Élection d’un nouveau juge à la Cour pénale internationale
Janet Chan
Janet Chan est diplômée d’un baccalauréat en droit civil de l’Université du Québec à Montréal où elle a également participé à la Clinique internationale de défense des droits humains de l’UQÀM (CIDDHU). Elle poursuit présentement ses études dans le programme national de l’Université d’Ottawa dans le but d’obtenir un Juris Doctor.
Depuis le samedi 23 novembre 2013, la Cour pénale internationale (« CPI ») est composée d’un nouveau juge. Il s’agit de monsieur le juge Geoffrey A. Henderson de la République de Trinité-et-Tobago. Il a été élu pour pourvoir le siège vacant laissé par monsieur le juge Anthony Thomas Aquinas Carmona. Élu en décembre 2011 pour un mandat de neuf ans, ce dernier était entré en fonction le 11 mars 2012 à la Chambre de première instance. Cependant, puisqu’il est devenu le président de Trinité-et-Tobago le 18 mars 2013, il a démissionné de son poste à la CPI le jour même. C’est pourquoi il fallait lui trouver un remplaçant. J’ai eu l’occasion d’assister à la tenue de cette « élection ». Voici un retour sur cette élection.
À la fin de la période de présentation des candidatures pour le poste vacant de juge, le 8 octobre 2013, seulement deux États parties ont soumis un candidat : la Trinité-et-Tobago (M. Geoffrey A. Henderson) et l’Uruguay (M. Leslie Van Rompaey). Les deux candidats représentent le Groupe régional des États d’Amérique latine et des Caraïbes. En effet, afin d’assurer une représentation géographique, sur les 18 juges permanents qui siègent à la CPI, chaque groupe régional a droit à au moins trois juges pour les représenter. Après la démission du juge Carmona, il n’en restait que deux pour représenter les États d’Amérique latine et des Caraïbes. C’est pourquoi seuls les noms des personnes ayant la nationalité d’un des États de ce groupe régional pouvaient être soumis à cette élection.
M. Henderson et M. Van Rompaey étaient tous les deux inscrits sur la liste A, liste dans laquelle les candidats reconnaissent avoir une « compétence reconnue dans les domaines du droit pénal et de la procédure pénale ainsi que l’expérience nécessaire du procès pénal », selon le paragraphe 5 de l’article 36 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Au cours de son parcours professionnel, M. Henderson a entre autres occupé la fonction de Directeur des poursuites publiques avant d’occuper celle de juge à la Cour suprême de la République de Trinité-et-Tobago en 2009. De son côté, M. Van Rompaey a également occupé la fonction de magistrat à la Cour suprême de justice d’Uruguay, et ce, depuis plus de dix ans.
Le 18 octobre 2013, les deux candidats ont eu l’occasion de s’entretenir, séparément, avec la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge (« Commission »), présidé par le canadien et ancien juge de la CPI, monsieur Philippe Kirsch. Les deux entrevues se sont déroulées en anglais. D’après les observations de la Commission, qui se trouvent en annexe I du document ICC-ASP/12/47, les deux jouissent « d’une haute considération morale, impartiales et intègres », ce qui répond à la condition prévue au sous-alinéa 3a) de l’article 36 du Statut de Rome. La Commission note sur M. Henderson que même s’il n’a pas eu à travailler sur un crime relevant de la compétence de la CPI, il possède une bonne connaissance et expérience de la procédure pénale. Elle note également qu’il maîtrise l’anglais. Quant à M. Van Rompaey, lors de son entretien avec la Commission, il lui avoue que son expérience en procédure pénale est limitée tout comme sa maîtrise de la langue française. La Commission fait remarquer dans ses observations qu’elle a des doutes quant à sa maîtrise de l’anglais oral. Cela joue en défaveur de M. Van Rompaey puisqu’une des conditions prévues au sous-alinéa 3c) de l’article 36 du Statut de Rome exige que tout candidat doit posséder « une excellente connaissance et une pratique courante d’au moins une des langues de travail » de la CPI, qui sont uniquement l’anglais et le français, selon le paragraphe 2 de l’article 50 du Statut de Rome.
Le grand jour enfin arrivé, c’est la présidente de l’Assemblée, Mme Tiina Intelmann qui s’est chargé de donner les instructions sur le déroulement du scrutin. Elle a annoncé que la candidature de M. Leslie Van Rompaey de l’Uruguay avait été retirée le 21 novembre. Malgré le fait qu’il ne restait plus qu’un candidat sur la liste, la présidente rappelle tout de même les règles, l’importance de voter pour un candidat représentant le Groupe régional des États d’Amérique latine et des Caraïbes ainsi que la nécessité pour le candidat élu d’obtenir le nombre de voix le plus élevé et la majorité des voix des 2/3 des États parties présents et votants.
La République du Niger et la République de Sierra Leone ont pu participer au vote même s’ils présentaient tous deux un retard dans leur contribution financière à la Cour. Selon le paragraphe 8 de l’article 112 du Statut de Rome, cela entraîne pour conséquence la perte de leur droit de vote. Toutefois, la même disposition prévoit que l’Assemblée peut lever cette sanction. Ce fut le cas puisqu’il n’y a pas eu d’objection de la part des autres États parties.
Pourquoi l’Assemblée a-t-elle tenu un vote au scrutin secret alors qu’il n’y avait plus qu’un seul candidat sur la liste ? Pourquoi n’a-t-elle pas pu procéder comme elle l’a fait avec l’élection des membres du Comité du budget et des finances (« CBF »), c’est-à-dire en élisant les membres par consensus à la suite du retrait d’une des candidatures pour le CBF, qui a permis au nombre de candidats de correspondre exactement au même nombre que celui des sièges à pourvoir ? Malgré que cela puisse paraître un peu absurde, ils ont procédé ainsi dans le but de respecter la procédure prévue par le sous-alinéa 6a) de l’article 36 du Statut de Rome. De plus, il faut savoir que dans la résolution ICC-ASP/1/Res.5, intitulée Procédure de présentation des candidatures à l’élection et d’élection des membres du Comité du budget et des finances, au paragraphe 9 prévoit que l’élection par consensus est fortement encouragée et que le vote au scrutin secret n’a lieu seulement qu’en cas d’absence de consensus. Or, il ne semble pas exister de disposition semblable pour l’élection des juges de la CPI.
Les résultats du scrutin ? Sans grande surprise, c’est le candidat Geoffrey A. Henderson de la République de Trinité-et-Tobago qui a été élu. Sur les 99 États parties présents et votants, 98 ont voté en sa faveur. L’autre État restant a préféré s’abstenir. L’exigence du nombre de voix le plus élevé et celle de la majorité des 2/3 des voix ont clairement été respectées.
Par conséquent, et conformément au paragraphe 2 de l’article 37 du Statut de Rome, puisque le nouveau juge Henderson a été élu pour remplacer l’ancien juge monsieur Carmona, son mandat prendra fin à la même date que si son prédécesseur n’avait pas démissionné, soit le 10 mars 2021.
Par ailleurs, lors de cette 12e session, l’Assemblée a adoptée la résolution ICC-ASP/12/Res.8, intitulée Renforcement de la Cour pénale internationale et de l’Assemblée des États Parties dans laquelle elle décide d’ajouter le paragraphe 27 bis à la résolution ICC-ASP/3/Res.6, ayant pour titre Modalités de présentation des candidatures et d’élection des juges de la Cour pénale internationale. Ce nouvel ajout fait en sorte que si la condition pour un juge élu de prendre un engagement solennel dans les six mois de son élection n’est pas respectée, son siège sera déclaré vacant.
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