaître est tenu d’exercer des fonctions publiques extraordinaires au plus haut échelon national, il peut demander par écrit à la Chambre de première instance de lui accorder une dispense et de l’autoriser à être uniquement représenté par un conseil ; il doit être précisé dans la demande que l’accusé renonce explicitement au droit d’être présent au procès.
2. La Chambre de première instance examine la demande rapidement et, si d’autres mesures se révèlent inadéquates, elle fait droit à la demande dès lors qu’elle estime que cela sert les intérêts de la justice et pour autant que les droits de l’accusé soient pleinement garantis. La décision est prise compte dûment tenu de l’objet des audiences en question et peut être reconsidérée à tout moment. »
Ce texte été adopté par consensus par l’AÉP et on peut donc présumer qu’il répond en conséquence aux principales préoccupations exprimées par un grand nombre d’États parties lors de la séance spéciale sur la mise en accusation de chef d’État et de gouvernement en fonction et lors des rencontres tenues par le GTA.
Les suites…
À la suite de l’adoption de la résolution ICC-ASP/12/Res.7, le Kenya a crié victoire (pour visionner la vidéo présentant les réactions de la délégation kenyane, il est possible de visiter le site web de l’African Press International) pendant que la société civile, par la bouche des ONG, décriait une menace de plus en plus grande à l’indépendance de la Cour.
Or, est-ce vraiment une victoire pour le Kenya et l’UA ? Ces derniers ne recherchaient-ils pas plutôt un amendement à l’article 27 du Statut de Rome concernant le défaut de pertinence de la qualité officielle ? Ou n’était-ce seulement qu’une stratégie de négociation afin d’obtenir un accommodement aux président Kenyatta et au vice-président Ruto ?
Quoi qu’il en soit, les règles 134bis à 134quater ayant été adoptées et étant entrées en vigueur dès leur adoption, il sera intéressant de voir de quelle façon elles seront interprétées et appliquées par la Chambre de première instance, qui, rappelons-le, jouit d’une large discrétion à cet égard. En effet, ce sera donc ultimement à la Cour de décider s’il existe des circonstances exceptionnelles pouvant permettre de dispenser un accusé d’être présent à son procès.
La réponse à cette interrogation ne devrait toutefois pas tarder puisque William Ruto a invoqué la nouvelle règle 134quater dans une requête déposée le 16 décembre dernier visant à le dispenser d’être présent à son procès. Si le Bureau du Procureur ainsi que les représentants légaux des victimes ont depuis répondu à cette requête, la Chambre de première instance n’a pas encore rendu sa décision.
Il s’agit donc d’un premier test pour cette règle et d’un nouvel acte dans la saga politico-juridique de la mise en accusation de chefs d’État kenyans par la CPI. Une saga qui, malgré les récents développements dont il a été question dans ce billet, semble encore loin d’être terminée…
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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.
[1] Ce billet fait suite à celui publié le 20 novembre dernier.